Elle se sentit tout à coup perdue, noyée dans cette foule, prisonnière de ces soldats, de ces notables parisiens qui défilaient maintenant devant elle, graves et solennels dans leurs longues robes rouges où la nef de la ville s'étalait, brodée sur une épaule, de cette assemblée qui l'enfermait de toutes parts. Elle tourna la tête, cherchant fébrilement une issue, un trou où se jeter pour courir à la Bastille où peut-être on la renseignerait sans qu'elle eût besoin d'attendre la fin d'une cérémonie qui, sans doute, serait interminable.
Mais, en tournant la tête, elle rencontra le regard effaré mais presque souriant de Bérenger.
— Que diable trouvez-vous de drôle dans tout ceci ? gronda-t-elle entre ses dents. Savez-vous ce qu'est la Bastille ?
— Une prison solide, j'imagine, fit le page. C'est fort regrettable que messire Arnaud y soit, mais peut- être moins que vous ne le pensez, Dame Catherine.
— Et pourquoi, s'il vous plaît ?
— Parce que, du coup, il n'a pas grand-chose à craindre de Gonnet d'Apchier. Car, même si le bâtard est arrivé avant nous, il n'a pas pu atteindre notre seigneur, dans cette Bastille où il est depuis deux semaines... C'est toujours autant de gagné !
La logique du page dérida un peu le front soucieux de Catherine. Il y avait beaucoup de justesse dans son propos et, après tout, si Arnaud, dont le caractère emporté n'était plus à découvrir pour elle, avait encouru la colère du Connétable, du moins cette colère n'irait sans doute pas jusqu'à mettre sa tête en péril.
— Je crois, ajouta le page, que vous n'aurez aucun mal à obtenir toutes les explications que vous voudrez. Chacun sait, chez nous, tout le bien que l'on vous veut à la Cour. Il suffit simplement d'un peu de patience... jusqu'à la fin de la cérémonie.
Un peu calmée, Catherine s'efforça de s'intéresser au spectacle, puisqu'elle n'avait aucun moyen d'y échapper. Elle regarda sans trop d'humeur défiler les Echevins, conduits par le nouveau Prévôt des marchands, Michel de Lallier, ce bourgeois intrépide qui, sa vie durant, avait lutté sourdement contre l'Anglais, conspirant et bataillant sans cesse dans la clandestinité pour ramener Paris à son roi légitime.
Ainsi que Catherine l'entendit chuchoter dans son dos, c'était lui qui, au matin du 13 avril, avait ouvert la porte Saint-Jacques devant les troupes du Connétable, tandis qu'à l'autre bout de la ville, à la porte Saint-Denis, son fils Jean créait diversion pour faire croire à une attaque des Français et y attirer les Anglais.
Une fois dans la ville, Richemont n'avait plus eu qu'à balayer devant lui. Reconnaissant, autant que les Parisiens qui avaient enfin retrouvé le goût du pain, le Connétable avait élevé sur-le-champ le vieux bourgeois à cette dignité amplement méritée et, à cette minute, Lallier vivait là son heure de gloire, car, à sa vue, la foule avait éclaté en louanges et en bénédictions.
— Tenez ! souffla Saint-Simon, voilà le Connétable !
— Il est le parrain de ma fille, riposta Catherine, sèchement. Je le connais depuis longtemps.
Mais elle éprouvait à le voir un vrai soulagement. Elle retrouvait avec joie ce visage affreux, balafré, couturé de vingt blessures qui cependant ne parvenaient pas à ôter toute séduction au regard bleu, candide et clair comme celui d'un enfant. Carré, presque aussi large que haut, mais athlétique et sans un pouce de graisse, le prince breton portait son armure aussi aisément que les pages leur tabard de soie et la joie du triomphe illuminait encore son visage hâlé, malgré le côté passablement lugubre de la cérémonie.
Des capitaines l'entouraient mais, à l'exception du bâtard d'Orléans, qui marchait auprès de lui et qui était son ami, Catherine n'en reconnut aucun. Il y avait là des Bourguignons et des Bretons, mais ni La Hire, ni Xaintrailles, les vieux amis de toujours, ni aucun autre de la bande habituelle.
L'inquiétude, un instant calmée par Bérenger, revint à Catherine : Arnaud à la Bastille, La Hire et Xaintrailles absents, qu'est-ce que tout cela voulait dire ?
Elle n'eut pas le temps de se poser plus longtemps la question. Le jeune lieutenant venait de saisir sa main.
— Venez ! dit-il. Nous pouvons suivre la procession, maintenant.
Ils se jetèrent, en effet, sur les talons des derniers officiers sans que les soldats de la haie, bien entendu, s'y opposassent. Ils suivirent le cortège jusqu'à la cour Saint-Martin.
C'était un vaste quadrilatère au milieu duquel se dressait un orme tout brillant de ses feuilles nouvelles, mais l'arbre était bien la seule note souriante de l'endroit qui était sinistre. Une prison tenait tout un côté, avec un pilori qui se dressait devant sa porte. Les autres côtés étaient occupés par des porcheries et par un grand tas de fumier qui dégageait une odeur pénible.