— Oui, sans doute.
Des pas résonnèrent dans l’escalier. Paulo et Warner entrèrent.
— Et voilà le travail ! lança Paulo surexcité.
— Maître Gessler ne le trouve pas très joli, dit Frank.
— À cause ? fit Paulo d’un ton pincé.
Puis, réalisant :
— Ah ! Les gardiens ? Vous savez, ajouta-t-il en se tournant vers l’avocat. Les témoins, ça ne fait joli que dans une noce !
Il haussa les épaules et se tournant vers Frank lui mit la main sur l’épaule.
— J’ai même pas eu le temps de te dire bonjour, Franky. T’as à peine changé, assura-t-il. Si pourtant, un peu… En bien. Tu t’es « fait », quoi !
— Je me serais aussi bien fait ailleurs, tu sais, riposta Frank.
Quelque chose dans le ton de sa voix fit sourciller Paulo. Quelque chose qui ressemblait à de l’irritation. Il avait imaginé les retrouvailles autrement et faillit le dire à Frank.
Frank brandit ses poignets enchaînés.
— Pendant que vous y êtes, les gars !
Paulo fit la grimace.
— M… ! grommela le petit homme, dans la précipitation on n’a pas pensé à ça.
Il poussa Warner du coude.
— Hé, t’as la clé du cabriolet, Grosse Tronche ?
Warner était un grand garçon blond avec une figure bête et rieuse. Il n’avait guère plus de vingt ans. Comme il ne comprenait pas le français, il se tourna vers Gessler pour lui demander de traduire. L’avocat répéta la question de Paulo. Warner secoua la tête.
— Elle sera restée dans la poche du convoyeur, soupira Paulo. On ne peut pourtant pas engager un scaphandrier pour aller la repêcher. Heureusement que Freddy sait bricoler ; y a qu’à l’attendre…
6
Le fourgon cahotait sur des tronçons de rail. Baum le pilotait lentement à travers un chantier abandonné que les mauvaises herbes envahissaient. Les ruines d’un bunker à sous-marins bombardé cernaient le chantier. Depuis la rive d’en face on ne pouvait voir ce qui s’y passait.
Un tronçon de chenal subsistait, empli d’une eau brune et fangeuse à la surface de laquelle s’étalaient des auréoles moirées de mazout. L’Allemand pilota le fourgon jusqu’au bord extrême du chenal. Une fois à l’arrêt, il braqua les roues dans le sens de l’eau et desserra le frein à main. Puis il sauta de son siège et Freddy se coula sur la banquette pour emprunter le même chemin, car il ne pouvait descendre par l’autre côté puisque le fourgon surplombait le chenal.
À l’intérieur du fourgon, le chauffeur et le garde criaient comme des perdus en cognant contre les parois.
— On va leur administrer un tranquillisant, ricana Freddy.
Il regarda autour de lui. La nuit était presque tombée et ils se trouvaient isolés dans une vaste zone d’ombre hérissée de blocs de ciment dont l’armature pointait comme des os.
— On y va ! fit-il à son compagnon.
Baum acquiesça. Ils se placèrent à l’arrière du gros véhicule et se mirent à pousser. De l’autre côté des portes, les deux hommes enfermés s’évertuaient. Leurs coups de pied se répercutaient dans les bras de Freddy. C’était une impression désagréable et il avait hâte d’en finir. Malgré leurs efforts, le fourgon ne bougea pas d’un centimètre. Freddy retourna à la cabine. Il vit que la voiture était restée en prise et débloqua en jurant le levier de vitesses.
— Tu es une vraie truffe ! dit-il à Baum.