Читаем Roses à crédit (Lecture à domicile) полностью

C’était au débouché de la route nationale, déjà dans Paris.

Daniel avait fait grimper la voiture sur l’à-côté de la route[231], dans l’herbe jaune, sale. Daniel et Martine descendirent. Il lui fit traverser un petit fossé pour monter sur le sentier-trottoir. Dans la rangée désordonnée de vieilles maisons, il y avait un trou derrière une grille. Un portillon… En contrebas, de longues rangées de rosiers dénudées s’en allaient loin.

— Imagine-toi cela en été… Ici, en cachette, comme un miracle, une apparition, les roses… Vingt mille rosiers, ce qui reste ici des plantations des Donelle. Paris a tout mangé. Je voulais te dire au revoir ici…

— Il fait froid, Daniel…

— Les roses ne savent pas te faire rêver, ni absentes, ni présentes. Elles étaient toutes à toi. Des roses qui n’étaient pas à crédit… Ma chérie…

Il embrassa Martine légèrement, frôlant des lèvres sa joue… Elle eut du mal à sortir ses talons pointus de la terre humide, ils s’enfonçaient à chaque pas, la terre voulait la retenir, aux abords du grand Paris.

<p>XXIII. LA PIE VOLEUSE</p>

Martine voyait souvent Mme Denise. Mme Denise l’appelait « ma petite protégée » et aimait l’emmener avec elle, tout le monde est toujours content de voir arriver une jeune et jolie fille. Et excellente bridgeuse. L’ami de Mme Denise, le représentant d’autos — en fait déjà son mari[232], ils s’étaient mariés sans tambours ni trompettes[233] — aimait la compagnie de jolies dames et devenait souriant à la vue de Martine. Cet ancien coureur n’était pas toujours facile à manier[234], souvent il s’ennuyait, devenait sombre ; l’excitation des courses, le risque, la foule, les acclamations, le gain facile, si on ne compte pas le danger de mort lui manquaient. Mais actuellement, il était en train de monter une boîte de nuit[235] ultra-chic, son nom de coureur, assez connu dans un certain monde, l’aiderait à réussir, avec toutes les relations de Denise, à eux deux, il devait faire une bonne affaire. Ils sortaient beaucoup, voyaient des gens. Mme Denise s’étonnait de la réticence de Martine à les suivre, à s’amuser. Drôle de fille, une autre, à sa place, avec ce mari… Parce que Martine avait beau prétendre, ça ne tournait pas rond[236] dans le ménage. Elle n’allait tout de même pas toute sa vie attendre Daniel ! Bref, si Martine avait voulu, elle aurait passé toutes les soirées avec Mme Denise et son mari, elle aurait été de toutes les premières et galas[237]. Mais la plupart du temps elle refusait. Parfois Mme Denise se disait qu’elle avait peut-être un amant ? Il lui arrivait d’inviter Martine à déjeuner, mais il n’y avait pas d’intimité entre elles, elles parlaient chiffons, parties de bridges. Martine préférait déjeuner avec Ginette, une manucure comme elle. A la place du déjeuner elles se bourraient de gâteaux. Elles se tutoyaient avec Ginette. Mme Denise, il fallait la vouvoyer. Elle était trop aristocratique, ses cheveux blancs impressionnaient Martine, Mme Denise s’en rendait compte, et cela lui plaisait. Sans se faire de confidences, elles étaient tout de même bien ensemble.

Alors, le jour où Mme Denise avait envoyé chercher Martine dans la cabine, Martine ne s’en étonna pas. Elle termina tranquillement son travail sur les mains d’une cliente et alla retrouver Mme Denise au réfectoire, vide à cette heure.

Mme Denise n’y alla pas par quatre chemins :

— Savez-vous, Martine, qu’il y a des choses qui ne se font pas ; même si elles ne sont pas punies par la loi ? C’est une question de correction élémentaire[238] et jamais chose pareille n’est arrivé ici…

— De quoi parlez-vous, Madame ?

— Faites pas la bête, Martine, vous êtes pâle jusqu’aux lèvres, vous savez fort bien de quoi je parle…

Martine ne dit rien.

— Vous avez profité de nos clientes pour vous faire une clientèle particulière… Et ce trafic dure depuis un an. Avec quelqu’un d’autre, on s’en serait vite aperçu plus tôt, mais avec vous notre confiance a été aveugle…

— J’avais besoin d’argent… et vous payez mal…

— Des revendications maintenant !.. En tout cas, vous avouez… le besoin d’argent n’a jamais excusé le vol. Vous pouvez passer à la caisse[239]. Nous n’employons que des gens corrects.

Une pie. Une pie voleuse et noire. Méchante. Martine marchait dans la rue et ne voyait pas les belles devantures du faubourg Saint-Honoré[240], les belles choses brillantes. Elle avait dans sa poche les billes rondes et lisses, chipées à ses frères, et sa mère glapissait : « Une pie ! Une pie voleuse et noire, voilà ce que tu es ! » Elle revoyait la pie sur la table couverte d’une nappe blanche, dans le jardin de l’auberge où elle avait passé sa première nuit de femme mariée. La rage de l’oiseau parce qu’on la chassait de la table. Comme il attrapait la nappe dans son bec et tirait dessus. Parce qu’on la chassait.

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