Ce 31 mai 1821.
Je sais que je ne devais plus vous écrire, Madame! peut-être suis-je fau-tif envers vous: mais vous, Madame, vous qui êtes une divinité par la figure, par l’esprit, par le cœur, vous devrez aussi avoir une bonté divine, vous devrez pardonner à un homme dont la tête s’égare, dont la raison se trouble, dont le cœur est malade, et malade sans espoir de guérison. Je vous ai conjuré, com-me un signe de grâce, comme un signe de vie de m’écrire petit billet de votre main pour lundi; un billet qui m’aît dit que je ne suis pas encore tout à fait perdu dans votre opinion, que je ne suis pas méprisé, proscrit. — La journée passe, le billet n’arrive point, et je suis dans des transes mortelles qui ne s’apaisent pas même jusqu’en ce moment-ci.
Eh bien, Madame, tout vient à l’appui de mes soupçons; par excès d’hu-manité, seulement, vous n’avez pas voulu me le confirmer en face, pour ne pas réduire au désespoir un homme dont les sentiments ne vous sont que trop con-nus. Vous dirai-je, Madame? c’est exprès que dans ma dernière visite, resté seul auprès de vous, j’ai hasardé ce mot de caresse: c’était une pierre de touche, une espèce de sonde: vous n’avez pas manqué à me demander d’un air grave et d’un ton de voix sévère:
C ’est une chose inexplicable que le cœur: torture que j’acquiers, la tris-te certitude de n’être plus agréé, il ne bat que pour vous: mon imagination est rempli de votre image, je me promène, je vois une dame de votre taille, et c’est vous que je crois reconnaître en elle: j’écris sur ma table, je détourne la tête, et c’est vous encore que je vois à côté de moi. C’est une fièvre blanche; je bats la campagne, Madame: n’en soyez point fâchée, plaignez-moi. Hélas! que j’en-vie… je n’ose pas achever: mon père là-haut s’en fâcherait… je me prosterne devant lui.
Malheureux! et j ’ose aussi me traîner à vos pieds