Elle ne veut plus me voir! Oui, c ’est une preuve qu’elle me méprise; mais pourquoi y mêler encore ce persiflage amer qu’elle me fait essayer. Elle m’envoie dire par sa femme de chambre que c’est une honte de m’en aller, et si j’ai un billet pour elle, que je la remette par cette fille. C’est donc de mes lettres qu’on a besoin, et non pas de celui qui les a écrites; on en fera une lecture agréable à quelqu’un plus heureux que moi! Néanmoins je me suis soumis à cette nouvelle humiliation, j’ai remis le billet et le dicton que j’ai préparé pour elle, et n’ai rien dit à la fille et je suis parti. Mon cœur était navré, ma tête prête à se fendre; je n’ai jamais éprouvé un si grand tintement dans les tempes; j’étais prêt à tomber en défaillance. J’ai marché toujours: j’ai oublié qu’il existe des bateaux sur la Neva, de sorte qu’au sortir de ma rêverie je me suis trouvé au pont de la Trinité. Je me suis glissé le long du jardin sans me laisser apercevoir, ma lheureusement Pletneff et sa femme m’ont reconnu: j’ai d û faire un tour avec eux. En passant près d’un banc j’ai remarqué son père, et quelqu’indisposé que j’eus été à rencontrer tout ce qui la rappelle, j’ai pour-tant salué bien respectueusement ce bon viellard.
Arriv é chez moi, par mouvement involontaire dont je ne peux pas me rendre compte à moi-même, j’ai cherché mes pistolets, que je n’ai pas pris depuis l’affaire de S… Je n’ai pas voulu certainement me brûler la cervelle: mais pourquoi ces pistolets, cette poudre et balles? Encore un moment, avec mon caractère propre à s’enflammer, et peut-être s’en était fait. Le bon viellard Schubnikoff m’apporta les mouchoirs que la blanchisseuse lui a laissé en mon abscence; il a vu les pistolets, il a vu mon air sombre et il a paru frémir. Je l’ai rassuré; je lui ai dit que comme nous étions sur le point d’aller à la campagne, j’en aurais peut-être besoin pour être en sûreté dans mes promenades solitaires au fond des b ois: il en a paru satisfait. Je me suis remis au bout d’une demi-heure.