Y doit y avoir de la moisissure dans les points-virgules et des champignons après les imparfaits du sub. Sept piges ! Les passés composés se décomposent à ce rythme-là, non ? Les accords se désaccordent et quant aux participes, ils participent plus à grand-chose ! Enfin c’est mon avis. Je peux me gourer, remarquez ! P’t-être qu’on a intérêt à tremper sa plume dans un sarcophage, après tout ! Mais alors les tirages c’est plus des tirages, c’est de la combustion lente kif-kif les poêles Godin. Et puis d’abord, la postérité ça veut dire quoi ? Tenez, tout à fait entre nous et M. Queneau, je peux vous annoncer que si j’avais été le contemporain des mecs aux grands tifs (voir Racine et consorts) on trouverait mes morcifs choisis dans les écoles. Notez qu’on trouve aussi mes bouquins dans les écoles, seulement les petits potes qui me compulsent morflent deux heures de colle quand ils se font poirer avec mes chefs-d’œuvre, alors qu’autrement on leur disséquerait ma prose pour en dévoiler le mécanisme génial. Manque d’opportunité, quoi ! Peu importe. Quand on a son blaze sur une plaque de rue, on l’a aussi sur une pierre tombale et ça fait moins gai. Alors, mes morceaux choisis, tout compte fait, je les sélectionne moi-même et c’est de préférence à des mains féminines que je les confie.
Mais opérons, si vous le voulez bien, un retour aux sources. Je disais donc qu’avant de monter à l’assaut je voulais des munitions, ce qui est logique vu que je ne joue pas à la guerre de 39–40. Par munitions, j’entends l’identité des deux paquets d’os découverts dans la gentilhommière du chef Pinuchet.
Je m’assieds à un minuscule burlingue taché d’encres variées sur lequel un farceur qui n’est pas Béru puisque l’orthographe est correcte a écrit : « Le Vieux est une salope. »
Vous allez trouver que nous sommes irrévérencieux envers nos supérieurs hiérarchiques dans la rousse, mais je vous ferai remarquer qu’en tout cas nous avons le jugement assez sain.
Je ligote la note signalétique de M. et Mme Squelette. Je la sais par cœur, mais rien ne remplace, je vous l’ai dit plus haut, l’efficacité d’un texte :
1. La mort de l’homme remonte à environ deux ans.
2. Celle de la femme serait quasi récente, mais à cause de cette damnée chaux vive on ne peut préciser.
3. L’homme mesurait 1,78 m. Il avait de larges épaules, les pouces très élargis à leur partie supérieure. Sans doute son front était-il dégarni. Cheveux soyeux, tirant sur le blond. Donc, les yeux clairs selon toute vraisemblance. Cause de la mort : coup de revolver dans la nuque. Était vêtu d’un costume prince-de-galles en tissu anglais (label du tailleur ôté). Poids approximatif 75 kg. Portait une alliance d’or suisse sans gravure. Nez aquilin.
4. La femme mesurait 1,55 m. Était âgée d’environ vingt-cinq ans. Châtain, plutôt foncé. Cause de la mort : indéfinie, aucune trace de blessure n’ayant été relevée. Portait une robe imprimée légère. Yeux marron suivant estimation. Poids approximatif 50 kg. Pas trace d’alliance.
Toutes ces notes, je les ai jetées en vrac sur une feuille blanche à mesure que le labo me fournissait les tuyaux. Ces bonnes gens ne correspondent à aucun signalement de disparus.
Et pourtant ils possédaient des signes distinctifs, ce qui devrait faciliter les choses. Ainsi, l’homme avait les pouces larges et la femme les avant-bras surdéveloppés.
— Si tu dégauchissais du neuf, préviens-moi, dis-je à l’archiviste.
Je descends dans mon bureau et je bats le rappel de mes hommes. Lorsqu’ils sont alignés devant moi (et il y a là Béru, Pinaud, Lavoine, Mathias et Rigolier) je leur décris les défunts tels qu’il est possible de les imaginer d’après mes notes.
— Ça vous dit quelque chose, les enfants ?
Ils branlent le chef en silence.
Balpeau !
Je confie mon papelard à Mathias.
— Mets-toi en rapport avec la province et l’étranger… L’homme surtout ne devait pas être d’ici.
J’ajoute :
— Fais dactylographier ça en plusieurs exemplaires, et passe la note dans les différents services pour si des fois !
« Tu en donneras une à Pinuche.
Je fonce sur l’heureux propriétaire.
— Quant à toi, vénérable relique, tu vas aller aérer ta p… de cahute. Tu feras un tour dans le village et, habilement si tu le peux, tu demanderas à tes bons voisins s’ils ont aperçu des mecs correspondant à ces signalements. Si oui, à quelle époque et dans quelles conditions. Mets tes cellules sur la haute tension et tâche de ne pas donner l’éveil, y a rien de plus méfiant qu’un nabus !
— Toi, Lavoine, tu vas essayer de savoir à qui une certaine demoiselle Planqueblé demeurant 120, rue Ballu avait loué sa campagne de Magny. Surtout pas un mot de trop et oublie que tu n’es qu’un méchant poulet. Défense surtout d’aller voir la demoiselle ; c’est mon gâteau à moi.
— Bien, patron…