Un peu avant la nuit j’entendis une sonnerie de cornet à piston et je reconnus la façon de jouer de Mattia : le bon garçon, il voulait me dire qu’il pensait à moi et qu’il veillait. Cette sonnerie m’arrivait par-dessus le mur qui faisait face à ma fenêtre : évidemment Mattia était de l’autre côté de ce mur, dans la rue, et une courte distance nous séparait, quelques mètres à peine. Par malheur les yeux ne peuvent pas percer les pierres. Mais si le regard ne passe pas à travers les murs, le son passe par-dessus. Aux sons du cornet s’étaient joints des bruits de pas, des rumeurs vagues et je compris que Mattia et Bob donnaient là sans doute une représentation.
Pourquoi avaient-ils choisi cet endroit ? Était-ce parce qu’il leur était favorable pour la recette ! Ou bien voulaient-ils me donner un avertissement ?
Tout à coup j’entendis une voix claire, celle de Mattia crier en français : « Demain matin au petit jour ! » Puis aussitôt reprit de plus belle le tapage du cornet.
Il n’y avait pas besoin d’un grand effort d’intelligence pour comprendre que ce n’était pas à son public anglais que Mattia adressait ces mots : « Demain matin au petit jour, » c’était à moi ; mais par contre il n’était pas aussi facile de deviner ce qu’ils signifiaient, et de nouveau je me posai toute une série de questions auxquelles il m’était impossible de trouver des réponses raisonnables.
Un seul fait était clair et précis : le lendemain matin au petit jour je devais être éveillé et me tenir sur mes gardes ; jusque-là je n’avais qu’à prendre patience, si je le pouvais.
Aussitôt que la nuit fut tombée Je me couchai dans mon hamac et je tâchai de m’endormir ; j’entendis plusieurs heures sonner successivement aux horloges voisines, puis à la fin le sommeil me prit et m’emporta sur ses ailes.
Quand je m’éveillais la nuit était épaisse, les étoiles brillaient dans le sombre azur, et l’on n’entendait aucun bruit ; sans doute le jour était loin encore. Je revins m’asseoir sur mon banc, n’osant pas marcher de peur d’appeler l’attention si par hasard on faisait une ronde et j’attendis. Bientôt une horloge sonna trois coups : je m’étais éveillé trop tôt ; cependant je n’osai pas me rendormir, et d’ailleurs je crois bien que quand même je l’aurais voulu, je ne l’aurais pas pu : j’étais trop fiévreux, trop angoissé.
Ma seule occupation était de compter les sonneries des horloges ; mais combien me paraissaient longues les quinze minutes qui s’écoulaient entre l’heure et le quart, entre le quart et la demie ; si longues que parfois je m’imaginais que j’avais laissé l’horloge sonner sans l’entendre ou qu’elle était détraquée.
Appuyé contre la muraille, je tenais mes yeux fixés sur la fenêtre ; il me sembla que l’étoile que je suivais perdait de son éclat et que le ciel blanchissait faiblement.
C’était l’approche du jour ; au loin des coqs chantèrent.
Je me levai, et, marchant sur la pointe des pieds, j’allai ouvrir ma fenêtre ; ce fut un travail délicat de l’empêcher de craquer, mais enfin, en m’y prenant avec douceur, et surtout avec lenteur, j’en vins à bout.
Quel bonheur que ce cachot eût été aménagé dans une ancienne salle basse dont on avait fait une prison, et qu’on se fût confié aux barreaux de fer pour garder les prisonniers, car si ma fenêtre ne s’était pas ouverte, je n’aurais pas pu répondre à l’appel de Mattia. Mais ouvrir la fenêtre n’était pas tout : les barreaux de fer restaient, les épaisses murailles aussi, et aussi la porte bardée de tôle. C’était donc folie d’espérer la liberté, et cependant je l’espérais.
Les étoiles pâlirent de plus en plus, et la fraîcheur du matin me fit grelotter ; cependant je ne quittai pas ma fenêtre, restant là, debout, écoutant, regardant, sans savoir ce que je devais regarder et écouter.
Un grand voile blanc monta au ciel, et sur la terre les objets commencèrent à se dessiner avec des formes à peu près distinctes ; c’était bien le petit jour dont Mattia m’avait parlé. J’écoutai en retenant ma respiration, je n’entendis que les battements de mon cœur dans ma poitrine.
Enfin, il me sembla percevoir un grattement contre le mur, mais comme avant je n’avais entendu aucun bruit de pas, je crus m’être trompé ; cependant j’écoutai : le grattement continua : puis tout à coup j’aperçus une tête s’élever au-dessus du mur ; tout de suite je vis que ce n’était pas celle de Mattia, et, bien qu’il fît encore sombre je reconnus Bob.
Il me vit collé contre mes barreaux.
– Chut ! dit-il faiblement.
Et de la main il me fit un signe qui me sembla signifier que je devais m’éloigner de la fenêtre. Sans comprendre, j’obéis. Alors, son autre main me parut armée d’un long tube brillant comme s’il était en verre. Il le porta à sa bouche. Je compris que c’était une sarbacane. J’entendis un soufflement, et en même temps je vis une petite boule blanche passer dans l’air pour venir tomber à mes pieds. Instantanément la tête de Bob disparut derrière le mur, et je n’entendis plus rien.