Avant que je fusse entré dans la troupe, Joli-Cœur avait eu une fluxion de poitrine et on l’avait saigné au bras ; à ce moment, se sentant de nouveau malade, il nous tendait le bras pour qu’on le saignât encore et le guérît comme on l’avait guéri la première fois.
N’était-ce pas touchant ?
Non-seulement Vitalis fut touché, mais encore il fut inquiété.
Il était évident que le pauvre Joli-Cœur était malade, et même il fallait qu’il se sentît bien malade pour refuser le vin sucré qu’il aimait tant.
– Bois le vin, dit Vitalis, et reste au lit, je vais aller chercher un médecin.
Il faut avouer que moi aussi j’aimais bien le vin sucré, et de plus j’avais une terrible faim ; je ne me fis donc pas donner cet ordre deux fois, et après avoir vidé le bol, je me replaçai sous l’édredon, où la chaleur du vin aidant, je faillis étouffer.
Notre maître ne fut pas longtemps sorti ; bientôt il revint amenant avec lui un monsieur à lunettes d’or, – le médecin.
Craignant que ce puissant personnage ne voulût pas se déranger pour un singe, Vitalis n’avait pas dit pour quel malade il l’appelait ; aussi, me voyant dans le lit rouge comme une pivoine qui va ouvrir, le médecin vint à moi, et m’ayant posé la main sur le front :
– Congestion, dit il.
Et il secoua la tête d’un air qui n’annonçait rien de bon.
Il était temps de le détromper, ou bien il allait peut-être me saigner.
– Ce n’est pas moi qui suis malade, dis-je.
– Comment, pas malade ? Cet enfant délire.
Sans répondre, je soulevai un peu la couverture, et montrant Joli-Cœur qui avait posé son petit bras autour de mon cou :
– C’est lui qui est malade, dis-je.
Le médecin avait reculé de deux pas en se tournant vers Vitalis :
– Un singe ! criait-il, comment, c’est pour un singe que vous m’avez dérangé et par un temps pareil !
Je crus qu’il allait sortir indigné.
Mais c’était un habile homme que notre maître et qui ne perdait pas facilement la tête. Poliment et avec ses grands airs il arrêta le médecin. Puis il lui expliqua la situation : comment nous avions été surpris par la neige, et comment par la peur des loups, Joli-Cœur s’était sauvé sur un chêne où le froid l’avait glacé.
– Sans doute le malade n’était qu’un singe ; mais quel singe de génie ! et de plus un camarade, un ami pour nous ! Comment confier un comédien aussi remarquable aux soins d’un simple vétérinaire ! Tout le monde sait que les vétérinaires de village ne sont que des ânes. Tandis que tout le monde sait aussi que les médecins sont tous, à des degrés divers, des hommes de science ; si bien que dans le moindre village on est certain de trouver le savoir et la générosité en allant sonner à la porte du médecin. Enfin, bien que le singe ne soit qu’un animal, selon les naturalistes, il se rapproche tellement de l’homme que ses maladies sont celles de celui-ci. N’est-il pas intéressant, au point de vue de la science et de l’art, d’étudier par où ces maladies se ressemblent ou ne se ressemblent pas ?
Ce sont d’adroits flatteurs que les Italiens ; le médecin abandonna bientôt la porte pour se rapprocher du lit.
Pendant que notre maître parlait, Joli-Cœur qui avait sans doute deviné que ce personnage à lunettes était un médecin, avait plus de dix fois sorti son petit bras, pour l’offrir à la saignée.
– Voyez comme ce singe est intelligent, il sait que vous êtes médecin, et il vous tend le bras pour que vous tâtiez son pouls.
Cela acheva de décider le médecin.
– Au fait, dit-il, le cas est peut-être curieux.
Il était, hélas ! fort triste pour nous, et bien inquiétant : le pauvre M. Joli-Cœur était menacé d’une fluxion de poitrine.
Ce petit bras qu’il avait tendu si souvent, fut pris par le médecin, et la lancette s’enfonça dans sa veine, sans qu’il poussât le plus petit gémissement.
Il savait que cela devait le guérir.
Puis après la saignée vinrent les sinapismes, les cataplasmes, les potions et les tisanes.
Bien entendu, je n’étais pas resté dans le lit ; j’étais devenu garde-malade sous la direction de Vitalis.
Le pauvre petit Joli-Cœur aimait mes soins et il me récompensait par un doux sourire : son regard était devenu vraiment humain.
Lui naguère si vif, si pétulant, si contrariant, toujours en mouvement pour nous jouer quelque mauvais tour, était maintenant là, d’une tranquillité et d’une docilité exemplaires.
Il semblait qu’il avait besoin qu’on lui témoignât de l’amitié, demandant même celle de Capi qui tant de fois avait été sa victime.
Comme un enfant gâté, il voulait nous avoir tous auprès de lui, et lorsque l’un de nous sortait, il se fâchait.
Sa maladie suivait la marche de toutes les fluxions de poitrine, c’est-à-dire que la toux s’était bientôt établie, le fatiguant beaucoup par les secousses qu’elle imprimait à son pauvre petit corps.
J’avais cinq sous pour toute fortune, je les employai à acheter du sucre d’orge pour Joli-Cœur.
Malheureusement j’aggravai son mal au lieu de le soulager.