Читаем Sans famille полностью

– Si vous saviez comme on est bien à l’hôpital, dit-il, en continuant ; j’y ai déjà été, à Sainte-Eugénie ; il y a là un médecin, un grand blond, qui a toujours du sucre d’orge dans sa poche, c’est du cassé parce que le cassé coûte moins cher, mais il n’en est pas moins bon pour cela : et puis les sœurs vous parlent doucement : « Fais cela, mon petit ; tire la langue, pauvre petit. » Moi j’aime qu’on me parle doucement, ça me donne envie de pleurer ; et quand j’ai envie de pleurer ça me rend tout heureux. C’est bête, n’est-ce pas ? Mais maman me parlait toujours doucement. Les sœurs parlent comme parlait maman, et si ce n’est pas les mêmes paroles, c’est la même musique. Et puis, quand on commence à être mieux, du bon bouillon, du vin. Quand j’ai commencé à me sentir sans forces ici, parce que je ne mangeais pas, j’ai été content ; je me suis dit : « Je vais être malade et Garofoli m’enverra à l’hôpital. » Ah ! bien oui, malade ; assez malade pour souffrir moi-même, mais pas assez pour gêner Garofoli ; alors il m’a gardé. C’est étonnant comme les malheureux ont la vie dure. Par bonheur, Garofoli n’a pas perdu l’habitude de m’administrer des corrections, à moi comme aux autres il faut dire, si bien qu’il y a huit jours il m’a donné un bon coup de bâton sur la tête. Pour cette fois j’espère que l’affaire est dans le sac ; j’ai la tête enflée ; vous voyez bien là cette grosse bosse blanche, il disait hier que c’était peut-être une tumeur ; je ne sais pas ce que c’est qu’une tumeur, mais à la façon dont il en parlait, je crois que c’est grave ; toujours est-il que je souffre beaucoup ; j’ai des élancements sous les cheveux plus douloureux que dans des crises de dents ; ma tête est lourde comme si elle pesait cent livres ; j’ai des éblouissements, des étourdissements, et la nuit, en dormant, je ne peux m’empêcher de gémir et de crier. Alors je crois que d’ici deux ou trois jours cela va le décider à m’envoyer à l’hôpital ; parce que, vous comprenez, un moutard qui crie la nuit, ça gêne les autres, et Garofoli n’aime pas à être gêné. Quel bonheur qu’il m’ait donné ce coup de bâton ! Voyons, la, franchement, est-ce que je suis bien pâle ?

Disant cela il vint se placer en face de moi et me regarda les yeux dans les yeux. Je n’avais plus les mêmes raisons pour me taire, cependant je n’osais pas répondre sincèrement et lui dire quelle sensation effrayante me produisaient ses grands yeux brûlants, ses joues caves et ses lèvres décolorées.

– Je crois que vous êtes assez malade pour entrer à l’hôpital.

– Enfin !

Et de sa jambe traînante, il essaya une révérence. Mais presque aussitôt, se dirigeant vers la table il commença à l’essuyer.

– Assez causé, dit-il, Garofoli va rentrer et rien ne serait prêt ; puisque vous trouvez que j’ai ce qu’il me faut de coups pour entrer à l’hospice, ce n’est plus la peine d’en récolter de nouveaux : ceux-là seraient perdus ; et maintenant ceux que je reçois me paraissent plus durs que ceux que je recevais il y a quelques mois. Ils sont bons, n’est-ce pas, ceux qui disent qu’on s’habitue à tout.

Tout en parlant il allait clopin-clopant, autour de la table, mettant les assiettes et les couverts en place. Je comptai vingt assiettes, c’était donc vingt enfants que Garofoli avait sous sa direction ; comme je ne voyais que douze lits on devait coucher deux ensemble. Quels lits ! pas de draps, mais des couvertures rousses qui devaient avoir été achetées dans une écurie, alors qu’elles n’étaient plus assez chaudes pour les chevaux.

– Est-ce que c’est partout comme ici ? dis-je épouvanté.

– Où, partout ?

– Partout chez ceux qui ont des enfants.

– Je ne sais pas, je ne suis jamais allé ailleurs ; seulement, vous, tâchez d’aller ailleurs.

– Où cela ?

– Je ne sais pas ; n’importe où, vous serez mieux qu’ici.

N’importe où ; c’était vague ; et dans tous les cas comment m’y prendre pour changer la décision de Vitalis ?

Comme je réfléchissais sans rien trouver bien entendu, la porte s’ouvrit et un enfant entra ; il tenait un violon sous son bras, et dans sa main libre, il portait un gros morceau de bois de démolition. Ce morceau, pareil à ceux que j’avais vu mettre dans la cheminée, me fit comprendre où Garofoli prenait sa provision, et le prix qu’elle lui coûtait.

– Donne-moi ton morceau de bois, dit Mattia en allant au-devant du nouveau venu.

Mais celui-ci, au lieu de donner ce morceau de bois à son camarade, le passa derrière son dos.

– Ah ! mais non, dit-il.

– Donne, la soupe sera meilleure.

– Si tu crois que je l’ai apporté pour la soupe : je n’ai que trente six sous, je compte sur lui pour que Garofoli ne me fasse pas payer trop cher les quatre sous qui me manquent.

– Il n’y a pas de morceau qui tienne ; tu les payeras, va ; chacun son tour.

Mattia dit cela méchamment, comme s’il était heureux de la correction qui attendait son camarade. Je fus surpris de cet éclair de dureté dans une figure si douce ; c’est plus tard seulement que j’ai compris qu’à vivre avec les méchants on peut devenir méchant soi-même.

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