L’oncle Gaspard et Carrory, penchés en avant, tendaient vers nous leurs bras, tandis que Pagès, descendu de son palier sur le nôtre, nous éclairait. Le magister pris d’une main par l’oncle Gaspard, de l’autre par Carrory fut hissé jusqu’au palier, pendant que je le poussais par derrière. Puis quand il fut arrivé, je remontai à mon tour. Déjà il avait retrouvé sa pleine connaissance.
— Viens ici, me dit-il, que je t’embrasse, tu m’as sauvé la vie.
— Vous avez déjà sauvé la nôtre.
— Avec tout ça, dit Carrory, qui n’était point de nature à se laisser prendre par les émotions pas plus qu’à oublier ses petites affaires, ma botte est perdue, et je n’ai pas bu.
— Je vais te la chercher, ta botte. Mais on m’arrêta.
— Je te le défends, dit le magister.
— Eh bien ! qu’on m’en donne une autre, que je rapporte à boire, au moins.
— Je n’ai plus soif, dit Compayrou.
— Pour boire à la santé du magister.
Et je me laissai glisser une seconde fois, mais moins vite que la première et avec plus de précaution.
Échappés à la noyade, nous eûmes le désagrément, le magister et moi, d’être mouillés des pieds à la tête. Tout d’abord nous n’avions pas pensé à cet ennui, mais le froid de nos vêtements trempés nous le rappela bientôt.
— Il faut passer une veste à Rémi, dit le magister. Mais personne ne répondit à cet appel, qui, s’adressant à tous, n’obligeait ni celui-ci, ni celui-là.
— Personne ne parle ?
— Moi, j’ai froid, dit Carrory.
— Eh bien, et nous qui sommes mouillés, nous avons chaud !
— Il ne fallait pas tomber à l’eau, vous autres.
— Puisqu’il en est ainsi, dit le magister, on va tirer au sort qui donnera une partie de ses vêtements. Je voulais bien m’en passer. Mais maintenant je demande l’égalité.
Comme nous avions déjà été tous mouillés, moi jusqu’au cou et les plus grands jusqu’aux hanches, changer de vêtements n’était pas une grande faveur ; cependant le magister tint à ce que ce changement s’exécutât, et favorisé par le sort, j’eus la veste de Compayrou ; or, Compayrou ayant des jambes aussi longues que tout mon corps, sa veste était sèche. Enveloppé dedans, je ne tardai pas à me réchauffer.
Après cet incident désagréable qui nous avait un moment secoués, l’anéantissement nous reprit bientôt, et avec lui les idées de mort.
Sans doute ces idées pesaient plus lourdement sur mes camarades que sur moi, car tandis qu’ils restaient éveillés, dans un anéantissement stupide, je finis par m’endormir.
Mais la place n’était pas favorable et j’étais exposé à rouler dans l’eau. Alors le magister voyant le danger que je courais, me prit la tête sous son bras. Il ne me tenait pas serré bien fort, mais assez pour m’empêcher de tomber, et j’étais là comme un enfant sur les genoux de sa mère. C’était non-seulement un homme à la tête solide, mais encore un bon cœur.
Quand je m’éveillais à moitié, il changeait seulement de position son bras engourdi, puis aussitôt il reprenait son immobilité, et à mi-voix il me disait :
— Dors, garçon, n’aie pas peur, je te tiens ; dors, petit.
Et je me rendormais sans avoir peur, car je sentais bien qu’il ne me lâcherait pas. Le temps s’écoulait et toujours régulièrement nous entendions les
Chapitre 6
Sauvetage
Notre position était devenue insupportable sur notre palier trop étroit ; il fut décidé qu’on élargirait ce palier, et chacun se mit à la besogne. À coups de couteau on recommença à fouiller dans le charbon et à faire descendre les déblais.
Comme nous avions maintenant un point d’appui solide sous les pieds, ce travail fut plus facile, et l’on arriva à entamer assez la veine pour agrandir notre prison.
Ce fut un grand soulagement quand nous pûmes nous étendre de tout notre long sans rester assis, les jambes ballantes.
Bien que la miche de Carrory nous eût été étroitement mesurée, nous en avions vu le bout. Au reste, le dernier morceau nous avait été distribué à temps pour venir jusqu’à nous. Car, lorsque le magister nous l’avait donné, il avait été facile de comprendre, aux regards des piqueurs, qu’ils ne souffriraient pas une nouvelle distribution sans demander, et, si on ne la leur donnait pas, sans prendre leur part.
On en vint à ne plus parler pour ainsi dire, et autant nous avions été loquaces au commencement de notre captivité, autant nous fûmes silencieux quand elle se prolongea.
Les deux seuls sujets de nos conversations roulaient éternellement sur les deux mêmes questions : quels moyens on employait pour venir à nous, et depuis combien de temps nous étions emprisonnés.
Mais ces conversations n’avaient plus l’ardeur des premiers moments ; si l’un de nous disait un mot, souvent ce mot n’était pas relevé, ou alors qu’il l’était, c’était simplement en quelques paroles brèves ; on pouvait varier du jour à la nuit, du blanc au noir, sans pour cela susciter la colère ou la simple contradiction.
— C’est bon, on verra.