Читаем Sans famille полностью

Je n’ai pas besoin de cet article pour savoir que le petit musicien des rues, mon camarade et mon élève, est devenu un grand artiste ; j’ai vu Mattia se développer et grandir, et si, quand nous travaillions tous trois ensemble sous la direction de notre précepteur, lui, Arthur et moi, il faisait peu de progrès en latin et en grec, il en faisait de tels en musique avec les maîtres que ma mère lui donnait, qu’il n’était pas difficile de deviner que la prédiction d’Espinassous, le perruquier-musicien de Mende, se réaliserait ; cependant, cette correspondance de Vienne me remplit d’une joie orgueilleuse comme si j’avais ma part des applaudissements dont elle est l’écho ; mais ne l’ai-je-pas réellement ? Mattia n’est-il pas un autre moi-même, mon camarade, mon ami, mon frère ? ses triomphes sont les miens, comme mon bonheur est le sien.

À ce moment, un domestique me remet une dépêche télégraphique qu’on vient d’apporter :

« C’est peut-être la traversée la plus courte, mais ce n’est pas la plus agréable ; en est-il d’agréable, d’ailleurs ? Quoi qu’il en soit, j’ai été si malade que c’est à Red-Hill seulement que je trouve la force de te prévenir ; j’ai pris Cristina en passant à Paris ; nous arriverons à Chegford à quatre heures dix minutes, envoie une voiture au-devant de nous.

« Mattia. »

En parlant de Cristina, j’avais regardé Arthur, mais il avait détourné les yeux ; ce fut seulement quand je fus arrivé à la fin de la dépêche qu’il les releva.

— J’ai envie d’aller moi-même à Chegford, dit-il, je vais faire atteler le landau.

— C’est une excellente idée ; tu seras ainsi au retour vis-à-vis de Cristina.

Sans répondre, il sortit vivement ; alors je me tournai vers ma mère.

— Vous voyez, lui dis-je, qu’Arthur ne cache pas son empressement ; cela est significatif.

— Très-significatif.

Il me sembla qu’il y avait dans le ton de ces deux mots comme une nuance de mécontentement ; alors, me levant, je vins m’asseoir près de ma mère, et, lui prenant les deux mains que je baisai :

— Chère maman, lui dis-je en français, qui était la langue dont je me servais toujours quand je voulais lui parler tendrement, en petit enfant ; chère maman, il ne faut pas être peinée parce qu’Arthur aime Cristina. Cela, il est vrai, l’empêchera de faire un beau mariage, puisqu’un beau mariage, selon l’opinion du monde, est celui qui réunit la naissance à la richesse. Mais est-ce que mon exemple ne montre pas qu’on peut être heureux, très-heureux, aussi heureux que possible, sans la naissance et la richesse dans la femme qu’on aime ? Ne veux-tu pas qu’Arthur soit heureux comme moi ? La faiblesse que tu as eue pour moi, parce que tu ne peux rien refuser à l’enfant que tu as pleuré pendant treize ans, ne l’auras-tu pas pour ton autre fils ? serais-tu donc plus indulgente, pour un frère que pour l’autre ?

Elle me passa la main sur le front, et m’embrassant :

— Oh ! le bon enfant, dit-elle, le bon frère ! quels trésors d’affection il y a en toi !

— C’est que j’ai fait des économies autrefois ; mais ce n’est pas de moi qu’il s’agit, c’est d’Arthur. Dis-moi un peu où il trouvera une femme plus charmante que Cristina ? n’est-elle pas une merveille de beauté italienne ? Et l’éducation qu’elle a reçue depuis que nous avons été la chercher à Lucca, ne lui permet-elle pas de tenir sa place, et une place distinguée, dans la société la plus exigeante ?

— Tu vois dans Cristina la sœur de ton ami Mattia.

— Cela est vrai, et j’avoue sans détours que je souhaite de tout mon cœur un mariage qui fera entrer Mattia dans notre famille.

— Arthur t’a-t-il parlé de ses sentiments et de ses désirs ?

— Oui, chère maman, dis-je en souriant, il s’est adressé à moi comme au chef de la famille.

— Et le chef de la famille ?…

–… A promis de l’appuyer.

Mais ma mère m’interrompit.

— Voici ta femme, dit-elle ; nous parlerons d’Arthur plus tard.

Ma femme, vous l’avez deviné, et il n’est pas besoin que je le dise, n’est-ce pas ? ma femme, c’est la petite fille aux yeux étonnés, au visage parlant que vous connaissez, c’est Lise, la petite Lise, fine, légère, aérienne ; Lise n’est plus muette, mais elle a par bonheur conservé sa finesse et sa légèreté qui donnent à sa beauté quelque chose de céleste. Lise n’a point quitté ma mère, qui l’a fait élever et instruire sous ses yeux, et elle est devenue une belle jeune fille, la plus belle des jeunes filles, douée pour moi de toutes les qualités, de tous les mérites, de toutes les vertus, puisque je l’aime. J’ai demandé à ma mère de me la donner pour femme, et, après une vive résistance, basée sur la différence de condition, ma mère n’a pas su me la refuser, ce qui a fâché et scandalisé quelques-uns de nos parents : sur quatre qui se sont ainsi fâchés, trois sont déjà revenus, gagnés par la grâce de Lise, et le quatrième n’attend pour revenir à son tour, qu’une visite de nous dans laquelle nous lui ferons nos excuses d’être heureux, et cette visite est fixée à demain.

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