Si j’avais eu à m’occuper de ma provision de bois, je me serais levé, et, en marchant autour de la cabane, je me serais tenu éveillé ; mais, en restant assis, n’ayant d’autre mouvement à faire que d’étendre la main pour mettre des branches au feu, je me laissai aller à la somnolence qui me gagnait et, tout en me croyant sûr de me tenir éveillé, je me rendormis.
Tout à coup je fus réveillé en sursaut par un aboiement furieux.
Il faisait nuit ; j’avais sans doute dormi longtemps, et le feu s’était éteint, ou tout au moins il ne donnait plus de flammes qui éclairassent la hutte.
Les aboiements continuaient : c’était la voix de Capi ; mais, chose étrange, Zerbino, pas plus que Dolce ne répondaient à leur camarade.
— Eh bien, quoi ? s’écria Vitalis se réveillant aussi, que se passe-t-il ?
— Je ne sais pas.
— Tu t’es endormi et le feu s’éteint.
Capi s’était élancé vers la porte, mais n’était point sorti, et c’était de la porte qu’il aboyait.
La question que mon maître m’avait adressée, je me la posai : que se passait-il ?
Aux aboiements de Capi répondirent deux ou trois hurlements plaintifs dans lesquels je reconnus la voix de Dolce. Ces hurlements venaient de derrière notre hutte, et à une assez courte distance.
J’allais sortir ; mon maître m’arrêta en me posant la main sur l’épaule.
— Mets d’abord du bois sur le feu, me commanda-t-il.
Et pendant que j’obéissais, il prit dans le foyer un tison sur lequel il souffla pour aviser la pointe carbonisée.
Puis au lieu de rejeter ce tison dans le foyer, lorsqu’il fut rouge, il le garda à la main.
— Allons voir, dit-il, et marche derrière moi ; en avant, Capi !
Au moment où nous allions sortir, un formidable hurlement éclata dans le silence, et Capi se rejeta dans nos jambes, effrayé.
— Ce sont des loups ; où sont Zerbino et Dolce ?
À cela je ne pouvais répondre. Sans doute les deux chiens étaient sortis pendant mon sommeil ; Zerbino réalisant le caprice qu’il avait manifesté, et que j’avais contrarié, Dolce suivant son camarade.
Les loups les avaient-ils emportés ? Il me semblait que l’accent de mon maître, lorsqu’il avait demandé où ils étaient, avait trahi cette crainte.
— Prends un tison, me dit-il, et allons à leur secours.
J’avais entendu raconter dans mon village d’effrayantes histoires de loups ; cependant je n’hésitai pas ; je m’armai d’un tison et suivis mon maître.
Mais lorsque nous fûmes dans la clairière nous n’aperçûmes ni chiens, ni loups.
On voyait seulement sur la neige les empreintes creusées par les deux chiens.
Nous suivîmes ces empreintes ; elles tournaient autour de la hutte ; puis à une certaine distance se montrait dans l’obscurité un espace où la neige avait été foulée, comme si des animaux s’étaient roulés dedans.
— Cherche, cherche, Capi, disait mon maître et en même temps il sifflait pour appeler Zerbino et Dolce.
Mais aucun aboiement ne lui répondait, aucun bruit ne troublait le silence lugubre de la forêt, et Capi, au lieu de chercher comme on lui commandait, restait dans nos jambes, donnant des signes manifestes d’inquiétude et d’effroi, lui qui ordinairement était aussi obéissant que brave.
La réverbération de la neige ne donnait pas une clarté suffisante pour nous reconnaître dans l’obscurité et suivre les empreintes ; à une courte distance, les yeux éblouis se perdaient dans l’ombre confuse.
De nouveau, Vitalis siffla, et d’une voix forte il appela Zerbino et Dolce.
Nous écoutâmes ; le silence continua ; j’eus le cœur serré.
Pauvre Zerbino ! Pauvre Dolce !
Vitalis précisa mes craintes.
— Les loups les ont emportés, dit-il ; pourquoi les as-tu laissés sortir ?
Ah ! oui, pourquoi ? Je n’avais pas, hélas ! de réponse à donner.
— Il faut les chercher, dis-je.
Et je passai devant ; mais Vitalis m’arrêta.
— Et où veux-tu les chercher ? dit-il.
— Je ne sais pas, partout.
— Comment nous guider au milieu de l’obscurité, et dans cette neige ?
Et, de vrai, ce n’était pas chose facile ; la neige nous montait jusqu’à mi-jambe, et ce n’étaient pas nos deux tisons qui pouvaient éclairer les ténèbres.
— S’ils n’ont pas répondu à mon appel, c’est qu’ils sont… bien loin, dit-il ; et puis, il ne faut pas nous exposer à ce que les loups nous attaquent nous-mêmes ; nous n’avons rien pour nous défendre.
C’était terrible d’abandonner ainsi ces deux pauvres chiens, ces deux camarades, ces deux amis, pour moi particulièrement, puisque je me sentais responsable de leur faute ; si je n’avais pas dormi, ils ne seraient pas sortis.
Mon maître s’était dirigé vers la hutte et je l’avais suivi, regardant derrière moi à chaque pas et m’arrêtant pour écouter ; mais je n’avais rien vu que la neige, je n’avais rien entendu que les craquements de la neige.
Dans la hutte, une surprise nouvelle nous attendait ; en notre absence, les branches que j’avais entassées sur le feu s’étaient allumées, elles flambaient, jetant leurs lueurs dans les coins les plus sombres.
Je ne vis point Joli-Cœur.
Sa couverture était restée devant le feu, mais elle était plate et le singe ne se trouvait pas dessous.