Читаем Tango chinetoque полностью

On se remet en marche tous les trois. Je suis vanné. Les maisons tallgotent autour de nous. Il me semble qu'elles vont s'écrouler comme au cinoche, dans les films où l'on voit un typhon, avec les toitures qui font du cerf-volant, et les murs qui se mettent en portefeuille.

Une pluie épaisse, gluante, se met soudain à vaser. Elle nous cingle le dos violemment. Elle brûle, ma parole.

— Va falloir trouver un abri ! déclare le Gros. Déjà que j'aime pas l'eau dans le pernod, alors tu juges !

Nous nous collons sous un auvent en forme de pétale, pour attendre que ça se tasse. Une enseigne balancée par la bourrasque geint tristement de l'autre côté de la rue. Je la regarde machinalement et je secoue le brandillon du Mastar.

— A ton avis, ça représente quoi cette enseigne ? le questionné-je.

Il se détronche, plissant ses sourcils roussis par l'incendie de la jeep pour mieux voir.

— Un lézard, non ? propose mon Fervent.

— Et de quelle couleur est-il ?

— Doré.

— Il s'agit du fait d'un Caméléon doré. La fille que je cherche habite dans cette rue. Encore une fois louons la Providence !

— On ferait mieux de louer nos places pour le retour ! amertume le Gravos.

Des trombes d'eau s'abattent sur nous. J'ai rarement vu lancquiner à ce point ! La flotte tombe avec une telle violence qu'elle rejaillit jusqu'à hauteur de la ceinture en touchant le sol.

— On pourrait se faire opérer de la cataracte ! biraudise Béru.

— Attends-moi là avec ton ovin, je reviens !

La tête rentrée dans les épaules j'affronte l'averse. Je passe en revue chacune des maisons de la rue. Ce sont d'assez bettes constructions, survivance de l'époque où la Chine était entre les mains des vipères lubriques. Le progrès socialiste n'a pas encore pris pleinement possession de ce pays reculé et il y flotte encore une atmosphère bizarre, anachronique.

Ayant parcouru un côté de la rue, je la traverse pour prospecter l'autre. Je tombe bientôt en arrêt devant une boutique dans la vitrine de laquelle on a placé des photographies de cercueils. Elles ont une forme bizarroïde, les boites à osselets, ici. Elles sont laquées rouge avec des dessins dorés qui représentent : un chapeau de gendarme, une échelle de pompier, un escargot stylisé, une pince à sucre à tréma, et une clé à molette. Le tout signifiant je pense : A notre défunt regretté.

Je vais pour continuer ma revue de façades lorsqu'il me revient en mémoire que la fille dont m'a parlé le professeur est embaumeuse. Que faire ? En frappant à une mauvaise lourde je risque de rameuter la garde. Pourtant la pluie torrentielle et l'imminence du jour m'incite à prendre mes responsabilités.

Toc-toc ! Ça y est, j'ai cogné à la porte. J'attends, la main crispée sur la crosse de ma mitraillette… Quelle peut être, la réaction d'une demoiselle à laquelle deux hommes pas rasés, aux torses nus, armés de mitraillette et suivis d'un mouton demandent asile à quatre heures du matin ?

Une lumière filtrant sous la porte m'annonce que je vais bientôt le savoir. Une voix de femme me pose une question à travers le panneau de bois. En chinetoque, naturellement, pourquoi s'en priverait-elle, en somme, puisque nous sommes en Chine ?

Une dernière hésitation de ma part et je murmure, dans un français sans accent :

— Je suis un ami du professeur Gî Ber Jeûn.

On ne délourde pas. Silence et méditation. Je rassemble mes souvenirs et je déballe tant bien que mal la phrase sésame du vieillard :

— Si tâbo bopr an d'lasprô.

Illico, le loké est tiré. L'huis s'entrebâille comme l'huître que vous oubliez sur le radiateur du chauffage central et j'aperçois une silhouette sombre.

— Qui êtes-vous ? questionne-t-elle dans ce beau langage pour lequel Molière fit tant et moi si peu.

— Je voudrais parler à Mlle Ko Man Kélé.

— C'est moi, déclare la forme noire.

A cause de la pluie fracassante, elle reste à l'intérieur de son logis, si bien qu'il m'est impossible de voir encore son visage. Mais la voix est jolie, harmonieuse et calme.

Miss Ko Man Kélé ne s'émeut pas de voir cette espèce d'aventurier sur son paillasson.

— J'ai besoin d'aide, mademoiselle, et le professeur m'a dit que je pouvais compter sur la vôtre !

— Entrez !

— C'est que je ne suis pas seul, un ami m'attend au bout de la rue !

— Allez le chercher !

Je me contente de siffler entre mes doigts d'une façon convenue. Bientôt la forme massive du gros apparaît, galopante sous la flotte. Je les vois avec des yeux étrangers, lui est son bélier, et je me dis que ce gros saint Jean-Baptiste la fout plutôt mal. Que va penser notre hôtesse de ce surprenant équipage ?

— Ça biche ? interroge le Dodu, haletant.

La silhouette sombre s'efface.

— Entrez !

Nous pénétrons dans une large pièce qui sent le fade, le musc et une autre odeur indéfinissable, obsédante. Une faible loupiote brille, répandant une lumière rouge, très boxon.

J'avise alors la jeune fille qui nous accueille. J'en ai les nerfs qui se trémoussent.

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