Le parti révolutionnaire, en Allemagne surtout, paraît s’être persuadé que puisque lui-même faisait si bon marché de l’élément national, il en serait de même dans tous les pays soumis à son action et que partout et toujours la question de principe primerait la question de nationalité. Déjà les événements de la Lombardie ont dû faire faire de singulières réflexions aux étudiants réformateurs de Vienne, qui s’étaient imaginé qu’il suffisait de chasser le prince de Metternich et de proclamer la liberté de la presse pour résoudre les formidables difficultés qui pèsent sur la monarchie autrichienne. Les Italiens n’en persistent pas moins à ne voir en eux que des Tedeschi
et des Barbari, tout comme s’ils ne s’étaient pas régénérés dans les eaux lustrales de l’émeute. Mais l’Allemagne révolutionnaire ne tardera pas à recevoir à cet égard une leçon plus significative et plus sévère encore, car elle lui sera administrée de plus près. En effet, on n’a pas pensé qu’en brisant ou en affaiblissant tous les anciens pouvoirs, qu’en remuant jusque dans ses profondeurs tout l’ordre politique de ce pays, on allait y réveiller la plus redoutable des complications, une question de vie et de mort pour son avenir — la question des races. On avait oublié qu’au cœur même de cette Allemagne, dont on rêvel’unité, il y avait dans le bassin de la Bohême et dans les pays slaves qui l’entourent six à sept millions d’hommes pour qui, de générations en générations, l’Allemand depuis des siècles n’a pas cessé d’être un seul instant quelque chose de pis qu’un étranger, pour qui l’Allemand est toujours un Немец
…Il ne s’agit pas ici bien entendu du patriotisme littéraire de quelques savants de Prague, tout honorable qu’il puisse être; ces hommes ont rendu sans doute de grands services à la cause de leur pays et ils lui en rendront encore; mais la vie de la Bohême n’est pas là. La vie d’un peuple n’est jamais dans les livres que l’on imprime pour lui, à moins toutefois que ce ne soit le peuple allemand; la vie d’un peuple est dans ses instincts et dans ses croyances, et les livres, il faut l’avouer, sont bien plus puissants pour les énerver et les flétrir que pour les ranimer et les faire vivre. Tout ce qui reste donc à la Bohême de vraie vie nationale est dans ses croyances Hussites, dans cette protestation toujours vivante de sa nationalité slave opprimée contre l’usurpation de l’Eglise romaine, aussi bien que contre la domination allemande. C’est là le lien qui l’unit à tout son passé de luttes et de gloire, et c’est là aussi le chaînon qui pourra rattacher un jour le Чех de la Bohême à ses frères d’Orient. On ne saurait assez insister sur ce point, car ce sont précisément ces réminiscences sympathiques de l’Eglise d’Orient, ce sont ces retours vers la vieille foi dont le hussitisme dans son temps n’a été qu’une expression imparfaite et défigurée, qui établissent une différence profonde entre la Pologne et la Bohême: entre la Bohême ne subissant que malgré elle le joug de la communauté occidentale, et cette Pologne factieusement catholique — séide fanatique de l’Occident et toujours traître vis-à-vis des siens.