Nous sommes maintenant en plein carnaval. Les bals se suivent sans interruption. Nous allons beaucoup dans le monde. J’y vais plutôt par nécessité que par goût. Car la distraction quelqu’elle soit est devenue une véritable nécessité pour moi… Dernièrement
On sait aussi ici que le Comte de Nesselrode avait l’intention de venir l’été prochain en Allemagne, probablement aux eaux de Bohème. Je désire beaucoup que cela se fasse. Car toutes ces puissances sont plus accessibles et plus maniables en pays étranger que chez elles. Aussi dès que je le saurai à Carlsbad, j’irai le trouver*
. Je ne sais pas encore au juste ce que je lui demanderai, mais je demanderai… Une place de secrétaire de légation ne pourrait me convenir. Je ne l’accepterai, en aucun cas. Reste à savoir, s’ils consentiront à me nommer conseiller d’ambassade ou, à défaut d’un poste semblable, à me donner une place un peu convenable au département…Dernièrement j’ai eu la boucle de service pour quinze ans… C’est une assez triste indemnité pour quinze années de vie — et quelles années. Mais, puisqu’en fin j’étais destiné à y survivre, — acceptons la vie et la boucle telles qu’elles nous viennent. Si seulement on pouvait oublier…
Ce 3 février
Parlons maintenant de mes affaires. Il y a six mois que je me propose de vous en parler. Mais une invincible répugnance m’a empêché jusqu’à présent d’aborder ce sujet. Et si vous n’avez pas, cher papa, parlé le premier, peut-être aurais-je persévéré à me taire. J’ai appris avec peine la gêne du moment que les mauvaises récoltes de l’année dernière vous font éprouver et je serais désespéré de venir dans un pareil moment. Soyez bien persuadé que s’il ne s’agissait que de moi j’aurais dès à présent renoncé de bon cœur et à tout jamais à la pension que vous me faisiez autrefois. Ma femme, sans avoir une grande fortune, en a assez pour nous faire vivre tous les deux, et elle ne demanderait pas mieux que de la dépenser pour moi, jusqu’au dernier sou. Aussi depuis le mois de juillet dernier moi aussi, bien que les enfants, nous vivons entièrement à son frais, et de plus, aussitôt après notre mariage elle a payé pour moi