On parle d'une guerre entre la Russie et la Turquie. Le d'esir d'une rupture avec la Porte est 'evident chez l'empereur Nicolas; peu scrupuleux sur les moyens, il s'est content'e d'un pr'etexte priv'e de fondement et d'une r'evoltante inhumanit'e. Il est 'etonnant qu'un homme de l'habilet'e de M. Titof, jadis litt'erateur lib'eral de Moscou, n'ait pas trouv'e un meilleur pr'etexte, au moins dans l'int'er^et de sa r'eputation.
Chose 'etrange! L'empereur Nicolas, apr`es un r`egne de 24 ans, se montre pers'ecuteur aussi implacable qu'aux premiers jours de son av`enement. Le monde commencait d'ej`a `a oublier les jours n'efastes o`u r'egnait
Or, voici qu'il se pr'esente aux yeux du monde, jetant le grand d'efi `a la Turquie, sous pr'etexte que la Porte, se souvenant qu'elle n'est ni chr'etienne, ni civilis'ee, refuse de livrer sept `a huit cents h'eros qu'il veut fusiller.
En v'erit'e, l'offense est grave; et entre amis on ne se refuse pas ces petits services!
Cet incident se terminera peut-^etre sans d'egainer; notre si`ecle impuissant et d'ecr'epit semble quelquefois prendre une 'energique r'esolution, mais retombe aussit^ot sans avoir rien fait. Ainsi la R'evolution de F'evrier fut suivie d'un mouvement r'etrograde qui nous reporte au del`a de 1789. – Toutefois, la guerre entre la Porte et la Russie ne peut ^etre que diff'er'ee.
Byzance est le r^eve constant de la Russie, le fanal que, depuis le Xe si`ecle, elle n'a jamais perdu de vue. Byzance est pour les barbares orientaux la Rome orientale. Le peuple russe l'appelle
Le moment de faire la guerre n'est pas mal choisi, et peut-^etre verrons-nous l'aigle `a deux t^etes d'etacher son vol des glaces du nord et se reposer sur le croissant qui surmonte les coupoles chr'etiennes de Sainte-Sophie. Stamboul tombera, Byzance resurgira! Que les destins s'accomplissent!
Que signifie cet instinct, cette tendance 'eternelle et fatale qui pousse les Slavo-Russes vers Byzance, depuis les Var`egues, depuis Oleg et Sviatoslaw qui all`erent clouer l''ecusson de la barbarie et du paganisme sur les murailles de la capitale de l'empire d'Orient, jusqu'`a l'empereur Nicolas! Est-ce une inclination naturelle, une loi physiologique, ou, si vous voulez, une fatalit'e?
Dans l'int'er^et de l'empereur, je lui conseillerais cependant de ne pas s'aventurer dans cette guerre et d'y penser m^urement avant de l'entreprendre.
Vous croyez peut-^etre que je voudrais l'en d'etourner par la crainte que ses troupes ne soient battues? Non; l'arm'ee russe sera victorieuse.
Vous croyez, peut-^etre, que l'Europe ne le permettrait pas? Non; l'Europe permettra tout.
Je sais tr`es bien qu'une telle guerre fera beaucoup de bruit. On lancera des notes diplomatiques; on exp'ediera des diplomates notables. On fera faire une promenade militaire `a quelque corps d'arm'ee; une autre promenade aux flottes sur la mer. On profit'era de ce pr'etexte pour faire voter des cr'edits suppl'ementaires. On prononcera dans les parlements de magnifiques discours qui renverseront les minist`eres. On fera des rassemblements dans les rues. On imprimera dans les journaux des articles fulminants et des appels au Peuple. On tentera des manifestations pacifiques qui donneront l'occasion aux amis de l'ordre de fusiller et d'eporter leurs ennemis. Puis, les ministres viendront d'eclarer que l'empereur de Russie a donn'e des explications franches et satisfaisantes; qu'il ne veut pas agrandir ses Etats; que la guerre contre la Turquie n'est dirig'ee que contre les doctrines perverses et subversives; qu'il s'agit seulement de frapper le Socialisme `a Constantinople, – et le silence se fera. L'Europe a-t-elle emp^ech'e la Russie de d'evorer la Pologne, de d'evaster la Hongrie et de