Ariel marcha encore quelques instants de long en large avant de répliquer : « Personne n’est parfait, docteur Cole. Je vous ai dit qu’Orrin était doux et c’est la vérité. J’ai peut-être un peu exagéré la dernière fois qu’on a parlé, mais vous travailliez pour ceux qui l’avaient enfermé, je ne voulais rien dire qui puisse aggraver son cas.
— Aggraver comment ?
— Orrin s’est un peu battu dans son enfance. Il met du temps à s’énerver, docteur Cole, et il déteste les bagarres, mais ça veut pas dire qu’il s’est jamais bagarré. Les gamins du voisinage l’embêtaient, l’injuriaient et tout. En général, Orrin s’enfuyait, mais de temps en temps, il perdait patience. »
Sandra et Bose échangèrent un regard. « C’est arrivé souvent ? demanda ce dernier à Ariel.
— Oh, je ne sais pas. Peut-être une ou deux fois par an quand il était plus jeune.
— Il y a eu des occasions où ça a été grave ? Où soit il a été blessé, soit il a blessé quelqu’un ?
— Non…
— Tout ce que vous pourrez nous dire nous aidera peut-être à le retrouver.
— Je ne vois pas comment. » Un silence. « Bon, un jour, il a frappé le petit Lewisson assez fort pour qu’il ait besoin de se faire recoudre l’arcade. Sinon, c’était juste des petites bagarres. Peut-être un ou deux yeux au beurre noir. Des fois, c’est Orrin qui s’en sortait le plus mal. Des fois non. » Elle ajouta ensuite : « Il avait toujours honte, après.
— D’accord. Merci. Vous vous souvenez si Orrin a parlé d’autre chose, ce matin ? N’importe quoi, même si ça n’a pas l’air important.
— Non. Juste du temps, comme j’ai dit. Les prévisions météo de la radio l’ont intéressé, au restaurant. Elles annoncent de fortes pluies pour ce soir. Ça l’a excité. “Je pense que c’est pour ce soir”, qu’il a dit. “C’est le grand soir.”
— Une idée de ce qu’il voulait dire par là ?
— Eh bien, il a toujours aimé les tempêtes. Le tonnerre et tout. »
Bose convainquit Ariel de rester dans la chambre, « sinon je vais me retrouver à devoir vous chercher aussi ». Et Ariel s’était suffisamment calmée pour voir que cela valait mieux.
« Mais vous m’appelez, d’accord ? Dès que vous savez quelque chose ?
— Je vous appellerai qu’on sache quelque chose ou pas. »
Bose alla ensuite discuter quelques minutes avec le réceptionniste. Celui-ci lui apprit qu’il avait vu Orrin attendre le bus qui allait au centre-ville. Qu’il ne l’avait pas vu monter dedans, non, qu’il avait juste remarqué un type maigre en jean déchiré et tee-shirt jaune attendre debout au soleil au bord de la route. « C’est chercher le coup de chaleur, par un temps pareil, si vous voulez mon avis. Ces bus-là ne passent que tous les trois quarts d’heure. »
« Donc, on fait quoi ? demanda Sandra à Bose quand il revint.
— Ça dépend. Tu veux rester ici avec Ariel, peut-être ?
— Peut-être pas.
— Je pense à deux ou trois endroits où on pourrait le chercher.
— Tu veux dire que tu sais où il est allé ?
— J’ai mon idée », répondit Bose.
22
Récit d’Allison
Isaac Dvali a expliqué de quelle manière il avait coupé la surveillance du Réseau. Assis sans bouger, Turk nous observait avec méfiance, Isaac et moi.
« C’est vrai », ai-je dit ensuite avant de raconter le reste de l’histoire : j’avais discuté avec Isaac quelques jours plus tôt, il était au courant de notre plan et (du moins pour le moment) le Réseau n’entendait pas le moindre mot de notre conversation.
Je n’ai été certaine qu’il me croyait qu’en le voyant se lever et s’approcher de moi : nous avons échangé un regard, notre premier regard sincère depuis que nous avions commencé à préparer notre évasion. Puis, dans les bras l’un de l’autre, nous avons essayé de dire tout ce que nous voulions dire, ce qui n’a guère donné qu’un galimatias de joie et de tristesse. Mais les mots importaient peu. Il me suffisait de pouvoir le serrer contre moi sans avoir à en faire un mensonge. Ma main a alors effleuré le nœud sur sa nuque : une portion de peau parcheminée, une bosse de chair. Il a tressailli et nous nous sommes détachés l’un de l’autre.
Il s’est tourné vers Isaac. « Merci de l’avoir fait…
— Pas de quoi.
— … mais c’est un peu déroutant. J’ai connu Isaac Dvali dans le désert d’Équatoria. Tu lui ressembles, compte tenu de ce qui s’est passé, et je sais qu’on t’a reconstruit à partir du corps d’Isaac. Mais tu dois être en grande partie purement Vox. Et pour être honnête, tu ne parles pas vraiment comme l’Isaac que j’ai connu.
— Je ne suis
Turk le regardait avec une attention caractéristique du Réseau, lisait les signes invisibles. « Ce que je veux dire, c’est que je ne comprends pas ce que tu fais ici. Je ne sais pas ce que tu veux. »