— C’est moi, dit une voix perçante. Ariel Mather… c’est vous, agent Bose ?
— Oui, Ariel. Un problème ?
— C’est Orrin !
— Il va bien ?
— Je n’en sais
— D’accord. Ne bougez pas, attendez-nous. On arrive. » Sandra vit son expression changer, ses lèvres se raidir et ses yeux se plisser.
20
Récit de Turk
1
Alors que j’émergeais de l’anesthésie après l’opération, pas tout à fait réveillé et plus complètement endormi, un homme en feu m’est apparu, un homme en feu qui sautillait dans une mare de flammes, le regard fixé sur moi dans les ondulations de l’air surchauffé.
La vision avait toutes les caractéristiques d’un cauchemar. Sauf que ce n’était pas un rêve, mais un souvenir.
L’équipe médicale m’avait montré l’implant limbique avant de me l’installer. Je crois qu’ils ont pris ma réaction horrifiée pour une appréhension préopératoire.
Le nœud consistait en un disque noir flexible large de quelques centimètres et épais d’environ huit millimètres. Il était recouvert de petites excroissances en forme de têtes d’épingle, sur lesquelles pousseraient des fibres de tissu nerveux artificiel une fois le nœud alimenté en sang par les capillaires avoisinants. Aussitôt installé ou presque, il se connecterait au Réseau et ses nerfs artificiels rejoindraient la moelle épinière en quelques jours, puis commenceraient à s’insinuer dans les régions adéquates de mon cerveau.
L’équipe médicale m’a demandé si je comprenais tout cela. J’ai répondu que oui.
Puis : la piqûre d’une injection anesthésique, un tampon froid sur ma nuque, l’inconscience tandis que le chirurgien brandissait son scalpel.
L’homme en feu avait été gardien de nuit dans l’entrepôt de mon père à Houston.
Je ne le connaissais pas. Je l’avais tué sans préméditation et au tribunal, l’accusation de meurtre aurait pu être réduite à homicide involontaire. Mais je n’avais jamais été jugé.
Je n’ai raconté que deux fois cette histoire… une fois ivre et l’autre sobre, une fois à un inconnu et l’autre à la femme dont j’étais tombé amoureux. Mais je n’avais jamais tout dit et toujours inventé un peu. Même quand j’essayais sincèrement de me confesser, je m’empêtrais systématiquement dans les mensonges.
Les gens à qui je m’étais confessé n’existaient plus depuis dix mille ans, mais l’homme en feu restait prisonnier de ma conscience, dans laquelle il n’avait jamais cessé de brûler. Je venais de donner les clefs de ma conscience au Coryphée et j’ignorais ce que cela pourrait signifier.
2
Après l’intervention chirurgicale, ce n’est pas chez moi que j’ai d’abord remarqué du changement, mais chez les autres, surtout sur leurs visages.
J’ai ressenti certains des effets secondaires dont on m’avait parlé – vertiges, perte d’appétit –, mais peu prononcés et passagers. Ce n’était pas ce que je ressentais qui m’effrayait, mais ce que je pourrais ne
Les médecins avaient prescrit des exercices de ce qu’ils appelaient « aptitudes volitives interactives », c’est-à-dire la capacité à manipuler des surfaces de contrôle sensibles aux nœuds, des choses aussi simples qu’activer un affichage à la fois par le contact et par la volonté. Ce serait de ces compétences dont j’aurai besoin pour nous enfuir en avion de Vox, aussi me suis-je efforcé de les acquérir rapidement. Oscar, qui passait parfois surveiller mes derniers progrès, m’a apporté au cours d’une de ses visites une sélection d’appareils d’apprentissage destinés aux enfants voxais : des jouets-Réseau qui changeaient de couleur ou produisaient de la musique quand je le leur disais. Sauf que la plupart du temps, ils ne le faisaient pas. Le nœud n’avait pas fini de s’introduire dans les zones clés de mon cerveau, d’apprendre à intensifier ou diminuer l’activité d’endroits particuliers ; les boucles de rétroaction requises n’étaient pas encore toutes établies ou stabilisées. Oscar m’a conseillé d’être patient.