Un Chirurgien Accoucheur représente à Messieurs les Docteurs de Sorbonne, qu’il y a des cas, quoique très rares, où une mère ne sçauroit accoucher, et même où l’enfant est tellement renfermé dans le sein de sa mère, qu’il ne fait paroître aucune partie de son corps, ce qui seroit un cas, suivant le Rituels, de lui conférer, du moins sous condition, le baptême. Le Chirurgien, qui consulte, prétend, par le moyen d’une petite canule, de pouvoir baptiser immédiatement l’enfant, sans faire aucun tort à la mère. — — Il demande si ce moyen, qu’il vient de proposer, est permis et légitime, et s’il peut s’en servir dans les cas qu’il vient d’exposer.
Le Conseil estime, que la question proposée souffre de grandes difficultés. Les Théologiens posent d’un cote pour principe, que le baptême, qui est une naissance spirituelle, suppose une première naissance; il faut être né dans le monde, pour renaître en Jesus Christ, comme ils l’enseignent. S. Thomas, 3 part, quaest. 88, art. 11, suit cette doctrine comme une vérité constante; l’on ne peut, dit ce S. Docteur, baptiser les enfans qui sont renfermés dans le sein de leurs mères; et S. Thomas est fonde sur ce, que les enfans ne sont point nés, et ne peuvent être comptés parmi les autre hommes; d’où il conclude, qu’ils ne peuvent être l’objet d’une action extérieure, pour recevoir par leur ministère les sacremens nécessaires au salut : Pueri in maternis uteris existentes nondum prodierunt in lucem, ut cum aliis hominibus vitam ducant; unde non possunt subjici actioni humanae, ut per eorum ministerium sacramenta recipiant ad salutem. Les rituels ordonnent dans la pratique ce que les théologiens ont établi sur les mêmes matières; et ils deffendent tous d’une manière uniforme, de baptiser les enfans qui sont renfermes dans le sein de leurs meres, s’ils ne font paroître quelque partie de leurs corps. Le concours des théologiens et des rituels, qui sont les règles des diocèses, paroit former une autorité qui termine la question présenté; cependant le conseil de conscience considerant d’un côté, que le raisonnement des théologiens est uniquement fonde sur une raison de convenance, et que la deffense des rituels suppose que l’on ne peut baptiser immédiatement les enfans ainsi renfermes dans le sein de leurs mères, ce qui est contre la supposition présenté; et d’une autre côté, considerant que les mêmes théologiens enseignent, que l’on peut risquer les sacremens que Jesus Christ a établis comme des moyens faciles, mais nécessaires pour sanctifier les hommes; et d’ailleurs estimant, que les enfans enfermés dans le sein de leurs mères pourroient être capables de salut, parce qu’ils sont capables de damnation ; — pour ces considerations, et en égard à l’exposé, suivant lequel on assure avoir trouvé un moyen certain de baptiser ces enfans ainsi renfermés, sans faire aucun tort a la mère, le Conseil estime que l’on pourvoit se servir du moyen proposé, dans la confiance qu’il a, que Dieu n’a point laissé ces sortes d’enfans sans aucun secours, et supposant, comme il est exposé, que le moyen dont il s’agit est propre à leur procurer le baptême; cependant comme il s’agiroit en autorisant la pratique proposée, de changer une regle universellement établie, le Conseil croit que celui qui consulte doit s’addresser a son évêque, et a qui il appartient de juger de l’utilité et du danger du moyen proposé, et comme, sous le bon plaisir de l’évêque, le Conseil estime qu’il faudrait recourir au Pape, qui a le droit d’expliquer les règles de l’église, et d’y déroger dans le cas, où la loi ne sçauroit obliger, quelque sage et quelque utile que paroisse la manière de baptiser dont il s’agit, le Conseil ne pourroit l’approuver sans le concours de ces deux autorités. On conseille au moins a celui qui consulte, de s’addresser à son évêque, et de lui faire part de la présente décision, afin que, si le prélat entre dans les raisons sur lesquelles les docteurs soussignés s’appuyent, il puisse être autorisé dans le cas de nécessité, ou il risqueroit trop d’attendre que la permission fût demandée et accordée d’employer le moyen qu’il propose si avantageux au salut de l’enfant. Au reste, le Conseil, en estimant que l’on pourroit s’en servir, croit cependant, que si les enfans dont il s’agit, venoient au monde, contre l’espérance de ceux qui se seroient servis du même moyen, il seroit nécessaire de le baptiser sous condition, et en cela le Conseil se conforme a tous les rituels, qui en autorisant le baptême d’un enfant qui fait paroître quelque partie de son corps, enjoignent néantmoins, et ordonnent de le baptiser sous condition, s’il vient heureusement au monde.
Délibéré en Sorbonne, le 10 Avril, 1733.