Immédiatement, le frère Corvinus s'est aperçu qu'il perdait ses forces et l'a assis sous un vieux chêne pour l'écouter.
Le garçon a plongé son regard agonisant dans celui du prêtre.
Varrus, en pleurs, s'est incliné paternellement et a demandé avec affection :
Tu te souviens de Jésus, mon fils ?
Oui, Monsieur.... — a-t-il répondu d'une voix faible.
Mais, se révélant bien loin des questions transcendantes à la foi — cette fleur humaine avide de tendresse —, s'exclama à son bienfaiteur :
Papa, prends-moi dans tes bras... J'ai froid... Varrus Quint a compris.
Et comme s'il désirait le réchauffer avec la chaleur de son âme, il l'a étreint contre son
cœur.
Il était trop tard. Silvain était mort.
Ce pénible événement présageait de sombres horizons pour l'avenir de l'église.
Abattu et désenchanté, le prêtre se demandait si cette visite n'avait pas été le fruit de la précipitation. Mais — se disait-il —, serait-ce de la légèreté que d'offrir à quelqu'un ce que l'on possède de meilleur en soi en toute pureté de sentiment ? Ces petits apprentis de l'Évangile étaient pour lui toute la grandeur de son travail. Serait-il accusé par les circonstances de tout faire pour éveiller un fils à la vérité ? Comment arriver à se comprendre avec Tatien, sans toucher ses fibres les plus intimes ? Une fois remis sur pied, le jeune homme serait à nouveau invité à la vie sociale intense. Il découvrirait ses activités. Il serait bien obligé d'adopter une attitude. N'était-il donc pas préférable de l'informer, indirectement, de ses activités chrétiennes ? Était-il une meilleure manière de le faire qu'en lui présentant ses principes à travers une démonstration pratique de son travail ? Si son fils ne supportait d'entendre des références faites à la Bonne Nouvelle à travers les lèvres d'un enfant lors d'une prière, comment pourrait-il supporter des allusions faites à Jésus lors de discussions stériles ? Lui, Varrus, ne pouvait pas hésiter entre ses sentiments personnels et l'Évangile. Son devoir envers l'humanité dépassait ses liens consanguins. Et bien que connaissant une telle vérité, il pensait être licite d'agir malgré tout en faveur de son cher enfant.
Tatien, néanmoins, était resté imperméable et implacable.
Il semblait très loin de toute ouverture à la justice elle-même.
Son esprit était pétrifié dans un orgueil ethnique et une fausse culture. Par l'explosion de la colère manifestée à l'audition de la simple énonciation du nom du Christ, il avait dénoncé l'antagonisme irrémédiable peut-être qui les séparait...
Profondément consterné, il s'est réfugié dans la prière.
Dans la communauté évangélique, personne n'a commenté défavorablement les tristes épisodes qui eurent pour résultat le décès de l'enfant. Le frère Corvinus était bien trop respecté pour provoquer toute critique discourtoise à sa conduite.
En ville, cependant, le sujet brûlant allait grandissant.
Les courants d'opinion nés des événements à la résidence de Veturius s'éparpillaient, maintenant, un peu partout. Pour la majorité des spectateurs, Tatien était présenté comme un héros empoignant le glaive vengeur des divinités de l'Olympe, mais pour le groupe sympathisant du christianisme, il apparaissait comme le terrible symbole de nouvelles persécutions.
Les chrétiens étaient communément accusés d'enchantements honteux et détestables et de pratiques de sorcellerie dont l'infanticide faisait partie. En conséquence, ils n'étaient pas rares ceux qui voyaient en la mort de Silvain certaines relations avec la sorcellerie et la pratique de la magie.
De terribles tableaux étaient dépeints par l'imagination populaire exaltée et la veuve Mercia, mère du garçon décédé, a été convoquée pour accusation.
Dans cette atmosphère asphyxiante, le fils de Cintia a reçu la visite de personnalités romaines qui le félicitèrent de son esprit réactionnaire et vigilant. Revigoré par de telles ovations, le jeune homme s'est senti habilité à des agissements d'une plus grande envergure.
Même le questeur Quirinus Eustasius, un vieux patricien retraité de la classe politique dirigeante, mais toujours influent auprès de la propréture en Gaule lugdunienne, est venu lui faire ses compliments dans un style pompeux.
Parmi les thèmes abordés, le sujet favori du jour ne pouvait manquer.
Je crois que la jeunesse romaine ne pouvait nous envoyer en province un plus digne ambassadeur — ajouta le courtisan avec ce timbre de voix calculé des personnes livrées à la flatterie. — La doctrine déplorable et proscrite des juifs s'insinue effroyablement, menaçant nos traditions. Cette ville est pleine d'anachorètes venus d'Asie, de prophètes vagabonds, de prédicateurs et de fantômes. Je suis domicilié ici depuis la belle époque de notre magnanime empereur Septime Sévère — que les dieux le gardent dans leur gloire divine — et je peux affirmer en toute conviction que ce mouvement n'est rien qu'une folie collective capable de nous mener à la perte.