Quand le patient eut récupéré sa lucidité, il l'a étreint, identifiant manifestement en lui, non seulement le jardinier en chef de la maison mais aussi un bienfaiteur inoubliable.
Se sentant infiniment attiré par cet homme humble et persévérant qui lui rendait visite, Tatien appréciait sa conversation et pendant de longues heures ils échangeaient des idées sur la science ou l'art, la culture et la philosophie.
Ils s'intéressaient aux mêmes sujets avec les mêmes préférences.
Ils discutaient de Virgile et Lucrèce, de Lucien et Homère, d'Épicure et Timée de Locres, Sénèque et Papinien, avec des points de vue analogues.
Et comme s'ils craignaient de perdre la fascinante communion dans laquelle ils se trouvaient plongés, ils suivaient des lignes parallèles dans leur façon de penser.
Ils évitaient systématiquement tout commentaire en matière de foi.
Soutenu par son ami, le jeune homme réussissait déjà à faire des promenades dans le parc riche d'une somptueuse végétation, et là, à l'ombre de vigoureux sapins ou entre les genêts en fleur, souriants et heureux, ils entamaient des conversations éclairées à la manière des anciens hellénistes qui appréciaient l'échange des connaissances avancées dans le sanctuaire de la nature.
Un jour, piqué de curiosité, Tatien l'a questionné sur les raisons de son isolement en Gaules alors qu'il aurait pu être, à Rome, un enseignant apprécié. D'où venait-il et pourquoi s'était-il condamné à l'obscurité coloniale ?
Réticent, Corvinus a admis être né dans la métropole des Césars, mais il s'était passionné pour son travail auprès de la communauté gauloise et s'y trouvait attaché par de puissa
— Quel travail peut vous retenir à Lyon au point de vous oublier ? — a demandé le jeune homme dans un mouvement de sympathie spontanée. — J'admets que les héritiers de la gloire patricienne ne devraient pas abandonner l'éducation des esclaves. Mais un Égyptien ou un Juif ne pourrait produire les pensées qui nous sont nécessaires pour garantir la grandeur impériale.
Oui, sans aucun doute — a acquiescé son ami avec bonté —, cependant, je crois que les provinces aussi demandent un certain dévouement. Le monde est plein de nos légionnaires. Nous possédons des forces invincibles de civilisation de toutes parts. Nos empereurs peuvent être proclamés dans différentes régions de la terre. Pour cela, nous ne pouvons oublier le besoin d'instruction dans tous les domaines.
Et, lui souriant, il a souligné :
Pour cette raison, je me suis converti en maître d'école.
Tatien a partagé sa bonne humeur.
À cet instant, une idée est venue à Varrus.
Et s'il lui apportait les enfants pour une visite amicale ? Ne serait-ce pas la manière la plus juste d'amener son cœur à l'éveil évangélique ? Le jeune homme pourrait ignorer qui il est pour toujours, mais serait-il juste de ne pas l'inviter au banquet de la lumière divine ? Qui devinerait les avantages d'une telle réalisation ? Par l'intelligence dont son fils se montrait porteur, il s'était naturellement imposé dans la famille. On percevait rapidement la respectabilité de son opinion. Bien que très jeune, il avait ses propres convictions. Une chorale infantile réussirait, certainement, à le sensibiliser. Tatien accepterait probablement d'étudier les leçons de Jésus si les enfants arrivaient à toucher les cordes sensibles de son âme...
Après avoir réfléchi quelques secondes, il s'est adressé au convalescent, les yeux illuminés par un secret espoir, et lui demanda comment il accueillerait l'idée d'être présenté aux petits dont il avait la garde.
Le pupille de Veturius n'a pas tari d'éloges.
Il se disait très heureux de cet hommage. Il considérerait toujours que l'avenir appartient aux enfants. La civilisation romaine, à son avis, ne pouvait négliger la préparation de la jeunesse.
À la veille de la rencontre prévue, Tatien lui-même, avec l'aide d'Alésius et de sa femme, a organisé l'ambiance festive de la réception sur la charmante place des Rosés Rouges; une superbe création de Corvinus.
Des paniers de fruits et des cruches avec une abondante quantité de jus de raisin furent artistiquement éparpillés entre les bancs en marbre.
Le corps musical de l'exploitation agricole, composé de jeunes esclaves, avait été appelé pour la réunion.
De brillants jeunes gens empoignaient des lyres et des luths, des tambours et des sistres, et improvisaient de joyeuses mélodies.
La ferme était partagée entre deux courants partisans : celui des serviteurs chrétiens enflammés de joie et d'espoir, dirigés par l'optimisme de Ponù'miane, et celui des coopérateurs, dévots des dieux de l'Olympe, commandés par Alésius qui ne voyait pas cet événement d'un bon œil. D'un côté, surgissaient des prières et des sourires fraternels, mais de l'autre apparaissaient des injures et des visages sombres.
Avec toute la sagesse de l'apôtre et la naïveté de l'enfant, le frère Corvinus avait pénétré l'enceinte parfumée conduisant trois dizaines de bambins qui se présentèrent très simplement.