Il habitait dans une propriété de l'église avec trente garçons à qui il servait de mentor et de père, suivi de près par la coopération de deux petites vieilles.
Varrus Quint, converti en prêtre, avait trouvé chez ces petits l'aliment spirituel à son âme nostalgique.
Malgré l'ambiance régnante hostile à l'église, la ville le respectait.
Les pauvres et les malheureux lui rendaient de déchirantes preuves d'amour. Mais il n'était pas seulement grand dans l'apostolat de la foi. Il était prodigieux d'humilité, il était devenu le jardinier en chef de cinq résidences patriciennes. Il guidait les esclaves avec beaucoup de savoir-faire dans la préparation du sol et dans la culture des plantes, réussissant non seulement à gagner un salaire significatif mais aussi l'admiration et la préférence.
La maison seigneuriale de Veturius faisait partie des demeures aristocratiques dont il s'occupait. Il avait acquis la confiance des intendants et l'estime des employés. Dans la grande propriété, c'était un coopérateur et un ami.
Au fond, Varrus savait que c'était le seul moyen de revoir un jour Tatien et de lui offrir ses bras paternels.
Il redoublait donc d'ardeur dans les soins apportés à l'entretien du parc, au beau milieu duquel s'élevait la maison d'Opilius. Aucun jardin dans Lyon ne l'égalait en beauté.
Informé par Alésius et Pontimiane, qui s'étaient quelques fois rendus à Rome, que son fils adorait les rosés rouges, il en avait dessiné de vastes parterres, leur donnant la forme spéciale d'un cœur entouré de fleurs avec au centre des bancs accueillants en marbre et de charmants jets d'eau incitant à la méditation et au repos.
Il avait beaucoup travaillé depuis dix-sept ans qu'il était loin de son foyer pour mériter la satisfaction de cette heure.
II avait plus d'expérience, il était plus éclairé. Il avait été longuement en contact avec les maîtres de la pensée en plusieurs langues. Il avait survécu au courant des afflictions de son propre destin et avait cherché à vaincre tous les obstacles pour comparaître, même anonyme et méconnaissable, devant son fils sans cesse rappelé avec toute la dignité d'un homme de bien.
Comment faire face à la surprise de cette heure ? Aurait-il la force d'étreindre Tatien sans se compromettre ?
La voix de Pontimiane venait le ravir à cette obsédante réflexion :
Frère Corvinus, vous ne vous sentiriez pas bien par hasard ?
Et comme s'éveillant d'un rêve tourmenté, le prêtre se reprit et lui répondit gentiment :
Excusez-moi, ma sœur. Je vais bien.
C'est que je ne dispose pas de beaucoup de temps — lui a-t-elle dit, inquiète. — Le jeune Tatien est arrivé malade.
Malade ?
Oui, tout semble indiquer qu'il est porteur de la peste maudite.
Et à ce cœur paternel péniblement surpris, elle ajouta :
C'est non seulement pour vous en informer que je suis venue jusqu'ici mais aussi pour supplier votre secours.
Répondant aux questions qui lui étaient posées, l'employée de Veturius a expliqué que le jeune homme était arrivé avec une forte fièvre
Impatient de se trouver près de son fils quoi qu'il advienne, le prêtre l'a écoutée le cœur serré. Mais, attaché aux responsabilités qui le retenaient au temple, il promit de rendre visite au patient dès qu'il se serait dégagé des obligations les plus urgentes.
Et de fait, en fin de journée, il s'est fait remplacer au foyer des garçons et dans la soirée, il entrait dans la chambre de son fils.
Soutenu par Alésius, le jeune homme s'agitait souffrant de nausées affligeantes. Son maigre visage dénonçait son état d'abattement.
Bien que l'intendant ait présenté le religieux, Tatien, fiévreux, ne se rendait compte de
rien.
Son regard hagard se promenait dans la pièce, errant inexpressif.
Alors que Corvinus lui caressait la tête en sueur, le gardien lui disait :
Voilà deux heures qu'il a commencé à délirer.