L'empire vivait dévasté par une peste qui venait de l'est, faisant d'innombrables victimes.
À Rome, la situation était des plus graves.
L'épidémie avait pénétré en Gaules et la communauté chrétienne de Lyon mobilisait tous les recours à sa disposition pour alléger les difficultés du peuple.
Le plus jeune intégrant de tous était le frère Corvinus qui soutenait la cause des malades abandonnés et malheureux.
Si nous méprisons notre prochain — commentait-il enflammé de confiance —, comment répondre alors à notre mission de charité ? Le christianisme, c'est vivre l'esprit du Christ en nous. Nous voyons bien à l'étude des récits apostoliques que les légions du ciel prennent possession de la terre en compagnie du Seigneur, transformant les hommes en instruments de l'Infinie Bonté. Depuis le premier contact de Jésus avec l'humanité, nous pouvons observer la manifestation du monde spirituel qui cherche dans les créatures des points d'appui vivants à l'œuvre de régénération. Zacarias est visité par l'ange Gabriel qui lui communique l'arrivée de Jean Baptiste. La Très Sainte Marie est visitée par le même ange qui lui annonce l'arrivée du Sauveur. En rêve, un envoyé céleste rend visite à José de Galilée pour l'apaiser quant à la naissance du Rédempteur. Et en s'élevant parmi les hommes, le Maître Divin ne se limite pas à accomplir la loi ancienne en répétant ses principes du bout des lèvres. De lui-même, il sort et va à la rencontre des angoisses du peuple. Il nettoie les lépreux sur la route. Tend une main amie aux paralytiques et les relève. Rend la vue aux aveugles. Ramène Lazare de sa tombe. Soigne les malades. Réintègre les femmes égarées dans leur dignité personnelle. Donne aux hommes de nouveaux principes de fraternité et de pardon. Même sur la croix, il parle avec amour aux deux malfaiteurs cherchant à acheminer leur âme vers le ciel. Et, après lui, ses apôtres dévoués continuent sa glorieuse tâche d'élévation de l'homme en poursuivant son ministère d'élucidation de l'âme et de guérison du corps, tout en se dédiant à l'Évangile jusqu'au dernier sacrifice.
Nous comprenons la cohérence de tes propos — a objecté le prêtre Galien, un vieux gaulois qui était longtemps resté en Paphlagonie —, cependant il faut échapper aux attaques de la tentation. Je pense qu'il est temps que nous réfléchissions à la construction de notre retraite sur les terres que nous possédons en Aquitaine. Nous ne pouvons atteindre le ciel sans recueillir notre âme dans la prière..
Et pourtant, comment réussirons-nous à aider l'humanité rien qu'en priant ? — a ajouté Corvinus sûr de lui. — Nous avons des compagnons admirables qui campent dans le désert. Ils organisent des relais solitaires, se défigurent, se tourmentent et croient soutenir de cette manière l'œuvre de rédemption humaine. Et si nous devions chercher notre propre tranquillité pour servir le créateur pourquoi Jésus serait-il venu jusqu'à nous, partager le pain de la vie ? De quelle lutte se glorifiera le soldat qui abandonne le combat ? Dans quel pays y aura-t-il une précieuse récolte pour l'agriculteur qui ne fait rien si ce n'est contempler la terre sous prétexte de l'aimer ? Comment semer le blé, sans contact avec le sol ?
Comment planter le bien parmi les créatures, sans supporter l'épreuve de la misère et de l'ignorance ? Nous ne pouvons admettre le salut possible sans l'intimité de celui qui sauve avec celui qui est dévié du chemin ou perdu.
En raison de la pause qui se fit spontanément, Galien lui dit :
Tes pondérations sont plus que justes, mais nous ne pouvons être d'accord avec le péché, ni permettre que des âmes malavisées s'en approchent.
Les païens nous accusent d'être des voleurs de joie —
Et ils ne manquent pas ceux qui voient en la peste une vengeance des divinités de l'Olympe — a informé Ennio Pudens, un excellent compagnon vieilli par le temps — ; nombreux sont ceux qui clament à nouveau contre nous et supposent que nous sommes la cause de la colère céleste. Valérien, l'un de nos amis qui travaille au forum, m'a raconté en privé que parmi les sollicitations formulées par le Concile (12)
, à la fête d'Auguste, il y a un appel pour que nous soyons à nouveau flagellés. Et il a affirmé que l'exécution d'une telle demande est retardée parce que l'Empereur Alexandre Sévère n'est pas suffisamment sûr de lui.(12) Assemblée gauloise qui avait le droit de donner son opinion face à l'autorité de César. (Note de l'auteur spirituel)
Galien a souri et a ajouté :
Une raison de plus pour choisir l'isolement pour ceux qui prétendent adorer Dieu, sans la perturbation des hommes...
Cette phrase réticente est restée dans l'air, mais Corvinus, touché d'une profonde ardeur pour la cause de l'Évangile, a repris la parole, déterminé :