Ne crois pas que la tombe soit un passage direct vers le domicile des dieux... Nous vivons loin de la lumière quand nous ne pensons pas à l'allumer dans notre propre cœur. Au- delà de la chair où notre âme s'agite, nous sommes confrontés à nous-mêmes. Les pensées que nous nourrissons sont des toiles obscures qui nous retiennent dans l'ombre ou nous poussent en avant vers les chemins de la sublime splendeur... Ceux que nous laissons en arrière retardent nos pas ou favorisent notre avancement conformément aux sentiments que notre mémoire leur inspire. Ne pense pas que l'impunité soit dans les tribunaux de la justice divine!... Inévitablement, nous recevons selon nos œuvre...
À cet instant de cette singulière entrevue, Hélène s'est souvenue plus clairement de l'énigme qui la déchirait...
Serait-ce que Secondin aurait quitté la tombe pour lui rappeler les obligations dont elle prétendait se dégager ?!
Une soudaine affliction est apparue à son âme inquiète.
Comment se décharger de ce fardeau d'angoisses ?
Elle se trouvait entre l'Esprit d'Émilien qui lui rappelait un bonheur qui ne lui sourirait plus sur terre, et un enfant intrus qui menaçait son existence.
Au fond, elle voulait être mère et développer dans son propre cœur le potentiel de tendresse qui explosait dans sa poitrine, mais pas dans les circonstances dans lesquelles elle se trouvait.
Jamais, elle n'avait ressenti une aussi grande flagellation morale.
Des larmes ardentes brûlaient ses yeux.
Elle s'est agenouillée, désespérée, elle s'est écriée :
Comment peux-tu me demander de la compassion quand je suis si malheureuse ? Comprendrais-tu par hasard les tourments d'une femme sous le coup d'engagements qui ternissent sa dignité personnelle ? Sais-tu ce que cela signifie que d'attendre un événement déshonorable sans le soutien de la sécurité et toute l'affection promise ? Ah!... les défunts ne peuvent pénétrer le malheur des êtres vivants, parce que s'il en était ainsi, tu m'emmènerais aussi... La compagnie des êtres infernaux doit être bénigne comparée au contact des hommes cruels !...
Le messager défiguré lui a caressé sa chevelure soyeuse et lui fit observer
Ne blasphème pas ! Je viens pour te supplier d'avoir du courage... Ne méprise pas la couronne de la maternité. Si tu acceptes cette épreuve difficile te soumettant aux desseins divins, nous ne serons pas séparés. Ensemble, en esprit, nous continuerons en quête de la joie immortelle... Supporte avec sérénité les coups du destin qui nous blessent aujourd'hui. Ne dédaigne pas le fruit de notre amour... Parfois, dans les bras tendres d'un enfant, nous trouvons la force de nous régénérer et de nous sauver... En conséquence, ne refuse pas la détermination des deux ! Garde avec toi la fleur qui s'ouvre entre nous. Le parfum de ses pétales alimentera notre communion... Et nous réunira un jour à nouveau dans les sphères de la beauté et de la lumière!...
La jeune fille voulut prolonger l'entretien de cette heure inoubliable, néanmoins, peut- être parce qu'il développait sa sensibilité en état de déséquilibre, la figure d'Émilien fusionna comme dans une brume blanchâtre, s'éloignant... s'éloignant...
Elle l'appela, à voix haute, mais ce fut en vain.
Gesticulant dans son lit, elle s'est éveillée en criant, éperdue :
Émilien !... Émilien !...
Involontairement, l'un de ses bras agités a renversé le gobelet tout proche, répandant son contenu.
La tisane criminelle était perdue.
Hélène a séché ses copieuses larmes et parce qu'elle n'arrivait plus à dormir, elle s'est levée et elle est allée chercher l'air frais de l'aube sur une terrasse voisine.
La vision du firmament étoile semblait soulager son profond tourment et la douce brise qui venait de la mer a essuyé ses yeux humides, calmant son cœur.
Plus réservée et plus abattue, elle a attendu résignée que l'œuvre du temps se fasse.
Anaclette, son amie loyale, avait obtenu lors de discrètes conversations réitérées et prétendument sans importance avec Balbine, toutes les informations indispensables à l'assistance qu'elle devait lui prêter et, après de longues semaines pendant lesquelles Hélène est restée alitée, la jeune femme patricienne a donné la lumière à une minuscule petite fille.
Assistée exclusivement d'Anaclette qui s'est révélée pour sa protégée une véritable mère, Hélène a regardé sa fille, le cœur pris d'angoisses incontrôlables.
Elle ne savait pas si elle la haïssait violemment ou si elle l'aimait avec tendresse.
La gouvernante lui fit remarquer que par coïncidence sa fille avait hérité d'un certain signe maternel — une grande tache noire sur l'épaule gauche.
Tout en l'habillant affectueusement, elle fit observer :
Cela la rendra facilement reconnaissable. Bien que fatiguée, Hélène a répondu résolument :
Je ne prétends pas la retrouver.
Et pourtant — réfléchissait son amie —, le temps court et passe. Le jour viendra peut-être d'un possible rapprochement. Cela me coûte de penser que nous nous séparerons d'une poupée comme celle-ci. N'y aurait-il pas un moyen...