J'attends l'arrivée de mes parents, dans quelques jours, qui amèneront avec eux Hélène, ma future femme. Comme nous résiderons ici après notre mariage, je suis venu avant eux afin d'adapter la vie de la propriété aux habitudes de ma famille et de sorte à me familiariser avec les coutumes de la province. Toutefois, je ne souhaite pas que ma famille découvre des aberrations comme je l'ai fait. Je prétends réunir tous les employés et les faire prêter serment aux dieux que nous vénérons. Je renverrai ceux qui fuient ce juste engagement. Ensuite, je pense instituer à la maison le culte de Cybèle en commençant par une cérémonie processionnelle dans notre bosquet. Il est indispensable de purifier les coutumes en vigueur et l'atmosphère qui nous entoure.
Quirinus fut d'accord, enthousiaste, il promit d'adhérer au programme. Non seulement, il décidait d'en faire de même à son domicile, mais il prétendait inviter ses amis à le suivre.
Il estimait Opilius Veturius, de longue date, et il était heureux de voir son organisation domestique active et bien gardée.
Effectivement, quelques jours plus tard, une fois que les tourments de la peste eurent disparu du quotidien,
Tatien organisa la grande assemblée pour que chacun témoigne de sa fidélité aux
dieux.
Dans une vaste dépendance de l'exploitation agricole, une magnifique statue de Cybèle fut installée pour la réception des vœux de tout le monde, tandis qu'à la droite de l'image, sur une haute palissade couverte de soie écarlate et de fils dorés, se sont installés Tatien, deux prêtres voués au culte de la déesse et le couple d'intendants, Alésius et Pontimiane.
Dans une longue galerie, considérablement élevée, près des portes d'accès à la grande enceinte, la noblesse citadine invitée par Eustasius, jubilait de voir ces cérémonies.
Dans le bas, étaient assemblés tous les serviteurs de la famille, parmi eux quelques artistes répétaient des cantiques consacrés à la divinité.
Sur un petit autel, gracieusement fleuri, l'image que Veturius avait importée de Pessinunte était un témoin impassible.
Cybèle, aillée aux côtés de deux lions, était sculptée dans le marbre immaculé, elle représentait réellement le symbole d'une civilisation vacillante, face au regard interrogateur et triste de dizaines d'esclaves sous la fière exhibition de leur maître.
Le premier à s'approcher, voulant tout naturellement donner l'exemple, fut Tatien, qui révérencieux face à l'idole, a déclaré à voix haute :
— En invoquant la Divine Cybèle, Mère des dieux et notre mère, je jure sans restriction aucune toute ma fidélité aux croyances et aux traditions de nos ancêtres, dans la parfaite obéissance de nos éternels empereurs.
De frénétiques applaudissements ont suivi ces paroles.
Un hymne sacré rythmé et mélodieux accompagné de flûtes phrygiennes s'est fait entendre.
Ensuite, Alésius est descendu du trône improvisé et laissant comprendre que la scène avait été préalablement étudiée, il a prononcé respectueusement les mêmes vœux.
Peu après, ce fut le tour de Pontimiane.
La noble femme paraissait malade et fatiguée. On pouvait deviner sa lutte intérieure.
Pâle, elle a envoyé à son mari un regard suppliant, mais à l'expression rude avec laquelle Alésius l'a dévisagée, il était possible d'imaginer les durs conflits par lesquels ils étaient passés avant la cérémonie...
Réprimée par le regard glacial de son compagnon, la gouvernante de la maison a séché ses larmes et a posément répété les mêmes paroles, niant ainsi la foi chrétienne qu'on lui attribuait.
Un sourire triomphant a plané sur le visage d'Alésius, alors que se dispersait un murmure dans l'énorme agroupement de serviteurs.
De sombres expressions d'étonnement sont apparues sur plusieurs visages.
Tous les esclaves, un à un, certains emphatiques, d'autres humiliés, ont réaffirmé les phrases prononcées Initialement par le maître.
Le dernier fut Rufus.
Épipode, le chef, qui connaissait la fermeté de ses convictions l'avait laissé pour la fin, craignant des réactions pouvant provoquer l'indiscipline.
Le visage austère, démontrant accepter pleinement les responsabilités de cette heure, il a levé son profil bronzé comme s'il évoquait le ciel et non la statue impassible, s'exclamant d'une voix cristalline et dominante :
Je jure respecter les empereurs qui nous gouvernent, mais je suis chrétien et je renie les dieux en pierre incapables de corriger la cruauté et l'orgueil qui nous oppriment en ce monde.
Un bruit sourd a couvert l'assemblée.
À voix basse, Tatien s'est adressé au prêtre le plus âgé et celui-là, assumant la fonction de juge, s'est écrié à l'employé sur un ton autoritaire :
Rufus, tu ne peux oublier ta condition.
Oui, je sais — a répondu l'interpellé vaillamment — , je suis un esclave et j'ai toujours servi mes maîtres avec loyauté, mais l'esprit est libre et je ne reconnais que Jésus- Christ comme Véritable Maître'...
J'exige que tu te rétractes devant la statue de Cybèle, la sublime Mère des Dieux.
Je n'ai rien fait qui ne soit approuvé par la rectitude de ma conscience.