Malgré la multitude d'amis qu'il avait à Lyon, il se sentait abandonné, sans personne... La présence de son fils serait probablement la seule force capable de lui rendre un sentiment de plénitude.
La pensée tournée vers le souvenir de Corvinus, il se rappelait ses dernières minutes. Son vénérable ami lui avait parlé en des termes inoubliables de la survie de l'âme. Il l'avait éveillé à la certitude de l'irréalité de la mort. Il avait consolidé sa confiance et l'avait investi d'une foi immortelle.
Ah ! Comme il avait besoin en cet instant d'une parole qui le ravisse du tourbillon des angoisses !
Lui qui enseignait la résistance morale, se sentait maintenant fragile et maladif.
Tel un enfant égaré soupire du désir de retrouver la protection maternelle, il s'est mis à penser à son ami décédé...
Relégué à lui même, dans la solitude de sa chambre, il pleurait la tête penchée sur ses genoux, quand il a remarqué qu'une main légère s'était posée sur son épaule courbée.
Perplexe, il a levé ses yeux gonflés de pleurs, et — Oh ! Surprise merveilleuse ! — l'ancien désincarné était revenu de sa tombe et se trouvait là, devant lui revêtu de lumière... C'était le même apôtre d'autrefois, mais son corps semblait plus diaphane et plus jeune.
Des irradiations d'une clarté saphirine illuminaient son front et s'étendaient comme des jets sublimes jusqu'à son cœur.
Tout en se prosternant devant le messager du ciel, le prêtre a voulu crier le bonheur qui l'envahissait, mais une force insurmontable lui prenait la gorge et le maintenait plombé à son pauvre lit.
Avec un indicible sourire, traduisant toute sa mélancolie et sa nostalgie, son amour et son espoir, l'entité lui a parlé avec affection :
Varrus, mon fils, pourquoi te décourages-tu quand la lutte ne fait que commencer ? Relève-toi pour le travail. Nous avons été appelés pour servir. Divin est l'amour des âmes, lien éternel à nous unir les uns aux autres pour l'immortalité triomphante, mais que serait-il de ce don céleste
L'émissaire spirituel a fait une courte pause comme pour mettre de l'ordre dans ses propres pensées et a continué :
Tout comme nous, Tatien est le fils du Créateur. Ne lui demande pas ce qu'il ne peut te donner. Personne ne peut se faire aimer sous le coup de la contrainte. Donne tout ! Ceux que nous désirons aider ou sauver n'arrivent pas toujours à comprendre, immédiatement, le sens de nos paroles, mais ils peuvent être inclinés ou amenés à la rénovation par nos actes et notre exemple. Très souvent sur terre, nous sommes oubliés et humiliés par ceux à qui nous nous dévouons, mais si nous savons persévérer dans l'abnégation, nous allumons dans leur esprit le feu béni qui illuminera leur route outre tombe !... Tout passe en ce inonde... Les cris de la jeunesse moins constructive se transforment en musique de méditation dans la vieillesse ! Soutiens ton fils qui est aussi notre frère dans l'éternité, mais ne te propose pas de l'asservir à ta façon d'être ! Monstrueux serait l'arbre qui se mettrait à dévorer son propre fruit ; condamnable serait la source qui avalerait ses propres eaux ! Ceux qui aiment, soutiennent la vie et y transitent comme des héros, mais ceux qui désirent être aimés ne sont très souvent que des tyrans cruels... Lève-toi ! Tu n'as pas encore bu tout le calice. De plus, l'église, la maison de Jésus et notre maison, t'attend... Les êtres qui frappent à sa porte, consternés, sans illusions, sont aussi des nôtres... Ces vieux abandonnés qui viennent nous voir, eux aussi ont eu des parents qui les adoraient et des enfants qui leur lacéraient le cœur... Ces malades qui font appel à notre capacité d'assister ont connu de près l'enfance et la grâce, la beauté et la jeunesse !... Nos douleurs, mon ami, ne sont pas les seules. Et la souffrance est la forge purificatrice où nous perdons le poids des passions inférieures pour que nous nous élevions à la vie supérieure... Presque toujours c'est dans la chambre obscure de l'adversité que nous percevons les rayons de l'inspiration divine parce que la satiété terrestre à l'habitude de nous anesthésier l'esprit...
Le messager fit une courte pause, il l'a regardé avec plus de tendresse, puis il lui a dit :
Varrus, va voir ton fils avec la lampe de l'amour allumée dans ton cœur par les enfants d'autrui et le Seigneur te bénira transformant ton amertume en paix...
Lève-toi et attends debout la lutte grâce à laquelle tu rééduqueras ceux que tu aimes le plus au monde...
Dans un mélange de douleur et de joie, d'émotion et d'angoisses, le prêtre a réfléchi à l'épuisement qui le torturait, mais l'envoyé spirituel qui notait ses plus intimes pensées, lui a conseillé :