J'ai une grande nouvelle à te donner et j'espère que tu la communiqueras avec les plus grands ménagements aux miens: la tante de Moscou est morte, et moi je l'ai su par le plus grand hasard ces jours derniers. J'étais dans une société de jeunes gens et remarquant qu'une des mes connaissances était en deuil, je lui demande machinalement qui il a perdu. Voilà qu'il me raconte que c'est sa grande'tante, et avec une quantité d'histoires sur la défunte et à telles enseignes qu'il me semblait de reconnaître le caractère de la chère femme; alors je lui dis: «Mais savez vous mon cher que vous aviez eu une tante qui ressemble furieusement à celle qui me reste à Moscou?» Figure-toi de mon étonnement et du sien après que je lui eus nommé la vieille tante; il m'a dit: «Mais c'est là justement la mienne qui vient de mourir, et jusqu'à présent je ne sais pas si elle m'a laissé quelque chose par son testament, mais ce qu'il y a de plus clair jusqu'à présent dans sa succession, c'est un nouveau cousin dont certainement je ne me doutais pas; mais comme il faut toujours tirer au clair, j'écrirai à Moscou pour avoir une copie du testament».
Figurez-vous mon plaisir, avant hier les Saltikoff sont revenus. Vera plus grosse que jamais et Pierre beaucoup meilleure mine et de meilleure humeur, ayant rapporté pour trente mille roubles d'armes, des choses vraiment magnifiques. Elle m'a fait cadeau d'une très belle pipe en écume de Vienne, je suis vraiment bien aise qu'ils soient revenus car ce sont de bien braves gens.
J'oubliais presque de te donner le résultat de mes démarches touchant la sœur de madame Jouvald.
Voilà ce que j'ai appris: elle avait épousé Monsieur Rouseau qui était entré au service de Russie. Il paraît qu'ils faisaient mauvais ménage ensemble ou bien le mari avait besoin d'argent, mais le fait est qu'il l'a vendue à monsieur Jouvald qui en était très amoureux. Il en a eu deux enfants qui se portent bien, quant à Madame elle est morte l'année dernière; j'ai eu tous ces détails de Linski qui connait beaucoup Monsieur Jouvald et qui l'a vu il n'y a pas un mois. Il était venu à Pétersbourg précisément pour affaires à cause de la mort de sa femme.
Jean vert me charge de te dire qu'il ne t'écrit pas cette fois parce qu'il n'a rien d'intéressant à te mander si ce n'est que l'Empereur à la dernière sortie ainsi que l'Impératrice se sont beaucoup informés de toi et ont demandé quand tu reviendras. L'Empereur a aussi été aimable avec moi et m'a causé pendant un grand quart d'heure au déplaisir d'un grand nombre de personnes qui crèvent de jalousie.
J'aurais encore bien des choses à te dire, mais cela sera pour une autre fois et je t'écrirai dans quelques jours ainsi qu'à Nanine; en attendant dis-leur mille choses de ma part.
Je t'embrasse comme je t'aime.
Je ne sais si tu pourras lire la fin de ma lettre mais je tombe de sommeil et n'y vois plus clair.
Pétersbourg, le 8 Décembre 1835.
[Петербург, 8 декабря 1835]