Depuis ce jour, jamais plus la petite maison du jardin n'a cessé de recevoir des pauvres et des affligés de toutes les catégories sociales, qui venaient là pour supplier les bénédictions de Jésus à travers cette âme pure et simple, sanctifiée par les plus âpres souffrances.
LE CHEMIN EXPIATOIRE
Pendant que Célia accomplissait sa mission de charité à la lumière de l'Évangile, retournons à Rome où nous allons retrouver nos anciens personnages.
Dix années s'étaient écoulées sur la route infinie du temps, depuis qu'Helvidius Lucius et sa famille avaient vécu les plus singulières vicissitudes de leur destinée.
Bien qu'ayant dissimulé leurs déboires familiaux dans leur milieu social, Fabius Corneille et sa famille vivaient le cœur inquiet et angoissé depuis le jour tragique où la plus jeune fille d'Alba Lucinie s'était absentée pour toujours conformément aux pénibles injonctions de sa malheureuse destinée. Dans l'intimité, on se demandait parfois ce qu'il était advenu de celle qui, à Rome, n'était évoquée que comme la chère défunte de la famille. La femme d'Helvidius ressassait les plus accablantes souffrances morales depuis le matin fatal où elle avait été informée des déboires survenus à sa fille.
Sur son visage, Alba Lucinie ne portait plus la jovialité franche et spontanée des sentiments qu'elle avait toujours laissé transparaître à l'époque des jours heureux et que les traits gracieux de sa première jeunesse semblaient indéfiniment prolonger. Les tourments intimes lui ridaient la figure dans une expression d'angoisse marquée. Ses yeux sombres semblaient hantés par un fantôme empreint de méfiance qui la poursuivait de toute part. Les premiers cheveux blancs, signalant son esprit tourmenté, dessinaient sur son front le cadre morose de sa vertu souffrante et désolée. Jamais elle n'avait pu oublier sa fille idolâtrée qui apparaissait dans son imagination affectueuse, errante et angoissée sous le signe funeste de la malédiction domestique. Bien que se soutenant à la parole amicale et aimante de son mari qui faisait tout pour maintenir sa fibre courageuse et résolue inflexible, moulée dans les principes rigides de la famille romaine, la pauvre femme semblait continuellement souffrir, comme si une maladie mystérieuse la conduisait sournoisement vers les ombres de la tombe. Les fêtes de la cour, les spectacles, les places d'honneur aux théâtres ou les amusements publics, rien n'y faisait.
Bien que faisant son possible pour cacher ses propres peines, Helvidius Lucius cherchait à remonter en vain le moral de sa compagne. En tant que père, il sentait souvent son cœur torturé et angoissé, mais il cherchait à fuir ces sentiments et s'efforçait de se distraire dans le tourbillon de ses activités politiques et lors des fêtes sociales où il comparaissait habituellement, pris par le besoin d'échapper aux méditations solitaires dans lesquelles son cœur paternel maintenait les plus cruels dialogues avec les idées préconçues du monde. Pour cela, il souffrait intensément, entre l'indécision et la nostalgie, l'énergie et le repentir.
De nombreux changements avaient eu lieu à Rome, depuis le douloureux événement qui avait plongé sa famille dans des ombres épaisses.
Après plusieurs années d'injustice et de cruauté depuis qu'il avait transféré la cour à Tibur, Aelius Hadrien était parti pour l'au-delà, laissant l'Empire entre les mains généreuses d'Antonin, dont le gouvernement se caractérisait par l'entente et la paix dans une ambiance de plus grande justice et de tolérance. Le nouvel Empereur, néanmoins, avait conservé Fabius
Corneille comme l'un de ses meilleurs assistants dans son administration libérale et sage. L'ancien censeur était particulièrement, satisfait de cette preuve de confiance impériale et soulignait que dans sa vieillesse déterminée et expérimentée, il se maintenait dans une position de franche progression devant les sénateurs eux-mêmes et les autres hommes d'État, obligés d'entendre ses opinions et ses propositions.
Un homme avait beaucoup grandi dans la confiance de l'ancien censeur, il était devenu pour lui un agent idéal dans l'accomplissement de tous les services. C'était Silain. Satisfait de pouvoir être utile à son ami de longue date, Fabius Corneille avait fait de l'ancien combattant des Gaules un officier intelligent et cultivé, à qui il rendait les plus grands honneurs. En quelque sorte, Silain représentait à ses yeux sa force d'antan, quand la sénilité ne l'avait pas encore touché, obligeant son organisme au minimum d'aventures. Pour le vieux censeur, celui qui avait été recommandé par Cneius Lucius était presque un fils dont la virilité puissante était le prolongement de ses énergies. Dans toutes les entreprises, ils étaient toujours ensembles pour mettre à exécution les ordres particuliers de César, créant entre eux deux une très forte atmosphère d'affinité et de confiance.