Cependant, il y avait là quelqu'un qui gardait la plus funeste jalousie face à la pureté de sa vie. C'était Épiphane, dont l'esprit despotique et original s'était habitué à commander les cœurs avec brutalité et rudesse. Le fait de ne rien trouver chez le fils de son ancien compagnon qui ne puisse être censuré, irritait son esprit tyrannique. Dans la salle du Chapitre, à l'occasion de l'étude, il observait que l'avis du frère Marin triomphait toujours par la sublime compréhension de fraternité et d'amour dont il donnait un vrai témoignage. Avec toute sa candeur spirituelle, la jeune fille ne pouvait définir la raison des gestes rudes du supérieur, bien que trouvant étranges ses attitudes.
Un beau jour, à l'heure consacrée aux discordes et aux interrogatoires qui précédaient dans le catholicisme naissant l'institution de la confession auriculaire, Épiphane, plein d'une austérité artificielle, fit un long discours sur les tentations du monde, il a parlé des chemins abominables et des ténèbres qui inondent le cœur de tous les pécheurs, incluant toutes les choses de la vie dans sa condamnation et dans sa furie religieuse.
Une fois la fanatique conférence terminée, il a sollicité, à la manière des premières assemblées chrétiennes, que tous les frères se prononcent sur ses propos, mais alors que tous approuvaient les idées évoquées, sans restriction aucune, Célia, dans son innocente sincérité, a répliqué :
Maître Épiphane, vos paroles sont extrêmement respectables pour tous ceux qui travaillent dans cette maison, mais, si je peux me permettre, il me semble que Jésus ne désire pas la mort du pécheur... Je suppose qu'il est juste que nous nous réfugions dans cette retraite jusqu'à ce que passe la vague sanguinaire des persécutions des adeptes de l'Agneau ; néanmoins, une fois la tempête calmée, je trouve qu'il est indispensable de retourner dans le monde pour nous plonger dans les pénibles luttes, parce que, sans ce terrain de souffrance et de travail, nous ne pourrons pas donner le témoignage de notre foi et de notre compréhension de l'amour de Jésus.
Le directeur spirituel lui a lancé un terrible regard, alors que toute l'assemblée semblait satisfaite par cette clarification.
À l'occasion du prochain Chapitre nous continuerons donc avec les mêmes études - a dit Épiphane sur un ton presque rude visiblement contrarié par l'argument indiscutable présenté contre son innovation despotique au détriment des enseignements évangéliques.
Le lendemain, le frère Marin fut appelé au cabinet du supérieur qui lui a adressé la parole en ces termes :
- Marin, notre frère Dioclèce, fournisseur de cette maison depuis plus de dix ans, est invalide, il est malade et j'ai besoin de confier cette charge à quelqu'un dont la notion de responsabilité me dispense de la gestion et des soins particuliers consacrés à cette tâche. Ainsi, à partir de demain, tu seras chargé d'aller au marché le plus proche, deux fois par semaine, afin de t'occuper correctement des petites provisions du monastère.
La jeune fille accepta cette demande et le remercia de la confiance qu'il lui témoignait par une telle mesure. Ainsi les paroles d'Épiphane, les jours du Chapitre, ne seraient plus dérangées par ses commentaires simples et porteurs de précieux éclairages évangéliques.
Le marché était à une distance d'environ cinq lieues du couvent puisqu'il était situé dans un grand village sur la route d'Alexandrie. Portant deux énormes paniers sous le bras, la fille d'Helvidius faisait sa randonnée à pied, elle était obligée de passer la nuit dans l'unique auberge existante car elle devait attendre une bonne partie de la matinée du lendemain que le marché expose ses produits.
Au début, ces journées hebdomadaires la fatiguaient excessivement, mais, peu à peu, elle s'est habituée aux nouvelles contraintes de ses obligations. Profitant de la solitude en chemin pour faire ses exercices spirituels, elle ne relisait pas seulement de vieux parchemins qui contenaient les principes de l'Évangile et les récits des apôtres, mais elle exerçait aussi les plus saines méditations qui élevaient son cœur dans de douces prières au Seigneur.
Au monastère tous les frères la respectaient. Par ses actes et ses paroles, elle ralliait la sympathie en général qui entourait son esprit de considération et d'une réelle affection...
Trois années passèrent sans la moindre marque de découragement ou de révolte, d'indécision ou d'amertume, consolidant ainsi chaque fois davantage ses marques de vertu irréprochable.
Auprès de la population la plus proche, là où les services du marché l'amenaient à réaliser sa tâche, tout le monde appréciait également les généreux dons de son âme, principalement dans l'auberge où elle passait la nuit deux fois par semaine.