Quoiqu'il fasse, le tribun n'arrivait pas à coordonner ses idées pour résoudre l'angoissante situation. Maintenant alitée, Alba Lucinie semblait sous l'emprise d'une force destructrice et absolue qui ne lui permettait pas de récupérer ses sens. En vain le médecin lui donnait des potions et faisait l'éloge de ses précieux remèdes. Les frictions médicamenteuses ne donnèrent pas les moindres résultats. Seuls les mouvements convulsifs de la torpeur léthargie accusaient une pléthore d'énergies organiques. Ses paupières continuaient fermées et sa respiration oppressée était celle des malades prêts à sombrer dans l'agonie.
Pendant qu'Helvidius Lucius multipliait les soins et cherchait à se calmer, Fabius Corneille se rendait à son cabinet où il fit appeler Silain en privé et lui dit sur un ton austère :
Plus que jamais, aujourd'hui, j'ai besoin de ton dévouement et de tes services !
Dites ! - répondit l'officier, empressé.
Aujourd'hui, je dois prendre des mesures punitives pour éliminer une ancienne conspiratrice de l'Empire. Il y a plus de dix ans déjà que j'observe ses manigances, néanmoins, ce n'est que maintenant que j'ai réussi à avoir la confirmation de ses crimes politiques et j'ai décidé de te confier cette tâche d'une singulière importance pour mon administration.
D'accord - s'exclama le jeune homme calmement -, dites-moi ce dont il s'agit et j'accomplirai toujours vos ordres avec zèle.
Tu prendras avec toi Lydien et Marc, car tu dois être assisté par deux hommes de notre entière confiance.
Et, d'une voix discrète, il a indiqué au préposé le nom de la victime, sa résidence, sa condition sociale et tout ce qui pouvait faciliter l'exécution du sinistre mandat.
Finalement, il a souligné d'une voix caverneuse :
J'ordonnerai que quelques soldats encerclent la demeure afin d'empêcher toute tentative de résistance de la part des employés, et après avoir ordonné l'ouverture des veines de cette femme infâme, tu diras que la sentence émanait de mon autorité au nom des nouvelles forces de l'Empire.
Il en sera fait selon vos ordres - rétorqua l'émissaire résolument.
Tu devras agir avec la plus grande prudence. Quant à moi, je retourne maintenant chez moi où l'on requiert ma présence. Dans l'après-midi, je serai ici pour savoir comment cela s'est passé.
Tandis que Silain rassemblait les assistants qui allaient l'accompagner, Fabius Corneille retournait à son foyer où les moyens médicaux manquaient pour réveiller Alba Lucinie de son étrange torpeur. Activant tous les employés, Helvidius Lucius faisait tout ce qu'il pouvait pour réveiller sa compagne. Comme fou, son cœur se diluait amèrement en un torrent de larmes et c'était en vain qu'il faisait appel aux promesses silencieuses des dieux domestiques. Alors qu'Hatéria s'asseyait humblement au chevet de son ancienne patronne, le tribun multipliait des efforts inédits. Quant à Fabius Corneille, il se promenait de long en large, agité, dans un cabinet tout proche, tantôt attendant une amélioration de la patiente, tantôt comptant les heures afin de connaître le résultat de sa sinistre commission.
Et effectivement, dans l'après midi, l'émissaire du censeur, entouré de soldats et de deux compagnons de confiance qui devaient pénétrer dans la résidence de Claudia, sont arrivés dans l'agréable site boisé et fleuri où l'ancienne plébéienne se livrait à ses méditations, à l'automne mélancolique de sa vie.
La veuve de Lolius Urbicus avait passé sa journée livrée à des réflexions amères et angoissantes. Comme si une force mystérieuse la dominait, elle ressentait les sensations les plus tristes et les plus incompréhensibles. En vain, elle s'était promenée dans les délicieux jardins de sa résidence princière où les allées gracieuses et bien soignées étaient saturées des forts parfums du printemps. Des sentiments étranges et intraduisibles l'étouffaient intérieurement, comme si son esprit était plongé dans de sombres présages. Elle avait cherché à fixer sa pensée sur quelque point de référence sentimentale mais son cœur manquait de foi, tel un désert brûlant.
L'âme immergée dans des songes pesants, très surprise, elle vit tout à coup approcher le détachement de prétoriens.
Prise d'émotion, elle s'est souvenue ce que ces petites expéditions de terreur signifiaient en d'autres temps, elle reçut alors dans son cabinet l'officier qui était accompagné de deux hommes athlétiques avec qui il échangea des regards significatifs.
À quoi dois-je l'honneur de votre visite ? - a-t-elle demandé après s'être assise, adressant à Silain un regard d'une intense curiosité.
Etes-vous la veuve de l'ancien préfet Lolius Urbicus ?
Oui... - a répliqué l'interpellée avec indifférence.
Bien, je suis Silain Plautius et je suis ici par ordre du censeur Fabius Corneille qui, après une longue procédure, a prononcé contre votre personne la sentence finale. J'espère que vous saurez mourir dignement, étant donné votre condition de conspiratrice de l'Empire..