Et cependant sont absolues les différences. Car ni l'amour, ni la justice, ni la jalousie, ni la mort, ni le cantique, ni l'échange avec les enfants, ni l'échange avec le prince, ni l'échange avec la bien-aimée, ni l'échange dans la création, ni le visage du bonheur, ni la forme de l'intérêt ne se ressemblent de l'un à l'autre, et j'ai connu ceux-là qui s'estimaient comblés et, serrant les lèvres ou plissant les yeux, faisaient les modestes s'il leur poussait des ongles assez longs, et d'autres qui te jouaient le même jeu, s'ils te montraient des cals dans leurs paumes. Et j'ai connu ceux-là qui se jugeaient selon leur poids d'or dans leurs caves, ce qui te semble avarice sordide, tant que tu n'as point découvert des autres qu'ils éprouvent les mêmes sentiments d'orgueil et se jugent avec une complaisance satisfaite s'ils ont roulé des pierres inutiles sur la montagne.
Mais il m'est apparu avec évidence que je me trompais dans ma tentative car il n'est point de déduction pour passer d'un étage à l'autre et ma démarche était aussi absurde que celle du bavard qui, d'admirer avec toi la statue, te prétend expliquer par la ligne du nez ou la dimension de l'oreille, l'objet de ce charroi qui par exemple était mélancolie d'un soir de fête, et ne réside ici que comme capture, laquelle n'est jamais de l'essence des matériaux.
Il m'est également apparu que mon erreur résidait en ce que je cherchais à expliquer l'arbre par les sucs minéraux, le silence par les pierres, la mélancolie par les lignes et la qualité d'âme par le cérémonial, renversant ainsi l'ordre naturel de la création, alors qu'il m'eût fallu chercher à éclairer l'ascension des minéraux par la genèse de l'arbre, l'ordonnance des pierres par le goût du silence, la structure des lignes par le règne sur elles de la mélancolie, et le cérémonial par la qualité d'âme qui est une et ne saurait se définir avec des mots, puisque précisément pour la saisir, la régir et la perpétuer tu en es venu à m'offrir ce piège, lequel est tel cérémonial et non un autre.
Et certes j'ai chassé le jaguar dans ma jeunesse. Et j'ai usé de fosses à jaguar, meublées d'un agneau, hérissées de pieux et couvertes d'herbe. Et quand à l'aube je m'en venais les visiter j'y trouvais le corps du jaguar. Et si tu connais les mœurs du jaguar tu inventeras la fosse à jaguar avec ses pieux, son agneau et son herbe. Mais si je te prie d'étudier la fosse à jaguar, et que tu ne saches rien du jaguar, tu ne sauras point me l'inventer.
C'est pourquoi je t'ai dit du géomètre véritable mon ami, qu'il est celui-là qui sent le jaguar et invente la fosse. Malgré qu'il ne l'ait jamais vu. Et les commentateurs du géomètre ont bien compris, puisque le jaguar a été montré, ayant été pris, mais eux te considèrent le monde avec ces pieux, ces agneaux, ces herbes et autres éléments de sa construction, et ils espèrent par leur logique en dégager des vérités. Mais elles ne leur viennent point. Et ils demeurent stériles jusqu'au jour où se présente celui-là qui sent le jaguar sans l'avoir pu connaître encore, et de le sentir le capture, et te le montre, ayant ainsi mystérieusement emprunté, afin de te conduire à lui, un chemin qui fut semblable à un retour.
Et mon père fut géomètre qui fonda son cérémonial pour capturer l'homme. Et ceux qui ailleurs comme autrefois fondèrent d'autres cérémonials et capturèrent d'autres hommes. Mais sont venus les temps de la stupidité des logiciens, des historiens et des critiques. Et ils te regardent ton cérémonial, et n'en déduisent point l'image de l'homme, puisqu'il n'en peut être déduit, et au nom du vent de paroles qu'ils nomment raison, ils te dispersent au gré des libertés les éléments du piège, te ruinent ton cérémonial, et te laissent fuir la capture.
CXLVIII