Quand, pour la première fois depuis des années, Angélique est passée à la maison après notre bagarre dans la cour du lycée, j’ai compris à l’instant où j’ai ouvert la porte qu’elle était venue pour me massacrer. Connaître quelqu’un depuis l’enfance, c’est avoir assisté à la naissance de ses rêves, à leur réalisation ou à leur effondrement, c’est avoir eu accès à ses plus grands espoirs et à ses peurs les plus intimes à l’état brut, avant que la domestication sociale n’ait fait son œuvre. C’est discerner qui il est vraiment derrière le brouillard protecteur des conventions et des règles auxquelles obéissent les adultes. Ce jour-là, Angélique était dans une colère noire. Cette rage que j’avais plus ou moins inconsciemment essayé de provoquer allait éclater au grand jour. Enfin. J’en étais heureuse, parce que je la méritais. Et pourtant, à la seconde où Éric est apparu derrière moi, la colère s’est évaporée des yeux d’Angélique. L’orage a laissé place à la clairvoyance aussi subitement que si on avait changé la chaîne de télévision de ses émotions. Je crois qu’il a suffi que nos regards se croisent pour qu’elle comprenne ce que je cachais à tout le monde depuis si longtemps.
Je ne me souviens pas de ses paroles, juste de son visage. La présence d’Éric avait sur moi un effet anesthésique. Il apparaissait et je m’éteignais, cerveau en pause, paralysie des terminaisons nerveuses. Je devenais un meuble. Je fusionnais avec le papier peint, le sol, le matelas, à la manière des animaux qui prennent la couleur de leur environnement face au prédateur. C’était biologique, je ne pouvais rien y faire. J’abandonnais mon corps, je m’envolais ailleurs.
Ils ont échangé quelques mots et la porte s’est refermée sur elle, comme on aurait refermé au-dessus de ma tête le couvercle d’un puits.
— Qu’est-ce qu’elle fichait là ? a demandé Éric, méfiant. Je croyais que vous ne pouviez plus vous voir en peinture.
J’ai haussé les épaules.
— J’en sais rien. On s’est battues au lycée, elle venait peut-être pour m’emmerder et elle a eu peur de toi.
Il a fixé mon œil au beurre noir, qu’il n’avait pas remarqué jusqu’ici.
— C’est elle qui t’a amochée comme ça ?
J’ai hoché la tête. Ça l’a fait rire. Il était soulagé. Il a remonté les escaliers, et comme chaque fois que je me retrouvais seule à la maison avec lui, j’ai attrapé mon sac de piscine et je me suis enfuie.
Le lendemain, Benjamin a frappé à la porte de ma chambre. Benjamin était toujours aussi gentil, mais je faisais tout pour l’éloigner. L’amour et l’admiration qu’il vouait à son grand frère constituaient un mur infranchissable entre nous. Nous ne pouvions pas être proches. La vérité l’aurait détruit.
— C’est un peu bizarre…, a-t-il marmonné, Angélique m’a donné ça pour toi.
Il m’a tendu une feuille arrachée à un agenda, pliée en deux. Je l’ai ouverte avec précaution et j’ai lu les mots écrits à la va-vite dans la cour de récréation.
« Jafar, je suis coincée. »
La phrase d’
— Je ne sais pas ce que ça veut dire, je ne savais pas s’il fallait te le donner ou pas.
J’ai levé les yeux vers lui.
— Tu as bien fait, mais n’en parle à personne, s’il te plaît.
Il a hoché la tête et je lui ai claqué la porte au nez. Je me suis laissée glisser le long de la porte, les mains tremblantes. J’ai relu le mot cent fois et j’ai laissé affluer les souvenirs soigneusement enterrés, les chorégraphies sur les Spice Girls, le Club Dorothée, les bains de mer glacés et les trajets en bus…
Qu’est-ce qu’elle me voulait ? Et pourquoi maintenant après ces années de silence ? Après tout ce que je lui avais fait subir, était-il possible qu’elle soit sincère ?
Aujourd’hui,
Lilou
Lilou avait enfilé un jean et un sweat à capuche et se dirigeait en bâillant vers la voiture où Fanny était déjà installée et lui faisait de grands signes pour qu’elle se dépêche. Pour la faire enrager, Lilou ralentit encore un peu son pas déjà à la limite du
— Quand je pense que tu me fais sauter le petit déj, soupira-t-elle en attachant sa ceinture, tu es totalement irresponsable, on ne t’a jamais dit que c’était le repas le plus important de la journée ?
Fanny alluma le contact.
— Tu peux faire un truc pour moi ? Regarde si tu peux avoir la météo le jour de la disparition de Sarah, le 3 septembre 2001.
— C’est vraiment bizarre, cette obsession de la météo chez vous, je veux dire, un moment il faut accepter la réalité : il pleut tout le temps ici et il fait nuit à quatorze heures…
— Pas l’été, l’été, les jours sont plus longs dans le Nord que dans le Sud, figure-toi. Et pourquoi tu dis ça ? Je ne parle jamais de la météo.
Lilou fronça les sourcils, tentant de se rappeler quelque chose.
— Un truc que m’a dit le vieux René quand je l’ai interviewé, comme quoi il attendait le beau temps avec Sarah. Je ne sais plus exactement, je réécouterai l’interview si tu veux, je l’ai enregistrée.
Анна Михайловна Бобылева , Кэтрин Ласки , Лорен Оливер , Мэлэши Уайтэйкер , Поль-Лу Сулитцер , Поль-Лу Сулицер
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