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La poursuite
Le vent continua de souffler jusqu’au matin. Le son monotone des gouttes d’eau martelant le toit mit les nerfs de Tanis à dure épreuve. Il avait si mal à la tête qu’il regrettait presque les sifflements de la bourrasque. Le ciel gris et bas pesait sur lui comme une chape de plomb.
— La mer sera forte, décréta sentencieusement Caramon.
Après avoir entendu toutes sortes d’histoires de marins à l’
— Il serait peut-être risqué d’appareiller, commença Tika.
— Nous partirons aujourd’hui, déclara Tanis. Nous quitterons Flotsam, et à la nage, s’il le faut !
Les compagnons se regardèrent. Debout devant la fenêtre, le demi-elfe sentit qu’ils échangeaient des regards étonnés dans son dos.
Tout le monde se rassembla dans la chambre des deux frères. Tanis les avait réveillés dès que le vent était tombé, mais le jour ne se lèverait pas avant une bonne heure.
Il se tourna vers eux en soupirant.
— Je suis désolé, je sais que vous trouvez ma décision arbitraire, mais un danger nous menace. Je ne veux pas vous en parler maintenant. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous n’avons jamais connu un tel péril. Nous ne pouvons pas rester dans cette ville. Il faut partir, et vite !
L’angoisse vibrait dans sa voix exagérément émue. Chacun se tut. Au bout d’un moment, Caramon brisa le silence :
— Entendu, Tanis !
— Nous sommes prêts, ajouta Lunedor. Nous partirons quand tu voudras.
— Alors allons-y, dit Tanis.
— Je dois encore rassembler mes affaires, balbutia Tika.
— Dépêche-toi ! lui lança-t-il.
— Je… je vais l’aider, proposa Caramon.
Le grand guerrier, qui portait comme Tanis une armure d’officier volée aux draconiens, sortit de la pièce avec Tika. Lunedor et Rivebise allèrent chercher leur bagage. Raistlin avait dans ses sacoches tout ce dont il aurait besoin : son bâton de mage, ses poudres et le précieux orbe draconien caché dans une insignifiante bourse.
Tanis se sentait transpercé par le regard de Raistlin. Il avait l’impression que ses étranges yeux dorés pénétraient son âme dans ses coins les plus obscurs. Le mage restait muet. Cela enrageait Tanis, qui se demandait pourquoi. Il aurait presque souhaité que Raistlin le questionne ou l’accuse, lui donnant ainsi une chance de se décharger du poids qui l’accablait en disant la vérité, même si celle-ci était lourde de conséquences.
Mais Raistlin ne souffla pas un mot jusqu’au retour de leurs compagnons.
— Nous sommes prêts, déclara Lunedor d’une voix soumise.
Tanis fut incapable de lui répondre.
— Parfait, dit-il d’un ton brusque en se dirigeant vers la sortie.
Maquesta Kar-Thaon fut réveillée en sursaut par les coups frappés à la porte de sa cabine. Elle enfila aussitôt ses bottes ; il en fallait plus pour la surprendre.
— Que se passe-t-il ? cria-t-elle.
Un coup d’œil par le hublot lui permit de constater que le vent était tombé, bien que la mer restât agitée, à en juger par le roulis qui berçait le navire.
— Les passagers sont arrivés, répondit la voix de son second.
— Renvoie-les. Nous ne lèverons pas l’ancre aujourd’hui.
Dehors devait commencer une altercation, car le second répondit vertement à une voix qui semblait en colère. Maquesta se décida à aller voir. Son bras droit, Bass Ohn-Koraf, était un minotaure, une race au tempérament réputé difficile. Il était d’une force herculéenne et tuait sans crier gare à la moindre provocation. Il avait pris la mer pour se faire oublier. Sur un navire comme le
Maquesta sortit en trombe de sa cabine et se campa sur le pont.
— Que se passe-t-il donc ici ? demanda-t-elle avec autorité, tandis que son regard allait de la tête animale de son second à la barbe rousse d’un officier draconien.
Elle reconnut les yeux en amande du barbu, qu’elle toisa d’un air sévère.
— J’ai dit que nous ne partirions pas aujourd’hui, Demi-Elfe, et je pense que…
— Maquesta, coupa Tanis, il faut que je te parle.
Il voulut passer devant le minotaure pour s’approcher d’elle, mais Koraf le repoussa et l’envoya rouler sur le sol. Derrière Tanis, un imposant officier draconien avança d’un pas. L’œil du minotaure s’alluma d’une lueur meurtrière. Il sortit un poignard de sa ceinture.
Sur le pont, l’équipage s’était rassemblé pour assister à la bagarre.