Mais il était trop tard.
La créature prononça quelques mots sibyllins. Il y eut un éclair, puis plus de dragon.
Fizban se pencha sur les hautes herbes et ramassa quelque chose.
— Ouvre ta main, dit-il à Tass.
Il déposa dans la paume du kender une minuscule réplique du dragon doré. Ses paupières d’or fin battirent sur ses yeux de rubis.
— Oh ! Fizban, comme c’est beau ! Je peux vraiment le garder ?
— Oui, mon garçon, au moins jusqu’à ce que l’aventure s’achève.
— Ou qu’elle nous achève, murmura Tanis, poussant Tass et Fizban devant lui.
Se glissant entre les broussailles, la petite troupe commença à gravir la colline. Inexorablement, l’armée draconienne continuait sa progression.
2
La passerelle enchantée
Les compagnons grimpaient toujours plus haut dans la montagne. Les draconiens, persuadés d’avoir affaire à des espions, ne les lâchaient pas.
Le petit groupe était épuisé par cette marche forcée. Caramon, parti à la recherche de Berem, n’était toujours pas réapparu.
Au détour du sentier, ils se retrouvèrent nez à nez avec le grand guerrier, assis sur une pierre à l’ombre d’un buisson. Berem gisait à ses pieds, inerte.
— J’ai fini par le rattraper, dit Caramon, mais il s’est débattu. Tanis, tu sais qu’il est vigoureux, pour un homme de son âge ! J'ai été obligé de l’assommer. J’ai dû taper un peu trop fort.
— Hé ! Derrière le dernier gros rocher, j’ai vu les draconiens, annonça Flint, hors d’haleine.
Il se laissa tomber sur le sol et s’épongea le front. Visiblement, il était à bout de forces.
Tika sortit de ses poches une petite fiole qu’elle tint sous le nez de Berem. Il ouvrit les yeux et se massa la tête d’un air épouvanté.
Tanis donna le signal du départ. Fizban venait juste de se décider à s’asseoir sur une pierre qu’il avait longuement choisie.
Sans ménagement, Tass le tira par la manche. Le vieux mage protesta :
— Je suis en train de concocter un sort… Je veux régler leur compte à ces engeances !
— Ah ça, certainement pas ! Avec la chance que j’ai, on risque de se retrouver face à des trolls !
— Tiens, tiens… Je me demande si j’y arriverais ! s’exclama Fizban, dont le visage s’illumina.
Le soleil touchait la ligne d’horizon quand ils arrivèrent à une fourche. D’un côté le sentier allait vers le sommet, de l’autre, il longeait le flanc de la montagne.
Sans crier gare, Fizban choisit résolument le gouffre.
— Venez ! Venez donc ! pressa-t-il, faisant taire les protestations de Tanis. Par là, c’est un cul-de-sac, tandis que par ici, il y a plusieurs voies possibles. Je le sais. Je suis déjà venu. Bientôt nous tomberons sur une gorge enjambée par un pont. Nous le franchirons, et de là, nous serons en bonne position pour repousser les draconiens.
Tanis secoua la tête. Il se méfiait des élucubrations du vieux magicien.
— C’est un bon plan, Tanis, fit remarquer Caramon. Il est évident que tôt ou tard, nous les aurons sur le dos.
Tanis regarda ses compagnons. Ils avaient l’air épuisés. Seul Berem, toujours mort de peur, semblait comme à l’accoutumée. Mais c’est Flint qui donnait le plus d’inquiétude à Tanis. Le nain n’avait guère ouvert la bouche pendant le voyage. Son souffle court et ses lèvres livides allaient de pair avec les douleurs qui lui tiraillaient le bras.
— Bon, prenons par là. Avance, Fizban. Je ne tarderai sans doute pas à le regretter…
Au coucher du soleil, les compagnons firent halte. Ils avaient devant eux une gorge étroite et profonde où serpentait une rivière. La plate-forme rocheuse sur laquelle ils se trouvaient surplombait un à-pic de quatre cents pieds. Il n’y avait qu’un seul moyen de franchir le précipice.
— Ce pont a largement dépassé mon âge, grommela Flint, et il est bien plus mal en point que moi !
— Ce pont est resté debout pendant des siècles ! s’indigna Fizban. Il a même survécu au Cataclysme.
— Je veux bien le croire…, fit Caramon.
— Au moins, il ne sera pas long à traverser…, ajouta Tika, se voulant rassurante.
Le pont était une construction unique en son genre. Des madriers en forme de croix fichées dans le rocher supportaient les planches de la plate-forme. Ce qui avait été autrefois une merveille architecturale était à présent rongé par les intempéries. Quant au garde-fou, le pourrissement avait dû le faire basculer dans le précipice.
Derrière eux, des cliquetis d’armes et des vociférations se firent entendre.
— Nous ne pouvons plus rebrousser chemin ! Essayons de passer un par un !
— Ce serait trop long ! répliqua Tanis. Il n’y a plus qu’à espérer que les dieux nous aideront. De là-bas, il nous sera plus facile de tirer sur les draconiens. Une fois sur le pont, ils feront des cibles idéales. Je passerai le premier et vous suivrez immédiatement derrière. Caramon, tu fermeras la marche. Berem, suis-moi.
Les planches vermoulues craquèrent sous les pieds de Tanis. Il les sentit plier sous son poids. Tout en bas, au fond de la gorge, la rivière brillait entre les rochers. Il aspira une grande bouffée d’air pour résister au vertige qui le saisissait.