Le froid hivernal avait fait place à l’air tiède du printemps, chargé de senteurs délicieuses. Mais cela ne dura pas longtemps. Un crachin épais se déversa du ciel, transperçant les manteaux les plus épais et supprimant toute visibilité.
Au milieu de l’après-midi, le moral du groupe était au plus bas, y compris celui de Tass, qui s’était disputé avec Fizban à propos du chemin à prendre pour arriver à Terredieu.
Tanis enrageait de constater que ni le vieux mage ni le kender ne savaient où ils se trouvaient réellement. Il avait même surpris Fizban en train de lire une carte à l’envers. Tass avait mis fin à l’altercation en rangeant ses parchemins dans sa sacoche. Le vieux mage l’avait alors menacé de transformer sa belle queue-de-cheval en une queue de rat.
À bout de nerfs, Tanis avait envoyé Tass se rafraîchir les idées puis consolé Fizban en nourrissant secrètement l’idée de les emmurer vivants dans la prochaine caverne. La calme détermination qu’il avait acquise à Kalaman, soutenue par l’idée de libérer Laurana, avait fait place à des idées noires.
Il pensait sans cesse à elle. Qu’allait-il se passer dans le temple de la Reine Noire ? Non, la Reine ne la tuerait pas… tant qu’elle aurait besoin de Berem.
Étrangement silencieux, Flint progressait d’un pas pesant sans jamais se plaindre. Ce n’était pas bon signe, si Tanis n’avait pas été aveuglé par ses propres tourments, il l’aurait remarqué.
Quant à Berem, personne ne savait ce qu’il pensait, si toutefois il pensait quelque chose. Il devenait de plus en plus nerveux et sursautait à la moindre alerte. Ses yeux trop jeunes pour son visage marqué semblaient ceux d’un animal traqué.
Le deuxième jour, Berem disparut.
Tout le monde était de bonne humeur en se réveillant le matin, car Fizban avait annoncé que Terredieu était tout proche. Mais l’euphorie n’avait pas duré longtemps. La pluie s’était remise à tomber. Trois fois en une heure, le vieux mage leur avait fait traverser des épineux en criant « C’est là ! Nous sommes arrivés ! ». Et ils s’étaient retrouvés pataugeant dans un marécage, ensuite dans une gorge, puis Finalement devant une falaise.
La troisième fois, Tanis eut l’impression qu’on l’écorchait vif. Même Tasslehoff prit peur en voyant sa rage. Le demi-elfe fit un effort sur lui-même pour se calmer. Puis il réalisa qu’il manquait quelqu’un.
— Où est Berem ? demanda-t-il, tremblant de colère.
Caramon sursauta. Il émergeait d’un autre monde. L’œil hagard, il se tourna en rougissant vers Tanis.
— Je n’en sais rien. Je ne me suis pas aperçu qu’il n’était plus là.
— Berem est notre seule chance de parvenir à Neraka, dit le demi-elfe. Il est l’unique garant de la vie de Laurana. Si les draconiens le capturent…
Suffoqué d’émotion, il ne put continuer.
— Calme-toi, mon garçon, dit Flint en lui tapant sur l’épaule, on le retrouvera.
— Pardon, Tanis, balbutia Caramon. Je pensais à… à Raistlin. Je sais bien que je devrais pas…
— Par les Abysses, comment ton satané frère arrive-t-il à semer la pagaille même quand il n’est pas là ? cria Tanis. Excuse-moi, Caramon. Tu n’as pas mérité de reproches. J’aurais dû faire attention moi aussi, comme les autres. Maintenant, nous sommes obligés de rebrousser chemin, à moins que Fizban nous fasse traverser le rocher… Berem n’a pas pu aller bien loin, nous retrouverons facilement sa trace. Il ne s’est pas évanoui dans la nature !
Tanis avait raison. Après avoir pris le sentier en sens inverse, ils suivirent la piste d’un animal que personne n’avait remarquée à l’aller. Flint, qui l’avait découverte, avait appelé les autres, puis il s’était enfoncé dans la broussaille pour la suivre. Il semblait avoir retrouvé une énergie nouvelle. Comme un chien de chasse sur le point de lever sa proie, il fendait les buissons sans se laisser arrêter par les branches et les ronces.
— Flint ! cria plusieurs fois Tanis. Attends-nous !