- La comparaison est décevante ? demanda-t-elle.
- Vous êtes là, ce n'était pas un rêve ?
- Vous auriez pu l'éviter celle-là, elle était attendue. Vous devriez vous dépêcher, il est dix heures bien passées.
- Quoi ? cria-t-il à son tour, vous deviez me réveiller.
- Je ne suis pas sourde, Carol-Ann l'était ? Je suis désolée, je me suis endormie, cela ne m'était pas arrivé depuis l'hôpital, j'espérais fêter cela avec vous mais je vois que vous n'êtes pas d'humeur, allez vous préparer.
- Dites, ce n'est pas la peine d'avoir ce ton per-sifleur, vous avez bousillé ma nuit et maintenant vous enchaînez avec la matinée, alors s'il vous plaît, hein !
- Vous êtes terriblement gracieux le matin, je vous aime mieux quand vous dormez.
- Vous me faites une scène, là ?
- Ne rêvez pas, et allez vous habiller, ça va encore être de ma faute.
- Bien sûr que c'est de votre faute et vous seriez bien aimable de sortir parce que je suis à poil sous ma couette.
- Vous êtes pudique, maintenant ?
Il la pria de le dispenser d'une scène de ménage dès son réveil et eut le propos malheureux d'achever sa phrase par un « parce que sinon... ». « Sinon, c'est souvent un mot de trop ! » répondit-elle du tac au tac. D'un ton acide elle lui souhaita une bonne journée et disparut subitement. Arthur regarda tout autour de lui, hésita quelques instants, puis appela :
« Lauren ? ça suffit, je sais que vous êtes là. Mais vous avez vraiment mauvais caractère. Allez sortez, c'est stupide. » Nu et gesticulant au milieu de son salon, son regard croisa celui de son voisin d'en face qui regardait la scène par la fenêtre avec un étonnement certain. Il plongea sur le canapé, saisit le plaid, l'entoura autour de sa taille et se dirigea vers la salle de bains en murmurant : « Je suis à poil, au milieu du salon, en retard comme jamais, et je suis en train de parler tout seul, mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de dingues ? »
En entrant dans la salle de bains il ouvrit la porte de la penderie et interrogea tout doucement : « Lauren, vous êtes là ?» Il n'y eut aucune réponse, et il fut déçu. Il prit alors sa douche à toute vitesse. En sortant, il courut vers sa chambre, renouvela l'exercice de la penderie, et en absence de toute réaction, il enfila un costume. Il dut refaire trois fois son nœud de cravate, pesta : « Et j'ai deux mains gauches ce matin ! » Habillé, il se rendit dans la cuisine, fouilla le comptoir pour retrouver ses clés, elles étaient dans sa poche. Il sortit de l'appartement pré-
cipitamment, s'arrêta net, fit demi-tour et rouvrit la porte : « Lauren, toujours pas là ? » Quelques secondes de silence, il referma la serrure à double tour.
Descendant directement dans le parking par l'escalier intérieur, il chercha sa voiture, se souvint qu'il l'avait garée dehors, retraversa le corridor en courant et arriva enfin dans la rue. En levant les yeux il aperçut à nouveau son voisin qui le dévisageait, l'air perplexe. Il lui fit un sourire gêné, introduisit maladroitement la clé dans la serrure de la portière, s'installa au volant et démarra en trombe. Lorsqu'il arriva à son bureau, son associé était dans le hall, il hocha plusieurs fois la tête en le voyant et fit la moue avant de s'adresser à lui.
- Tu devrais peut-être prendre quelques jours de vacances.
- Tu prends sur toi et tu ne me fais pas chier ce matin, Paul.
- Gracieux, tu es très gracieux.
- Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi ?
- Tu as revu Carol-Ann ?
- Non, je n'ai pas revu Carol-Ann, c'est fini avec Carol-Ann, tu le sais très bien.
- Pour que tu sois dans cet état-là il y a deux solutions, Carol-Ann ou alors une nouvelle.
- Non il n'y a pas de nouvelle, pousse-toi, je suis déjà assez en retard.
- Non sans blague, il n'est que onze heures moins le quart. Son nom ?
- À qui ?
- Est-ce que tu as vu ta tête ?
- Elle a quoi ma tête ?
- Tu as dû passer la nuit avec un char d'assaut, raconte-moi !
- Mais je n'ai rien à raconter.
- Et ton appel de la nuit, avec tes conneries au téléphone, c'était qui ?
Arthur dévisagea son associé.
- Écoute, j'ai bouffé une saloperie hier soir, j'ai fait un cauchemar cette nuit, j'ai très peu dormi. S'il te plaît, je ne suis pas d'humeur, laisse-moi passer, je suis vraiment en retard.
Paul s'écarta. Lorsque Arthur passa devant lui, il lui tapota l'épaule : « Je suis ton ami, n'est-ce pas ? » Arthur se retourna et il ajouta :
- Si tu avais des ennuis tu m'en parlerais ?
- Mais qu'est-ce qui te prend ? J'ai juste mal dormi cette nuit, c'est tout, n'en fais pas une histoire.
- D'accord, d'accord. Le rendez-vous est à 1 heure, on les retrouve en haut du Hyatt Embar-cadère, on ira ensemble si tu veux, je reviens au bureau ensuite.
- Non, je prendrai ma voiture, j'ai un rendez-vous après.
- Comme tu voudras !
Arthur entra dans son bureau, posa sa sacoche et s'assit, il appela son assistante, lui demanda un café, fit pivoter son fauteuil, faisant ainsi face à la vue, s'inclina en arrière, et se mit à penser.