J’enjambai le banc et je m’assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu’il ne mettait que les jours d’inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d’extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d’habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous: le vieux Hauser avec son tricorne, l’ancien maire, l’ancien facteur, et puis d’autres personnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu’il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.
Pendant que je m’étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m’avait reçu, il nous dit:
« Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine… Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d’être bien attentifs. »
Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah ! les misérables, voilà ce qu’ils avaient affiché à la mairie.
Ma dernière leçon de français !… »
Alphonse Daudet – Альфонс Доде (1840–1897), французский писатель и драматург, известный благодаря созданному им литературному персонажу Тартарену из Тараскона.
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Les débuts de la Commune
« La France et Paris avaient été si longtemps séparés que, lorsqu’ils se retrouvèrent, ils ne se reconnurent plus. Paris ne pardonnait pas à la province de n’être pas venue le délivrer; la province ne pardonnait pas à Paris ses révolutions et l’état de surexcitation où il paraissait se complaire. Pendant que la province, épuisée par l’ennemi, aspirait à un repos qui lui permettrait de panser ses blessures, Paris, comme une sorte de Cirque Olympique, retentissait plus que jamais du bruit des armes et des appels belliqueux. Aussi, dès que l’Assemblée nationale, élue « dans un jour de malheur », fut réunie à Bordeaux, l’antagonisme éclata; Paris fut plein de défiance pour l’Assemblée, qui le lui rendait bien. L’opinion du Paris révolutionnaire fut exprimée, à la première séance parlementaire, lorsque Gaston Crémieux s’écria: « Assemblée de ruraux, honte de la France ! » Paris, fier de son titre de capitale, de ses gloires, de son renom, de sa richesse, a toujours eu la prétention de diriger les destinées de la France; il se considère comme souverain et se trouve déchu lorsqu’il ne peut exercer la souveraineté. L’Assemblée, libre expression de la volonté nationale, représentait légalement l’autorité et n’était point disposée à partager celle-ci avec la ville usurpatrice. On pouvait être certain d’avance que la majorité parlementaire ne tiendrait aucun compte de l’état morbide de Paris; qu’elle voudrait être obéie, comme c’était son droit; qu’elle frapperait fort, sans trop s’inquiéter de frapper juste, et qu’elle ne reculerait pas devant telles mesures qui pourraient amener un conf