Ici le chroniqueur se trompe en supposant que Charles VII participa lui aussi à la joute de Saumur. C'est à son instigation que furent organisées quelques joutes dont celle de Nancy en 1445 qu'il honora effectivement de sa présence. Mais il est caractéristique que la joute de Saumur à ses yeux éclipsait toutes les autres. Le bruit qu'elle fit s'en répandit si loin que dans la pensée des observateurs étrangers, pendant un certain temps, tous les concours de chevalerie de quelque importance semblaient s'être déroulés à Saumur.
Les fêtes commencèrent le 26 juin et devaient durer 40 jours. Mais quand ce délai fut écoulé, on les prolongea de deux jours et elles prirent fin le dimanche 7 août. Il est vrai que l'auteur de notre texte indique le 8 août, mais le 8 août était cette année-là un lundi, et il dit lui-même que la fête se termina un dimanche (str. 1999, 213).
Mais où se déroula-t-elle? La question est importante puisque à ce propos se sont constituées deux légendes assez tenaces qui ne sont confirmées ni par des documents ni par notre texte. D'abord, à la suite de Lecoy de La Marche, toute une série d'auteurs affirment que tout se passa dans le château de Launay, non loin de Saumur{630}
. Ce château avait été acquis par le roi René peu de temps auparavant, en 1444. Mais, ni dans les documents conservés, ni dans notre texte ce château n'est indiqué comme lieu de déroulement des festivités. Au contraire, dans le manuscrit de Pétersbourg, l'auteur parle à plusieurs reprises du château de Saumur (str. 3, 31), et dans les comptes que l'on a conservés, le spectacle est mentionné seulement sous le nom de «pas de Saumur». Comme le fait remarquer Ch. de Mérindol, le roi René, après avoir acheté Launay, y entreprit de grands travaux de restauration et au moment de la joute, ces travaux battaient leur plein{631}. Aussi était-il impossible d'y organiser une joute. Lecoy de La Marche a apparemment confondu les comptes qui concernent le coût de ces travaux avec le coût de l'organisation de la joute.La deuxième légende fut lancée par Vulson de la Colombière, qui affirme que le roi René avait fait construire, spécialement pour cette joute, un château factice en bois.{632}
Quatrebarbes s'empara de cette version, et de Quatrebarbes elle alla voyager jusqu'à I. Huizinga.{633} En réalité il n'y eut jamais de château en bois. G. Bianciotto fut le premier à le faire remarquer, en indiquant que la fête fut organisée au château de Saumur.{634} Vulson avait mal interprété les mots de l'auteur du manuscrit de Pétersbourg, qui parle du château de Saumur comme d'un «chastel fait par artifice» (str.31), pensant, sans aucun doute, au grand art avec lequel il avait été construit. Dans un autre passage, il note la magnificence du château (str. 3), qui était en effet à cette époque l'un des plus beaux châteaux de France. Devenu en 1360 la principale résidence de l'oncle de René, le duc Louis Ier d'Anjou, il fut restauré à si grands frais qu'il pouvait rivaliser en luxe avec les plus beaux châteaux de ses frères, le roi Charles V et le duc Jean de Berry.