Et, disant cela, il referma la grande porte, tandis que lu vieille servante de Livia saisissait tout а prйsent. Angoissйe, elle comprit alors que l'habit de sa maоtresse lui avait sauvй la vie, а cette heure amиre. Elle sentit que Elle percevait le tumulte confus de plus de trois cents mille voix qui se concentraient dans des cris retentissants et des applaudissements, acclamant la sinistre course des fauves dans leur chasse а l'homme. Et, pas а pas, portant le poids torturant d'une angoisse sans fin, elle prit le chemin du palais de l'Aventin qui n'йtait pas trиs loin du cirque ignominieux, oщ elle pйnйtra dйcouragйe et silencieuse. А peine quelques fidиles esclaves montaient la garde а la rйsidence des Lentulus comme de coutume lors des grands jours de fкtes populaires, auxquelles participaient presque tous les serviteurs. Personne ne remarqua le retour d'Anne qui parvint а se dйvкtir de la toge avec le calme nйcessaire. Elle фta les prйcieux bijoux de sa tenue, de ses mains et de ses cheveux et, s'agenouillant dans la chambre, elle laissa libre cours а ses douloureuses larmes au flux des priиres amиres qu'elle йlevait а Jйsus sous le poids de ses angoissantes souffrances. Elle n'aurait su dire pendant combien de temps elle йtait restйe dans cette attitude suppliante et poignante entre de ferventes invocations et d'amиres conjectures sur son йloignement inattendu des tortures du cirque, se sentant indigne de tйmoigner au Sauveur sa foi profonde et sincиre, jusqu'а ce qu'une rumeur plus forte vоnt lui annoncer le retour du sйnateur. Il faisait presque nuit et les premiиres йtoiles brillaient dans le bleu du beau ciel romain. En rentrant chez lui l'esprit inquiet et dйcouragй, Publius Lentulus pйnйtra dans le vestibule vide l'вme oppressйe, il fut immйdiatement rejoint par l'esclave Fabius Tulius, qui depuis plusieurs annйes avait remplacй Comenius, ravi par la mort а cette tвche de confiance. S'approchant du sйnateur qui йtait rentrй seul car il avait dispensй la compagnie de ses amis sous prйtexte que sa femme se trouvait gravement malade, le vieil employй s'exclama avec un respect trиs attentionnй : Seigneur, votre fille vous fait savoir par un messager qu'elle poursuit ses recherches afin que vous ayez des nouvelles de votre йpouse dans les plus brefs dйlais. Le sйnateur le remercia d'un lйger signe de tкte, dйnotant sa profonde inquiйtude. Toutefois, Anne dans la solitude de ses priиres dans la piиce qui lui йtait rйservйe, avait constatй le retour de son maоtre et comprit le triste devoir qui lui incombait en cette heure inoubliable. Elle devait l'informer de tous les faits et, quelques minutes plus tard, Fabius se rendait а nouveau dans ses appartements pour lui dire qu'Anne demandait une entrevue en privй. Le sйnateur accйda Immйdiatement а la demande de la vieille servante de sa maison, pris d'un indicible йtonnement. Les yeux gonflйs de larmes et la voix frйquemment entrecoupйe d'йmotions вpres et accablantes, Anne lui exposa tous les faits sans omettre aucun dйtail sur les tragiques incidents, tandis que le sйnateur, les yeux йcarquillйs, faisait tout pour comprendre ces tristes confidences dans son incrйdulitй et son effarement le plus complet. А la fin de sa terrible dйposition, une sueur froide coulait de son front tourmentй, tandis que ses tempes battaient violemment. Au dйbut, il aurait voulu йcraser l'humble domestique comme il l'aurait fait а une vipиre vйnйneuse, pris des premiers йlans de rйvolte propre а son orgueil et а sa vanitй. Il ne voulait pas croire en cette horrible confession, mais son cњur battait rapidement et ses nerfs s'exaltaient en de lancinantes vibrations. Publius Lentulus ressentit la douleur la plus terrible de toute sa misйrable existence. Tous ses rкves, toutes ses aspirations et ses tendres espoirs s'effaзaient cruellement, irrйmйdiablement et pour toujours, sous la marйe sombre des rйalitйs tйnйbreuses. Se sentant l'accusй le plus malheureux de la justice des dieux, au moment oщ il prйsumait accomplir son suprкme bonheur, il ne vit plus rien devant ses yeux, si ce n'est la rйalitй йcrasante de sa douleur sans fin. Sous le regard йmu d'Anne qui l'observait craintive, il se leva rigide et sans une larme, les yeux brillant de folie telle йtait leur expression de fermetй йtrange et douloureuse, et tel un fantфme de rйvolte, de douleur, de vengeance et de souffrance indйfinissables, sans rien rйpondre а la servante immobile qui priait silencieusement Jйsus d'apaiser ses angoissantes peines, comme un automate il fit quelques pas en direction de la porte qu'il ouvrit de part et d'autre et par laquelle pйnйtrиrent les brises douces et rafraоchissantes de la nuit... Chancelant, pris d'une douleur sauvage, il traversa le pйristyle, puis rйsolument, comme s'il allait disputer un duel avec les tйnиbres pour dйfendre son йpouse calomniйe et trahie, martyrisйe par les criminels de cette cour d'infamie, sans remarquer que ses habits йtaient en dйsordre, il se dirigea rapidement vers le cirque oщ la plиbe assouvissait les passions impitoyables de son Cйsar sans вme. Toutefois dans la solitude de sa suprкme angoisse morale, un spectacle plus terrible se trouva devant ses yeux йcњurйs. Enivrйs par les bas instincts de leur grossiиretй perverse, les soldats et le peuple avaient mis les sinistres restes du monstrueux banquet des fauves de cet inoubliable aprиs- midi, en haut des poteaux et des colonnes improvisйes telles des torches qui illuminaient tout l'extйrieur de la grande enceinte par l'йpouvantable embrasement des morceaux de chair humaine. Publlus Lentulus sentit toute l'extension de son Impuissance devant cette dйmonstration suprкme d'horreur et de cruautй, mais il avanзa chancelant de douleur, comme ivre ou fou, au grand йtonnement de ceux qui le voyaient а pied en ce lieu а contempler bouche bйe les funestes torches, faites de tкtes difformes et calcinйes. Il laissait libre cours а ses pensйes endolories d'angoisse et de rйvolte, comme si son esprit n'йtait plus qu'un tigre enfermй dans la carcasse de sa vieille poitrine, quand il remarqua la prйsence de deux soldats ivres qui se battaient pour un dйlicat objet qui attira brusquement son attention, sans qu'il pыt expliquer la raison de son intйrкt inattendu. C'йtait un petit collier de perles auquel pendait un camйe prйcieux et ancien. Ses yeux fixиrent cet objet йtrange et son cњur devina le reste. Il le reconnut. Ce joyau йtait le cadeau de mariage fait а sa femme adorйe et ce ne fut qu'а cet instant qu'il se souvint de l'attachement affectueux de son йpouse pour ce camйe qui gardait son profil de jeune homme et lui rappelait l'unique amour de sa jeunesse. Il se posta face а ses rivaux qui adoptиrent immйdiatement une attitude respectueuse en sa prйsence. Interpellй avec sйvйritй, l'un des soldats expliqua d'une voix humble et tremblante : Trиs illustre, ce bijou appartenait а l'une des femmes condamnйes aux fauves, au spectacle d'aujourd'hui... Combien en voulez-vous ? - demanda Publius Lentulus sur un ton sinistre. Je l'ai achetй pour deux sesterces. Donnez-le-moi ! - rйpliqua le sйnateur sur un ton menaзant et impйratif. Humblement, les soldats lui remirent le collier et le sйnateur fouilla ses vкtements pour en retirer une lourde bourse de piиces d'or qu'il jeta aux deux hommes dans un geste de dйgoыt et de suprкme mйpris. Publius Lentulus s'йloigna de l'infвme environnement, contenant а peine les larmes qui affluaient maintenant de son cњur opprimй et brisй. Tout en serrant contre sa poitrine la minuscule parure, il semblait pris d'une force mystйrieuse. Il se figurait qu'en conservant le dernier vestige de la toilette de sa femme, il gardait auprиs de lui et pour toujours un peu de sa personne et de son cњur. Loin des lumiиres macabres qui illuminaient а peine la voix publique, le sйnateur pйnйtra dans une ruelle pleine d'ombres. Aprиs avoir fait quelques pas, il remarqua que devant lui se dressait vers le ciel un arbre gigantesque qui embellissait le dйcor de la vйtustй de sa frondaison majestueuse. Chancelant, il s'appuya contre le vieux tronc, avide de repos et de consolation. Il contempla les йtoiles qui paraient de douces scintillations tout le firmament romain et se dit qu'а cet instant l'вme si pure de sa compagne devaient certainement reposer dans la paix sublime des clartйs cйlestes, sous la bйnйdiction de dieux... D'un geste spontanй, il baisa le minuscule collier, le serra dans un dйlicat ravissement contre son cњur et considйrant le dйsert aride de sa vie, il se mit а pleurer comme jamais il ne l'avait fait en toute autre circonstance douloureuse de son existence tourmentйe. Il fit une rйtrospective profonde de tout son passй amer et se dit que toutes ses nobles aspirations avaient йtй bafouйes par les dieux et par les hommes. Dans son regrettable orgueil, il avait payй au monde les plus lourds tributs d'angoisses et de larmes et, dans sa vanitй d'homme, il avait reзu les humiliations les plus accablantes du destin. Il reconnaissait tardivement que Livia avait tout fait pour le rendre heureux, l'entourant toute sa vie d'un amour joyeux, simple et sans prйtention. Il se souvint des moindres dйtails de son triste passй comme si son esprit procйdait mйticuleusement а l'autopsie de tous ses rкves, espoirs et illusions, dans le brouillard йpais du temps. En tant qu'homme, il avait vйcu йtroitement liй aux affaires d'Йtat qui lui avaient volй les rйjouissances les plus charmantes de la vie familiale et, en tant qu'йpoux, il n'avait pas eu suffisamment d'йnergie pour s'armer contre les calomnies insidieuses. C'est en tant que pиre, qu'il se considйrait le plus malheureux de tous. Que lui valait а prйsent l'aurйole du triomphe, si elle s'accompagnait de l'imbuvable calice d'amertume ? А quoi bon les victoires politiques et la reconnaissance sociale des titres de noblesse, ainsi que la considйrable expression de sa fortune sous la poigne implacable de son impitoyable destin en ce monde ? Ses pensйes se perdaient dans de profonds abоmes d'ombre et de doutes acerbes, lorsque surgit а son esprit tourmentй l'image suave et douce du sublime prophиte de Nazareth avec la richesse indestructible de sa paix et de son humilitй. Dans la plйnitude de ses souvenirs, il lui semblait entendre encore les conseils extraordinaires qu'il lui avait adressйs de sa voix affectueuse et compatissante, au bord des eaux agitйes du lac Tibйriade. Intensйment, il se souvint de Jйsus et se sentit pris d'un vertige de larmes douloureuses qui, d'une certaine maniиre, apaisиrent le dйsert de son cњur. S'agenouillant sous le feuillage opulent et gйnйreux, comme il l'avait fait un jour en Palestine, se rappelant la force morale que la doctrine chrйtienne avait procurйe au cњur de sa femme, la nourrissant spirituellement pour recevoir avec dignitй et hйroпsme toutes ses souffrances, il s'exclama tournй vers les cieux, les yeux baignйs de larmes : - Jйsus de Nazareth ! dit-il d'une voix suppliante et affligйe - il a fallu que je perde le meilleur et le plus cher de tous mes trйsors pour que je me souvienne de la concision et de la douceur de tes paroles !... Je ne sais comprendre ta croix et je ne sais encore pas accepter ton humilitй dans ma sincйritй d'homme, mais si tu peux voir la gravitй de mes blessures, viens secourir, une fois encore, mon cњur misйrable et malheureux !... Une dйchirante crise de larmes survint а cette invocation touchйe d'une grande franchise agressive et poignante. Il eut alors l'impression qu'une йnergie indйfinissable et impondйrable l'aidait maintenant а traverser cet angoissant moment. Une fois la supplique achevйe qui йmanait du fond de son вme lacйrйe, l'orgueilleux patricien nota que la prйsence d'une force inexplicable modifiait en cet instant inoubliable, tous ses sentiments et, toujours agenouillй, il remarqua avec la vision intйrieure de son esprit qu'а ses cфtйs commenзait а apparaоtre un point lumineux qui grandissait prodigieusement dans l'йprouvante sйrйnitй de cet instant difficile de sa vie et fut surpris par le phйnomиne qui lui suggйrait les conjectures les plus inattendues. Finalement, le noyau de lumiиre prit forme et, devant lui, il vit la figure radieuse de Flaminius Sйvйrus qui venait lui parler dans la nuit tourmentйe de son infinie amertume. Surpris et effrayй, Publius reconnut sa prйsence identifiant ses traits physionomiques et ses salutations bienveillantes comme quand il s'adressait а lui sur terre. Son visage йtait le mкme dans sa douce expression de sйrйnitй а prйsent touchйe d'un sourire triste et amer. Il portait la mкme toge bordйe de pourpre, mais il n'avait pas cet air martial et imposant des jours vйcus sur terre. Flaminius le dйvisagea comme s'il йtait saisi d'une pitiй infinie et d'une amertume sans limite. Le regard pйnйtrant de son esprit scrutait les coins les plus secrets de sa conscience alors que le sйnateur se calmait, rйvйrencieux, йmu et surpris. Publius - lui dit affectueusement la voix amicale de l'Esprit -, ne te rйvolte pas de l'exйcution des desseins divins qui aujourd'hui modifient tous les parcours de ta vie !... Ecoute-moi bien ! Je te parle avec la mкme sincйritй et le mкme amour qui unit nos cњurs depuis de longs siиcles !... Face а la mort, toutes nos vanitйs disparaissent... dans ses clartйs sublimes, nos pouvoirs sur terre sont d'une fragilitй extrкme !... L'orgueil, mon ami, nous ouvre outre-tombe une porte de tйnиbres intenses oщ nous nous perdons dans notre йgoпsme et notre impйnitence !... Retourne chez toi et bois le contenu de morositй de tes rudes йpreuves avec sйrйnitй et force spirituelle, car tu es encore loin d'avoir йpuisй le calice de tes amertumes purificatrices au travers des expiations rйdemptrices et suprкmes... Les grandes douleurs, sans remиde en ce monde, ouvriront un nouveau chemin а ton raisonnement dans les йternels horizons de la croyance !... Nos dieux sont des expressions de foi respectable et pure, mais Jйsus de Nazareth est le Chemin, la Vйritй et la Vie !... Tandis que nos illusions sur Jupiter nous portent а rendre hommage aux plus puissants et aux plus forts, considйrйs comme favoris de nos divinitйs par l'expression de leurs riches sacrifices, les prйcieux enseignements du Messie nazarйen nous amиnent а rйflйchir а la pauvretй de nos faux pouvoirs sur la face du monde en soutenant les plus pauvres et les laissйs pour compte, comme pour pousser toutes les crйatures а aller vers son royaume, conquis par le sacrifice et grвce aux efforts de chacun en direction de l'unique vie rйelle qui est celle de l'Esprit... Aujourd'hui, je sais qu'un jour, tu as perdu une sublime opportunitй, mais le Fils de Dieu Tout-puissant, dans sa misйricorde et son amour infini, rйpond maintenant а ton appel en permettant que ma vieille affection vienne calmer les tristes blessures de ton cњur tourmentй !... Le sйnateur laissa sa pensйe se perdre dans la tempкte des larmes bйnies de sa vie. Haletant dans les hoquets de son йmoi, il demanda mentalement : Oui, mon ami et mon maоtre, je veux comprendre la vйritй et j'aspire au pardon de mes йnormes erreurs !... Flaminius, inspiration de mon вme blessйe, sois mon guide dans la nuit tourmentйe de ma triste destinйe !... Aide-moi avec ta sagesse et ta bontй !... Prends-moi а nouveau par la main et йclaire mon cњur sur le tйnйbreux chemin !... Que dois-je faire pour obtenir du ciel l'oubli de mes fautes ?!... Et comme intensйment йmue а la rйception de cet appel, la calme vision avait maintenant les yeux illuminйs par une larme divine, pleine de pitiй. Peu а peu, sans que Publius puisse comprendre le mйcanisme de ce phйnomиne insolite, il observa que la silhouette de son ami se diluait lйgиrement dans l'ombre, s'йloignant de l'йcran de ses contemplations spirituelles ; mais mкme ainsi, il perзut que ses lиvres murmuraient charitablement un mot : - Pardonne !... Cette douce recommandation toucha son вme comme un baume apaisant. Il sentit, alors, que ses yeux йtaient а prйsent ouverts aux rйalitйs matйrielles qui l'entouraient comme s'il s'йveillait d'un rкve йdifiant. Il sentit quelque chose soulager ses profondes douleurs et se leva pour reprendre avec dйtermination le fardeau laborieux de son existence sur terre. De retour а son foyer vers vingt-deux heures, il trouva Pline et Flavia qui l'attendaient affligйs. En voyant sa physionomie profondйment abattue et dйfigurйe, sa fille anxieuse l'йtreignit dans un йlan de tendresse indйfinissable et s'exclama en larmes : Mon pиre, mon cher pиre, jusqu'а prйsent nous n'avons pu obtenir de nouvelles. Publius Lentulus, nйanmoins, fixa son regard triste et dйcouragй dans celui de ses enfants, les embrassant silencieusement. Puis, il leur demanda de le suivre dans son cabinet privй oщ il fit appeler aussi Anne, et tous les quatre, en conseil de famille, examinиrent trиs йmus les inoubliables йvйnements de ce jour fait d'amиres йpreuves. Au fur et а mesure que le sйnateur transmettait а ses enfants les pйnibles rйvйlations faites par Anne, qui accompagnait ces paroles extrкmement йmue, Flavia et son йpoux traduisaient sur leur visage les йmotions les plus singuliиres et les plus fortes, face а l'angoissante impression de ce rйcit. Une fois cette histoire dйtaillйe achevйe, Pline Sйvйrus s'exclama dominй par son orgueil irrйflйchi : Mais, ne pourrions-nous pas imputer toute la faute de ces faits а cette infвme crйature qui depuis tant d'annйes sert indignement votre maison ? En se prononзant de la sorte, l'officier pointait du doigt la servante qui, la tкte humblement baissйe, priait Jйsus de fortifier son esprit pour le tйmoignage qu'elle devinait cuisant pour les sentiments les plus dйlicats de son cњur. Publius Lentulus sembla soutenir l'opinion de son gendre ; nйanmoins, il se souvint des propos de Flaminius qui rйsonnaient encore au fond de sa conscience et rйpondit avec fermetй: Mes enfants, oublions les jugements prйcipitйs et, si l'on reconnaоt la faute d'Anne en acceptant les vкtements de sa maоtresse, je veux vйnйrer en cette servante la mйmoire de Livia, et cela а jamais. Compagne fidиle de ses angoissantes souffrances durant vingt-cinq annйes, elle restera dans cette maison avec les mкmes droits qui lui furent accordйs par sa bienfaitrice. J'exige а peine que son cњur sache garder les lugubres secrets de cette nuit, car je dйsire honorer publiquement la mйmoire de ma femme, aprиs son terrible sacrifice aux festivitйs de l'infamie. Pline et Flavia observaient, surpris, la gйnйrositй spontanйe envers la domestique qui, а son tour, remerciait Jйsus pour la grвce de son йclaircissement. Le sйnateur semblait profondйment modifiй aprиs ce choc terrible ressenti dans ses fibres spirituelles. А cet instant, Pline Sйvйrus intervint pour dire : - А diffйrents amis qui sont venus pour vous fйliciter, j'ai dйclarй qu'йtant donnй le deuil de ma mиre, vous ne cйlйbreriez pas votre triomphe politique а la date d'aujourd'hui. De plus, pour justifier votre absence, je les al informйs que dame Livia йtait gravement malade а Tibur oщ elle йtait partie pour se rйtablir. Des informations qui, d'ailleurs, furent reзues avec le plus grand naturel de la part de nos amis puisque votre compagne n'a jamais plus frйquentй la sociйtй depuis son retour de Palestine, il йtait donc bien comprйhensible que tout notre proche entourage la considиre malade. Le sйnateur йcouta, avec intйrкt, ces explications, comme s'il avait trouvй la solution а l'angoissant problиme qui l'accablait. Au bout de quelques minutes, aprиs avoir examinй la possibilitй d'appliquer l'idйe qui avait effleurй son cerveau endolori, il s'exclama plus actif : Ton idйe, mon garзon, dans le cas prйsent, vient de m'apporter une solution raisonnable а l'angoissante question qui me tourmentait. Il est de mon devoir de dйfendre la mйmoire de mon йpouse - continua le sйnateur les yeux humides -, et si c'йtait possible, je partirais combattre corps а corps la mentalitй infвme du gouvernement cruel qui actuellement souille nos meilleures conquкtes sociales ; mais si j'allais clamer personnellement mon indignation et ma rйvolte sur la place publique, je serais pris pour un fou ; et si je dйfie Domitius Nйron cela reviendrai а vouloir immobiliser les eaux du Tibre avec la tige d'une fleur. Puisqu'il en est ainsi, je saurai agir dans les coulisses de la vie politique pour renverser le tyran et ses partisans, mкme si cela demande du temps et de la patience. Maintenant, ce que je dois faire de toute urgence, c'est prкter tous les hommages possibles aux sentiments immaculйs de ma compagne emportйe par les tourbillons de l'insanitй et de la cruautй. Pline et Flavia l'йcoutaient silencieux et йmus sans dйranger le flot rapide de ses paroles, tandis qu'il continuait avec sagesse : Voilа plus de dix ans que la sociйtй romaine voyait en ma pauvre compagne une malade et une folle. Et puisque nos amis ont йtй avertis que Livia se trouve а Tibur, peut-кtre а attendre la mort, je partirai lа-bas, cette nuit mкme emportant Anne avec moi... Et comme s'il йtait pris par une idйe fixe avec cette prйoccupation de rendre hommage а l'inoubliable dйfunte, Publius Lentulus poursuivit : Notre maison а Tibur est inhabitйe actuellement car depuis plus de vingt jours, Filopator est parti pour Pompйi, conformйment а mes ordres... J'arriverai lа-bas avec Anne, et j'apporterai une urne funйraire qui, а toutes fins utiles, renfermera les restes de ma pauvre Livia... Nos serviteurs devront aussi partir demain quand j'enverrai des messagers а Rome les informant des йvйnements passйs et pour satisfaire aux pragmatiques de la vie sociale !... А Tibur, nous rendrons а la mйmoire de Livia tous les hommages. Je transfйrerai ensuite officiellement les cendres ici, oщ je ferai cйlйbrer les plus solennelles obsиques pour les visites publiques, tйmoignant ainsi bien que tardivement, ma vйnйration pour la sainte crйature qui a sacrifiй pour nous sa vie entiиre... Mais... et l'incinйration ? - demanda Pline Sйvйrus, prudemment, alors qu'il rйflйchissait au possible succиs du projet. Le sйnateur n'eut pas d'hйsitation pour rйgler la question avec l'habituelle йnergie de ses dйcisions : Si cette cйrйmonie requiиre la prйsence des prкtres, je saurai aller voir le ministre du culte de la citй, prйtextant mon dйsir de tout faire dans le cercle le plus restreint de l'intimitй familiale. Il ne me reste plus qu'а espйrer de vous qui m'йcoutez, un silence tombal sur les pйnibles mesures prises cette nuit, afin de ne pas blesser les susceptibilitйs des prйjugйs sociaux. Surpris par cette йnergie en des circonstances aussi difficiles, Pline Sйvйrus lui tint encore compagnie pour l'achat de l'urne mortuaire qui fut acquise, en quelques minutes, а un commerзant qui ne demanda rien а cet йtrange client, vu sa position sociale et politique, ainsi que la gйnйreuse importance qu'il reзut pour l'achat effectuй avec des avantages significatifs. Cette nuit-lа, Publius Lentulus et Anne se dirigиrent avec quelques esclaves vers la citй de villйgiature de la Rome antique. Ils traversиrent en quelques heures l'obscuritй йpaisse des chemins et arrivиrent dans la plus grande sйrйnitй pour organiser les derniers hommages rendus а la mйmoire de Livia. Toutes les mesures furent adoptйes а la surprise de tous les serviteurs qui n'osиrent pas discuter les ordres reзus, et mкme а celle des patriciens de la ville qui savaient la femme du sйnateur malade, mais ignoraient le pйnible йpisode de son dйcиs. Flavia et Pline furent appelйs le lendemain pour rйpondre а tous les impйratifs d'ordre social, lors de la pйnible reprйsentation des condolйances. Une donation plus gйnйreuse de Publius Lentulus au culte de Jupiter lui valut la pleine autorisation du clergй tiburtin, affйrent а la dйcision d'incinйrer le cadavre de sa femme dans la stricte intimitй de sa famille. Il fut rendu hommage а la mйmoire de Livia avec tous les cйrйmonials du culte antique des dieux invoquant la protection des mвnes et des divinitйs domestiques. De nombreux porteurs furent envoyйs а Rome et deux jours plus tard l'urne funйraire arrivait au siиge de l'Empire en pйnйtrant pompeusement dans le palais de l'Aventin oщ l'attendait un majestueux catafalque. Durant trois jours successifs, les cendres symboliques de Livia furent exposйes а la visite du peuple. Le sйnateur avait fait distribuer d'abondants dons en aliments et en argent а la plиbe qui venait prкter les derniers hommages а la mйmoire de sa chиre dйfunte. De longs pиlerinages visitиrent la rйsidence, jour et nuit, lui donnant l'aspect imposant d'un temple ouvert а toutes les classes sociales. Toute la noblesse romaine, de mкme que le cruel Empereur, se fit reprйsenter aux pompes de ces obsиques qui йtaient en quelque sorte une expression de remords et une tentative de rйparation de la part de son йpoux peinй. Publius Lentulus considйrait que seulement ainsi, il pouvait maintenant se repentir publiquement а l'йgard de sa femme qui occupait а nouveau une place de vйnйration dans le large cercle des amitiйs aristocratiques de sa famille. Une fois ces cйrйmonies terminйes, le sйnateur voulut а tout prix que sa fille et son gendre, ainsi qu'Agrippa, se mettent а habiter au palais de l'Aventin en sa compagnie. Ce qui fut acceptй provisoirement, conformйment а ce qu'assurait Pline а sa femme, et cette nuit-lа, l'вme lacйrйe de nostalgie et d'angoisses il transporta avec Anne, tous les objets d'utilisation personnelle de son йpouse dans ses appartements privйs. Une fois cette tвche achevйe, Publius Lentulus fit а la servante avec un singulier intйrкt : Tout est lа ? Et recevant une rйponse affirmative, il insista, comme s'il manquait encore quelque chose. Il faisait rйfйrence а la croix de Simйon gardйe soigneusement par le dйvouement d'Anne, comme si plus personne ne pouvait apprйcier la signification spйciale de ce trйsor : Oщ est la petite croix Ah ! C'est vrai !... - s'exclama l'employйe satisfaite d'observer la modification de cette вme austиre. Et elle rapporta de sa chambre le modeste souvenir de l'apфtre de Samarie qu'elle remit avec une dйfйrence affectueuse. Le sйnateur le plaзa alors dans l'un des meubles secrets. Nйanmoins, quiconque accompagnait son existence amиre, pouvait le voir toutes les nuits dans la solitude de son appartement, prиs du prйcieux symbole des croyances de sa compagne. Lorsque les lumiиres du palais lentement s'йteignirent et alors que tout le monde essayait de trouver le repos dans le silence de la nuit, le fier patricien retirait du coffre-fort de ses souvenirs les plus chers, la croix de Simйon et, agenouillй comme le faisait Livia, il arrкtait la machine du conventionnalisme mondain pour mйditer et pleurer amиrement. AUBADES DU ROYAUME DU SEIGNEUR En йvoquant la douloureuse et йmouvante scиne du sacrifice des martyrs chrйtiens dans l'arиne du cirque, nous sommes amenйs а suivre Livia dans son auguste parcours vers le royaume de Jйsus. Jamais les horizons de la terre ne furent gratifiйs de paysages d'une si grande beautй que ceux qui s'ouvrirent dans les sphиres les plus rapprochйes de la planиte, lors du dйpart en masse des premiers apфtres du christianisme, exterminйs par l'impiйtй humaine, а l'вge d'or et glorieux de la doctrine consolatrice du Nazarйen. En ce jour, alors que les fauves affamйs dйchiquetaient les adeptes sans dйfense des idйes nouvelles, toute une lйgion d'Esprits sages et bienveillants, sous l'йgide du Divin Maоtre, entourait les cњurs mortifiйs de martyre et les remplissait de force, de rйsignation et de courage pour le suprкme tйmoignage de leur foi. Au-dessus des funestes passions dйchaоnйes de cette foule ignorante et impitoyable, les pouvoirs du ciel dйployaient la mante infinie de sa misйricorde, et au-delа de ce sinistre vacarme assourdissant, des voix bйnissaient les martyrs du Seigneur en les abreuvant de suaves et heureuses consolations. La nuit tombait dйjа, alors que les derniиres victimes s'effondraient sous les attaques violentes des lions furieux et implacables. En ouvrant les yeux dans les bras affectueux de son vieil et gйnйreux ami, Lwia comprit immйdiatement que son angoissant supplice avait йtй consommй. Simйon avait sur les lиvres un sourire divin et caressait ses cheveux paternellement avec tendresse et douceur. Une йtrange йmotion vibrait nйanmoins dans l'вme libйrйe de l'йpouse du sйnateur qui fondit en larmes. А ses cфtйs, elle remarqua peinйe, les restes sanglants de son corps lacйrй et comprit, malgrй son йpouvante, le doux mystиre de la rйsurrection spirituelle dont parlait Jйsus dans ses divines leзons. Elle voulut parler afin de traduire ses pensйes les plus intimes, mais elle avait le cњur plein d'йmotions indйfinissables et angoissantes. Petit а petit, elle remarqua que de l'arиne sanglante, s'йlevaient des entitйs qui, comme elle, essayaient maladroitement de faire des pas, soutenues nйanmoins par des crйatures йthйrйes aurйolйes d'une grвce incomparable, comme jamais elle n'avait pu en voir dans sa vie. А ses yeux, le scйnario colorй et tourmentй du cirque de l'ignominie disparut et dans ses oreilles ne rйsonnaient plus les йclats de rire ironiques et pervers des spectateurs impitoyables. Elle remarqua que du firmament constellй йmanait une lumiиre misйricordieuse et compatissante, et se figurait qu'une nouvelle clartй inconnue sur terre s'йtait merveilleusement allumйe dans la nuit. Une immense foule d'кtres qui paraissaient ailйs les entouraient tous, remplissant l'ambiance de vibrations divines. Йblouie, elle vit alors qu'entre la terre et le ciel se formait un radieux chemin... Le long d'un sillage de lumiиre indescriptible qui n'offusqua pas l'йclat caressant et tendre des йtoiles qui bordaient, scintillantes, le doux bleu du firmament, elle remarqua de nouvelles lйgions spirituelles qui descendaient rapidement des merveilleuses rйgions de l'infini... Captivйs par les sonoritйs dйlicates de cet environnement ineffable, ses oreilles entendirent alors de sublimes mйlodies йmanant du monde invisible comme si, des fauvettes divines du paradis chantaient dans le ciel accompagnйes de lyres, de flыtes, de harpes et de luths, projetant les joies sidйrales dans les paysages obscurs et tristes de la terre... Comme poussй par une йnergie mystйrieuse, son esprit parvint alors а manifester les йmotions les plus intimes et les plus chиres. Etreignant son vieux et gйnйreux ami de Samarie, elle put murmurer, le visage baignй de larmes : Simйon, mon bienfaiteur et maоtre, prie avec moi Jйsus pour que cette heure me soit moins pйnible... Oui, ma fille - rйpondit le vйnйrable apфtre en la serrant contre son cњur, comme il l'aurait fait а un enfant -, le Seigneur, dans son infinie misйricorde, rйserve son affection а ceux qui font appel а sa magnanimitй avec la foi ardente et sincиre de leur cњur !... Calme ton esprit car tu es maintenant en route vers le royaume du Seigneur destinй aux cњurs qui ont beaucoup aimй !... A cet instant, nйanmoins, une force incomprйhensible sembla pousser vers les cieux tous ceux qui se trouvaient lа, dйpouillйs de leur lourde enveloppe terrestre... Livia prit conscience de l'absence du sol et que tout son кtre voletait dans l'espace. Elle йprouva d'йtranges sensations bien que fortement soutenue par les bras bienveillants de son vйnйrable ami. C'йtait, en fait, un radieux cortиge d'entitйs trиs pures qui s'йlevaient conjointement а travers ce scintillant chemin tracй de lumiиre, en plein йther !... Gardant l'impression d'une singuliиre lйgиretй, l'йpouse du sйnateur se sentit plongйe dans un ocйan de vibrations trиs douces. Tous ses compagnons, йgalement soutenus par les messagers divins, lui souriaient et en les dйvisageant, elle identifia, un а un, ceux qui avaient partagй avec elle la prison, le martyre et la mort infвme. А un moment donnй, nйanmoins, comme si brusquement tous les dйtails de la rйalitй environnante lui revenaient en mйmoire, elle se souvint d'Anne et ressentit son absence dans ce voyage de glorification а Jйsus-Christ. Ce souvenir suffit pour que la voix de Simйon lui explique avec sa bontй proverbiale : Ma fille, plus tard tu pourras tout savoir... Nйanmoins dans ta nostalgie, plie-toi toujours aux desseins divins inspirйs de sagesse et de misйricorde... Ne t'йtonne pas de l'absence d'Anne а ce banquet de joies cйlestes, car il a plu а Jйsus de la garder quelque temps encore а l'apprentissage de ses bйnйdictions parmi les ombres de l'exil terrestre... Livia qui l'йcoutait, se rйsigna silencieusement. Elle remarqua qu'ils suivaient toujours la mкme route merveilleuse qui, а ses yeux, semblait relier le ciel а la terre dans un fraternel enlacement de lumiиre oщ toutes les divines composantes de la lumineuse caravane semblaient flotter dans un mouvement d'ascension en plein espace vers des rйgions glorieuses et inconnues. Au sein des йlйments aйriens, elle s'йtonnait de conserver tout le mйcanisme de ses sensations physiques а travers ce chemin йthйrй et radieux. Au loin, aux confins de l'infini, il lui semblait distinguer de nouveaux firmaments йtoiles qui se multipliaient merveilleusement dans cette immensitй oщ elle pouvait observer des radiations fulgurantes qui, parfois, йblouissaient ses yeux йmerveillйs... D'autres fois, en regardant furtivement en arriиre, elle voyait une masse d'ombres compactes et mouvantes oщ se trouvaient les aires de vie sur la terre lointaine. Des deux cфtйs du chemin, elle constata l'existence de fleurs gracieuses et parfumйes comme si les lys terrestres, bien que plus dйlicats, avaient йtй transportйs aux jardins du paradis. L'йternitй se prйsentait а elle pleine d'enchantements et d'indicibles fйlicitйs !... Simйon lui parlait affectueusement de son adaptation а sa nouvelle vie et des beautйs sublimes du royaume de Jйsus, tout en se rappelant avec joie des pйnibles angoisses de la vie sur terre. А ses oreilles rйsonnиrent alors les voix argentines et harmonieuses des rossignols sidйraux qui fкtaient, la rйdemption des martyrs du christianisme comme s'ils arrivaient aux alentours d'une nouvelle Galilйe, pleine de mйlodies et de parfums dйlicieux, йrigйe а la pleine lumiиre de l'infini comme un nid d'вmes sanctifiйes et pures а se balancer au vent parfumй d'un interminable printemps sur l'arbre merveilleux et sans fin de la crйation... Cet hymne doux et clair, tantфt s'йlevait dans les cieux avec de prodigieuses sonoritйs comme l'encens subtil des вmes en quкte du trфne de l'Eternel dans des hosannas d'amour, de joie et de reconnaissance, tantфt descendait en de ravissantes mйlodies, en direction des ombres de la terre, comme un cri de foi et une espйrance en Jйsus-Christ, destinй а йveiller dans le monde les cњurs les plus pervers et les plus endurcis... Le langage humain ne traduit pas fidиlement les harmonieuses vibrations des mйlodies de l'invisible, mais ce cantique de gloire doit кtre rappelй, au moins vaguement, comme une douce rйminiscence du paradis : - Gloire а Toi, Seigneur de l'Univers, Crйateur de toutes les merveilles !... « C'est par ton inaccessible sagesse que s'allument les constellations dans les abоmes de l'infini et c'est par ta bontй que pousse l'herbe tendre sur la croыte obscure de la terre !... « Par ta grandeur inapprйciable et par ta justice misйricordieuse, le temps ouvre ses trйsors illimitйs aux вmes !... « Par ton amour sacro-saint et sublime, fleurissent tous les rires et toutes les larmes dans le cњur des crйatures !... « Bйnis, Seigneur de l'Univers, les espoirs sacrйs de ce royaume. Jйsus est pour nous ton Verbe d'amour, de paix, de charitй et de beautй !... Fortifie nos aspirations а coopйrer а ta Sainte Moisson !... « Multiplie nos йnergies et fais pleuvoir sur nous le feu sacrй de la foi pour que se rйpandent sur la terre les divines graines de l'amour de ton Fils !... « Une goutte de rosйe divine de ta misйricorde suffit pour que tous les cњurs plongйs dans la boue des crimes et des impйnitences terrestres soient purifiйs, et il suffit d'un seul rayon de ton pouvoir pour que tous les Esprits se convertissent au bien suprкme !... « Et а prйsent, ф Jйsus, Agneau de Dieu, qui фte le pйchй du monde, reзois nos supplications ardentes et ferventes ! « Bйnis, ф Divin Maоtre, ceux qui arrivent redоmes avec le souffle crйateur de tes bйnйdictions sacrйes !... « Victimes de la perversitй humaine, tes missionnaires ont accompli courageusement toutes les obligations qui les retenaient prisonnier dans leur pйnible exil !... « Le monde, dans le tourbillon de ses inquiйtudes et de ses iniquitйs, n'a pas compris leur cњur amoureux, mais dans ta bontй et ta misйricorde, tu ouvres aux martyrs de la vйritй les portes divines de ton royaume de lumiиre... » Des strophes d'une profonde beautй йparpillaient sur les routes claires et sublimes de l'йther universel, les bйnйdictions de la paix et des joies harmonieuses ! Les кtres infйrieurs des sphиres spirituelles plus proches de la planиte recevaient ces effluves sacro-saints du cйleste banquet rйservй par Jйsus aux martyrs de sa doctrine de rйdemption, comme s'ils йtaient aussi invitйs par la misйricorde du Divin Maоtre. Et beaucoup parmi eux, touchйs par ces merveilleuses vibrations se convertissaient pour toujours а l'amour et au bien suprкmes. Des harmonies extrкmement douces saturaient toutes les atmosphиres spirituelles, renversant sur la terre des clartйs augustes et souveraines. Dans cette rйgion de beautйs inconnues et prodigieuses, indescriptibles vu la pauvretй du langage humain, Livia recouvra ses forces morales aprиs l'austиre accomplissement de sa divine mission. Lа, elle comprit toute l'extension du concept « plusieurs demeures » des enseignements de Jйsus en contemplant auprиs de Simйon les sphиres de travail les plus diverses, localisйes aux abords de la terre ou en йtudiant la grandeur des mondes dissйminйs par la sagesse divine dans l'ocйan incommensurable de l'йther, dans l'immortalitй. Obйissant aux tendances de son cњur, elle n'oublia pas dans les cercles spirituels ses anciennes amitiйs qui se trouvaient dans les zones terrestres. Aprиs quelques jours d'йmotions douces et chaleureuses, tous les Esprits, rйunis dans ce paysage lumineux, se prйparиrent а recevoir la visite du Seigneur, comme lors de sa divine prйsence dans le cadre bucolique de la Galilйe. Par un jour d'une rare et indicible beautй oщ une clartй de nuances divines versait un savoureux miel d'allйgresse dans tous les cњurs, l'Agneau de Dieu descendit de la sphиre supйrieure de ses gloires sublimes et, prit la parole dans ce cйnacle de merveilles. Il se souvint de ses inoubliables prйdications prиs des eaux calmes de la petite « mer » de Galilйe. Il serait impossible de traduire fidиlement sur terre, la beautй nouvelle de Tous ceux qui йtaient prйsents avaient devant eux la copie fidиle des tableaux gracieux et clairs du lac Tibйriade. La parole du Maоtre pйnйtrait au fond des вmes avec des sonoritйs profondes et mystйrieuses, tandis que de ses yeux йmanait la mкme vibration de misйricorde et de sereine majestй. - Venez а moi, vous tous qui avez semй des larmes et du sang dans la vigne cйleste de mon royaume d'amour et de vйritй !... « Dans les demeures infinies du Pиre, il y a suffisamment de lumiиre pour dissiper toutes les tйnиbres, consoler toutes les douleurs, racheter toutes les iniquitйs... « Glorifiez-vous donc dans la sagesse et dans l'amour de Dieu Tout-puissant, vous qui avez dйjа secouй la poussiиre des sandales misйrables de la chair dans les sacrifices purificateurs de la terre ! Une paix souveraine vous attend, pour toujours, au royaume dilatй et sans fin, promis par les divins allйluias de la Bonne Nouvelle, car vous n'avez pas nourri d'autre aspiration au monde que celle de trouver le royaume de Dieu et de sa justice. « Entre la crиche et le calvaire, j'ai tracй pour mes brebis, l'йternel et lumineux chemin... L'Йvangile fleurit, а prйsent, comme la moisson immortelle et inйpuisable des bйnйdictions divines. Nйanmoins, ne nous reposons pas, mes bien-aimйs, car le temps viendra sur la terre oщ toutes les leзons seront piйtinйes et oubliйes... Aprиs une longue иre de sacrifices afin qu'elle se fortifie dans les вmes, la doctrine de la rйdemption sera appelйe а йclairer le pouvoir transitoire des peuples ; mais l'orgueil et l'ambition, le despotisme et la cruautй renaоtront dans les abus infвmes de la libertй ! De ses ruines pompeuses, le culte antique cherchera а restaurer les temples abominables du veau d'or. Les prйjugйs religieux, les castes du clergй et les faux prкtres rйtabliront а nouveau le marchй des choses sacrйes en offensant l'amour et la sagesse de Notre Pиre qui apaise la vague minuscule dans le dйsert de la mer, comme il sиche la plus petite larme de l'homme versйe dans le silence de ses priиres ou dans la douloureuse sйrйnitй de son indicible amertume !... « En enterrant l'Йvangile dans l'abomination des lieux saints, les abus religieux ne pourront pas, nйanmoins, ensevelir la lumiиre de mes vйritйs en les dйrobant au cњur des hommes de bonne volontй !... « Quand l'on constatera cette йclipse de l'йvolution de mes enseignements, je ne cesserai pas pour autant d'aimer intensйment le troupeau de mes brebis йgarйes de l'йtable !... « Des sphиres de lumiиre qui dominent tous les cercles d'activitйs terrestres, je marcherai avec mes protйgйs rebelles, comme autrefois entre les cњurs Impitoyables et les endurcis d'Israлl que j'ai choisi un jour pour кtre le messager des vйritйs divines parmi les tribus dispersйes de l'immense famille humaine !... « Au nom de Dieu Tout-puissant, mon Pиre et votre Pиre, je me rйjouis ici avec vous des galons spirituels que vous avez conquis dans mon royaume de paix par vos sacrifices bйnis et par vos renoncements purificateurs ! De nombreux missionnaires de ma doctrine tomberont encore inanimйs dans l'arиne de l'impiйtй, mais ils formeront avec vous la caravane apostolique qui jamais plus ne se dissoudra et soutiendra tous les travailleurs qui persйvйreront jusqu'au bout sur le long chemin du salut des вmes !... « Quand l'obscuritй sera plus profonde dans les cњurs sur terre moyennant l'usage de tous les progrиs humains pour l'extermination, pour la misиre et pour la mort, je dйverserai ma lumiиre sur toute la chair. Et tous ceux qui vibreront en syntonie avec mon royaume et qui auront confiance en mes promesses, entendront nos voix et nos appels sanctificateurs !... « Par la sagesse et par la vйritй, dans les douces rйvйlations du consolateur, mon verbe se manifestera а nouveau aux crйatures dйsorientйes sur le chemin escarpй а travers vos leзons qui se perpйtueront dans les pages immenses des siиcles а venir !... « Oui ! Mes bien-aimйs, le jour viendra oщ tous les mensonges humains seront confondus par la clartй des rйvйlations du ciel. Un souffle puissant de vйritй et de vie balaiera toute la terre qui paiera alors l'йvolution de ses institutions, les plus lourds tributs de souffrances et de sang... Epuisйe de recevoir les fluides toxiques de l'ignominie et de l'iniquitй de ses habitants, la planиte elle- mкme protestera contre l'impйnitence des hommes en dйchirant ses entrailles en de tristes cataclysmes... . Les impiйtйs terrestres formeront de lourds nuages de douleur qui йclateront, le moment opportun venu, en des tempкtes de larmes sur la face obscure de la terre et, alors, des clartйs de ma misйricorde, je contemplerai mon troupeau malheureux et je dirai comme mes йmissaires : « Ф Jйrusalem, Jйrusalem !... » « Mais Notre Pиre, qui est l'expression sacrйe de tout l'amour et de toute la sagesse, ne veut pas perdre une seule de ses crйatures йgarйes sur les tйnйbreux sentiers de l'impiйtй !... « Nous travaillerons avec amour а l'atelier des siиcles а venir, nous rйorganiserons tous les йlйments dйtruits, nous examinerons soigneusement toutes les ruines cherchant le matйriel passible d'кtre mis а profit et, lorsque les institutions terrestres auront rйajustй leur vie dans la fraternitй et dans le bien, dans la paix et dans la Justice, conformйment а la sйlection naturelle des Esprits et des convulsions rйnovatrices de la vie planйtaire, nous organiserons pour le monde un nouveau cycle йvolutif en consolidant avec les divines vйritйs du Consolateur, les progrиs dйfinitifs de l'homme spirituel ». La voix du Maоtre semblait remplir les confins de l'infini mкme, comme s'il la lanзait, telle une balise divine de son amour dans les profondeurs de l'espace et du temps, au cњur radieux de l'йternitй. L'exposition de ses augustes prophйties achevйe, sa figure sublime s'йleva vers les cieux, tandis qu'un ocйan de lumiиre bleutйe, mкlйe aux sons de mйlodies divines et incomparables, envahissait ces zones spirituelles des nuances caressantes des saphirs terrestres. Pris d'une douce йmotion, tous les participants, agenouillйs, pleuraient de reconnaissance et de joie, et se remplissaient de courage sanctifiй pour les tвches йlevйes qui leur appartiendrait d'accomplir, au cours incessant des siиcles а venir. Des fleurs d'un bleu cйleste merveilleux pleuvaient des cieux sur toutes les tкtes et se dйfaisaient en touchant les dйlicates substances qui formaient le sol de ce paysage d'une souveraine harmonie, comme des lys fluidiques de brume parfumйe. Emue, Livia pleurait. Alors avec ses gйnйreux enseignements, Simйon l'informa des nouvelles missions sanctifiйes qui attendaient son dйvouement au niveau spirituel. Mon ami - dit-elle en larmes, les agonies terrestres sont un moindre prix pour ces rйcompenses radieuses et immortelles !... Si tous les hommes avaient connaissance de telles joies, ils n'auraient d'autre prйoccupation que de chercher le glorieux royaume de Dieu et de sa justice. Oui, ma fille - ajouta Simйon, comme si ses yeux se posaient sereinement sur les tableaux а venir -, un jour, tous les кtres de la terre connaоtront l'Йvangile du Maоtre, et suivront ses enseignements !... Pour cela, nous devrons nous sacrifier pour l'Agneau de Dieu autant de fois que cela sera nйcessaire. Nous organiserons des postes de travail avancйs parmi les ombres terrestres, nous chercherons а йveiller tous les cњurs endormis dans les pйnibles rйincarnations aux harmonies sublimes de ces divines aubades !... S'il le faut, nous retournerons au monde en de sanctifiantes missions de paix et de vйritй... Nous succomberons sur la croix infamante ou nous offrirons notre sang en pвture aux fauves de l'ambition et de l'orgueil, de la haine et de l'impiйtй qui sommeillent dans les вmes de nos compagnons de l'existence terrestre, convertissant ainsi tous les cњurs а l'amour de Jйsus-Christ !... A cet instant, nйanmoins, Livia remarqua qu'un groupe gracieux d'entitйs angйliques distribuait les grвces du Seigneur dans ce paysage fleuri de l'infini organisй dans l'au-delа comme une иre de repos, rйcompensant ceux qui avaient quittй les angoisses terrestres, aprиs l'accomplissement d'une mission divine. Tous ceux qui avaient atteint la victoire cйleste grвce а leurs efforts dans les martyres sanctifiants, recouvraient а prйsent des forces morales et dйsiraient connaоtre de nouvelles sphиres de joie spirituelles, de nouvelles expressions de la vie dans d'autres mondes et recevoir d'autres connaissances dans les temples radieux et sublimes de l'йternitй, rйtablissant en mкme temps l'йquilibre de leurs йmotions. Avec la magnanimitй des messagers de Jйsus, des plans sublimes furent йlaborйs : de nouveaux dйcors, de nouveaux ateliers d'йtude, de nouvelles йmotions lors de retrouvailles inoubliables avec des кtres aimйs qui avaient prйcйdй les missionnaires du Seigneur dans la nuit obscure et froide de la mort. Mais quand vint son tour d'exprimer ses dйsirs les plus secrets, aprиs avoir examinй ses sentiments les plus profonds, la noble compagne du sйnateur rйpondit en larmes а l'йmissaire de Jйsus qui l'interpellait : Messager du Bien - les merveilles du royaume du Seigneur auraient pour moi une nouvelle beautй, si je pouvais pйnйtrer leur splendeur en compagnie du cњur qui est а moitiй le mien, l'вme sњur de la mienne, que la sagesse de Dieu dans ses profonds et doux mystиres, a destinйe а ma vie depuis l'aube des temps !... Je ne veux pas mйpriser la gloire sublime de ces rйgions de fйlicitй et de paix indicibles, mais au milieu de toutes ces joies qui m'entourent, l'вme qui est le complйment de ma propre vie me manque !... Donnez-moi la grвce de retourner aux ombres de la terre et d'йlever du bourbier de l'orgueil et des vanitйs impitoyables, le compagnon de ma destinйe !... Permettez que je puisse le protйger en esprit, afin de le ramener un jour aux pieds de Jйsus, de maniиre а ce qu'il reзoive aussi ses divines bйnйdictions !... L'entitй angйlique sourit avec une profonde comprйhension et une tendre complaisance, et s'exclama : Oui - l'amour est le lien de lumiиre йternelle qui unit tous les mondes et tous les кtres de l'immensitй ; sans lui, la crйation infinie mкme n'aurait pas de raison d'кtre car Dieu est son expression suprкme... La perspective йblouissante des sphиres heureuses perdraient sa beautй divine si nous ne gardions pas l'espoir de participer, un jour, а ses joies illimitйes auprиs de nos bien-aimйs qui se trouvent sur terre ou dans d'autres cercles d'йpreuves de l'Univers... Et tout en fixant son regard lucide dans les yeux sereins et fulgurants de Livia, il poursuivit comme s'il devinait ses pensйes les plus secrиtes et les plus profondes : Je connais toute ton histoire et je suis au courant de tes luttes incessantes et rйdemptrices lors de tes incarnations passйes qui justifient par consйquent ton souhait de continuer, en esprit, а travailler sur terre pour le perfectionnement de ceux que tu as beaucoup aimй !... L'Agneau de Dieu aussi, a beaucoup aimй l'humanitй. Il n'a pas dйdaignй l'humiliation, le martyre, le sacrifice... Va, ma fille. Tu pourras travailler librement parmi les phalanges radieuses qui opиrent sur la face sombre de la planиte terrestre. Tu reviendras ici, chaque fois que tu auras besoin de nouveaux йclaircissements et de nouvelles йnergies. Tu retourneras auprиs de Simйon dиs que tu le souhaiteras. Soutiens ton malheureux compagnon dans le long sillage de ses expiations rudes et arriиres, car en effet, le malheureux Publius Lentulus n'est pas loin de son йpreuve la plus angoissante dans son existence actuelle perdue, malheureusement, par son orgueil dйmesurй et par sa vanitй froide et impitoyable !... Livia se sentit prise d'une indicible йmotion en raison de cette pйnible rйvйlation, mais simultanйment, elle manifesta, au fond de son cњur sensible et aimant, toute sa reconnaissance pour la misйricorde divine. Le mкme jour, en compagnie de Simйon, la gйnйreuse crйature retournait sur terre, s'йloignant provisoirement de ces splendides sphиres. Pendant son excursion spirituelle sublime et vertigineuse, elle observa les mкmes perspectives charmantes et йblouissantes du chemin, recevant en extase, des enseignements йlevйs de la part de son vйnйrable ami de Samarie. En peu de temps tous deux s'approchиrent d'une large tache sombre. Une fois dans l'atmosphиre terrestre, Livia sentit la singuliиre diversitй de la nature ambiante, йprouvant des chocs fluidiques trиs pйnibles. Bien vite, elle remarqua qu'elle se trouvait dans la mкme Rome de son enfance, de sa jeunesse et de ses amиres йpreuves. Il йtait minuit. Tout l'hйmisphиre йtait plongй dans des abоmes d'ombre. Soutenue par les bras et par l'expйrience de Simйon, elle arriva а son ancien palais de l'Aventin dont elle reconnut les marbres prйcieux. Une fois а l'intйrieur, Livia et Simйon se dirigиrent immйdiatement vers la chambre du sйnateur, lйgиrement йclairйe par une douce lumiиre. A l'exception des rues oщ circulaient bruyamment les esclaves attachйs au transport nocturne comme c'йtait la coutume а cette йpoque, toute la ville se reposait dans l'obscuritй. А genoux devant la relique de Simйon, comme il avait pris l'habitude de le faire derniиrement, Publius Lentulus mйditait. Sa pensйe йtait plongйe dans les tйnйbreux abоmes du passй oщ il cherchait а revoir avec angoisse les affections inoubliables qui l'avaient prйcйdй sur la triste route de la mort. Cela faisait plus d'un mois que sa femme aussi avait rejoint les mystиres de la tombe dans de tragiques circonstances. Plongй dans les tйnиbres de sa solitude amиre faite de profondes nostalgies, l'orgueilleux patricien apaisait les pйnibles inquiйtudes du jour, afin de mieux consulter les mystиres de l'кtre, de la souffrance et de la destinйe... А un moment donnй, alors que ses poignantes rйminiscences йtaient les plus profondes et les plus mйlancoliques, il remarqua а travers le voile de ses larmes que la petite croix en bois semblait йmettre de dйlicats rayons de lumiиre argentйe, comme si elle йtait baignйe d'un clair de lune misйricordieux et doux. Publius Lentulus, absorbй dans les vibrations lourdes et obscures de la chair, ne vit pas la noble silhouette de son йpouse qui se trouvait lа, prиs du vйnйrable apфtre du Samarie, se rйjouissant en notre Seigneur de constater les profondes et bйnйfiques modifications spirituelles de l'вme jumelйe а la sienne dans le pиlerinage itйratif des incarnations terrestres. Prise de joie et de reconnaissance envers la providence divine, Livia lui baisa le front dans un transport indйfinissable de tendresse, tandis que Simйon йlevait aux cieux une priиre d'amour et de remerciements. Le sйnateur ne perзut pas, directement, leur prйsence douce et lumineuse, mais au fond de son вme, il se sentit touchй par une force nouvelle alors que son cњur lacйrй fut enveloppй d'une lumiиre caressante d'une consolation ineffable, inconnue jusqu'а prйsent. TRAMES D'INFORTUNE L'annйe 58 semblait destinйe а marquer les incidents les plus difficiles de la vie du sйnateur Lentulus et de sa famille. Le dйcиs de Calpurnia et celui de Livia bien inattendu furent de pйnibles йvйnements qui imposиrent а leur foyer un deuil permanent et contraignirent Pline Sйvйrus а se rapprocher un peu de l'ambiance familiale. Il fit ainsi une trкve а ses extravagances d'homme encore jeune afin de vivre dans un calme relatif aux cфtйs de son йpouse. Mais la violence de ses prйtentions ne laissait а Aurйlia aucun rйpit. Elle avait rйussi а introduire une servante astucieuse auprиs de Flavia, conformйment au vieux projet que sa mentalitй malsaine convoitait et initia l'exйcution sinistre d'un plan diabolique afin d'empoisonner lentement sa rivale rйservйe et malheureuse. Au dйbut, la fille du sйnateur remarqua que quelques йruptions cutanйes apparaissaient sur son visage qui, considйrйes comme de moindre importance, furent traitйes uniquement avec de la pвte de mie de pain mйlangйe а du lait de jument, remиde qui а l'йpoque йtait considйrй spйcialement efficace pour la conservation de la peau. Toutefois, l'йpouse de Pline se plaignait sans cesse d'une faiblesse gйnйrale et montrait la plus grande lassitude. Quant а Pline, reprendre la normalitй de sa vie publique et se rendre а nouveau au violent amour d'Aurйlia ne fut qu'une question de jours. Il retourna bien vite а la vie mondaine avec sa maоtresse mais, а prйsent, sa situation sentimentale йtait trиs aggravйe vu les calomnieuses dйnonciations de Saul concernant les sentiments d'Agrippa envers sa femme. Bien que gйnйreux de tempйrament, Pline Sйvйrus йtait impulsif. Dans le contexte familial, son esprit йtait celui d'un tyran domestique qui, en adoptant une conduite des plus dйpravйes et incomprйhensibles, ne tolйrait pas la moindre erreur dans le sanctuaire de son foyer. Malgrй ses actes erronйs et condamnables, il se mit а surveiller constamment son frиre et son йpouse avec la fйroce impulsivitй d'un lion offensй. Saul de Gioras, а son tour, dйpitй par la sublime et fraternelle affection qui existait entre Flavia et Agrippa, ne perdait aucune occasion d'empoisonner le cњur impйtueux de l'officier en lui faisant part des calomnies les plus viles et les plus injustifiables. Avec sa gйnйrositй et son sentimentalisme, Agrippa ne pouvait pas deviner les piиges qui se tramaient autour de lui et continuaient avec la prйcieuse attention de son amitiй а l'йgard de la femme qui ne pouvait l'aimer que d'un amour fraternel sublimй. Mais l'ex-esclave des Sйvйrus ne perdait pas espoirs. Il se rendait souvent chez le vieux Arax dont la cupiditй et l'ambition ne cessaient de grandir au fur et а mesure que les annйes passaient, et il attendait anxieusement le moment de rйaliser son aspiration passionnelle. Comme il remarquait que Flavia Lentulia vouait une profonde affection а Agrippa, il n'hйsita pas а voir dans ses moindres gestes une preuve d'amour intense et rйciproque et chercha а s'immiscer par tous les moyens possibles afin de capter йgalement son intйrкt et son attention. Une nuit, aprиs plus de deux mois d'expectative anxieuse pour atteindre ses ignobles objectifs, il parvint а s'approcher de la jeune femme alors qu'elle йtait seule а se reposer sur un large divan sur la spacieuse terrasse. De ces hauteurs, on pouvait contempler les plus beaux panoramas de la citй, alors йclairйe par la lumiиre des premiиres йtoiles dans la douce langueur du crйpuscule. Les brises caressantes de l'aprиs-midi tranquille portaient le son des luths et des harpes jouйs dans le voisinage comme des voix harmonieuses au cњur immense de la nuit. Saul fixa la femme convoitйe, observant son beau et dйlicat visage de madone, pвle comme la neige, dominйe par une mйlancolie maladive et inexplicable !... Cette crйature йtait l'objet de toutes ses aspirations violentes et farouches, le but de son bonheur impossible et impйtueux. Dans la rudesse de ses sentiments, il ne pouvait pas l'aimer comme un frиre, mais avec la brutalitй de ses dйsirs impurs. Madame - dit-il rйsolu, aprиs avoir longuement fixй son visage -, j'attends depuis plusieurs annйes une minute comme celle-ci pour pouvoir vous avouer l'immense affection que je vous porte. Je vous veux pardessus tout, mкme de ma propre vie ! Je sais que pour moi vous кtes inaccessible, mais que faire si je n'arrive pas а dominer cette adoration, cet intense amour de mon вme ? Flavia ouvrit dйmesurйment ses yeux sereins et tristes, saisie d'une pйnible surprise... Seigneur Saul - objecta-t-elle courageusement, triomphant de son йmoi - calmez- votre cњur... Si vous me portez une telle affection, laissez-moi suivre le chemin de mes devoirs oщ doit se tenir toute femme soucieuse de sa vertu et de son nom ! Faites donc taire vos sentiments car l'amour que vous m'avouez ne peut кtre qu'un dйsir violent et impur !... Impossible, Madame ! - ajouta l'affranchi dйsespйrй. - J'ai dйjа tout fait pour vous oublier... J'ai fait mon possible pour m'йloigner dйfinitivement de Rome depuis le jour infortunй oщ je vous ai vue pour la premiиre fois !... Je suis retournй а Massilia dйcidй а ne plus jamais revenir, nйanmoins, plus je me sйparais de votre prйsence, plus mon вme s'emplissait d'ennui et d'amertume ! Je me suis а nouveau installй ici oщ j'ai vйcu de mon malheur et de mes tristes espйrances !... Pendant plus de dix ans, Madame, j'ai attendu patiemment. J'ai toujours respectй vos indiscutables vertus, espйrant qu'un jour vous vous lasseriez du mari infidиle que la destinйe a impitoyablement mis sur votre chemin !... Maintenant, je devine que vous avez vidй le calice des amertumes conjugales car vous n'avez pas hйsitй а cйder а l'affection d'Agrippa... Depuis que je vous ai vue en compagnie d'un homme qui n'est pas votre йpoux, je tremble de jalousie, car je sens que vous avez йtй faite uniquement pour moi... Je brыle d'ardeur, Madame, et toutes les nuits je rкve intensйment de vos caresses et а la douce tendresse de vos paroles qui remplissent toute mon вme, comme si toute la fйlicitй de ma vie ne dйpendait que de vous !... Rйpondez aux appels de mon affection illimitйe ! Ne me faites pas attendre plus longtemps car je pourrais en mourir !... Flavia Lentulia l'йcoutait, а prйsent, а la fois surprise et atterrйe. Elle voulut se lever, mais elle n'en avait pas la force. Nйanmoins, elle eut le courage nйcessaire de lui rйpondre : Vous vous trompez ! - entre Agrippa et moi, il n'existe que des sentiments fraternels tendres et purs qui s'identifient dans les йpreuves et dans les luttes de la vie. Je n'accepte pas vos insinuations acrimonieuses sur la vie privйe de mon mari car mкme en menant l'existence que bon lui semble, je me dois d'кtre la sentinelle de son foyer et l'honneur de son nom... Si vous pouviez comprendre le respect dы а une femme, vous vous retireriez d'ici, car vos projets de trahison me causent la plus profonde rйpugnance ! Vous laisser ? Jamais !... s'exclama Saul d'une voix terrifiante. - Attendre tant d'annйes et n'arriver Et avanзant vers la dame sans dйfense qui s'йtait levйe dans un effort suprкme, il l'enlaзa dans un dйsir passionnel la retenant dans ses bras impulsifs pendant une courte minute. Mais dans son excitation et dans sa terrible impulsivitй, Saul ne put rйsister а la force surhumaine avec laquelle la pauvre femme se dйbattait en ces tristes circonstances pour son вme sensible, et il perdit sa proie qui йchappa inopinйment а ses mains criminelles et descendit en courant dans ses appartements oщ elle se rйfugia pour verser les larmes de sa dignitй offensйe, mais йvita toute remarque scandaleuse concernant cet incident. Pline Sйvйrus ne revint chez lui que le lendemain soir trouvant sa femme dйcouragйe et abattue. Alors qu'elle censurait son absence dans l'intimitй conjugale, le mari infidиle lui rйpondit sиchement : Une scиne Pline, mon chйri - dit-elle en larmes -, il ne s'agit pas de jalousie, mais de la juste sauvegarde de notre foyer !... Et en quelques mots, la malheureuse crйature lui rapporta tous les faits ; mais l'officier esquissa un sourire d'incrйdulitй en soulignant avec une certaine indiffйrence : Si cette longue histoire est un stratagиme de femme Jalouse pour me retenir dans l'insipiditй du milieu familial, tout effort est inutile car Saul est mon meilleur ami. Hier encore, alors que je me trouvais dans de sйrieuses difficultйs financiиres pour racheter quelques dettes, c'est lui qui m'a prкtй huit cents mille sesterces. Il vaudrait donc mieux que tu respectes davantage l'honneur de notre nom en abandonnant tes relations avec Agrippa, dйjа excessivement commentйes, au point de me faire avoir des doutes ! Et disant cela, il sortit а nouveau pour les plaisirs de la vie nocturne tandis que sa compagne souffrait en silence de son innommable supplice moral, se sentant abandonnйe et incomprise, sans le moindre espoir. Quelques jours amers et douloureux passиrent lentement. En raison de sa pudeur fйminine, Flavia n'eut pas le courage de confier son immense malheur а son pиre, dйjа si accablй par les coups de la vie. Agrippa, qui avait remarquй son abattement, cherchait а consoler son cњur avec de gйnйreuses paroles lui faisant convoiter des jours meilleurs а venir. Cependant la pauvre femme maigrissait а vue d'њil sous le joug de maux inexplicables qui dominaient ses centres vitaux et sous la torture profonde de ses lamentables secrets. Et comme si tous ses instincts avaient йtй excitйs par cette minute oщ il avait tenu la femme de ses dйsirs impulsifs entre ses bras impйtueux, Saul de Gioras s'йtait jurй de la possйder а tout prix et йlaborait sans cesse les plus terribles projets de vengeance contre le fils aоnй de Flaminius. Il continua donc ainsi а frйquenter le palais de l'Aventin, animй des plus sinistres intentions. Respectant les traditions de la famille Sйvйrus qui avait toujours traitй l'affranchi comme un ami intime, Publius Lentulus, en dйpit du peu de sympathie qu'il lui inspirait, lui accordait la plus grande libertй dans sa demeure, sans avoir le moindre doute sur ses desseins blвmables. A prйsent, Saul ne cherchait plus а cфtoyer l'intimitй de la famille ni n'aspirait а entrevoir la femme de Pline ou mкme son pиre, il restait en compagnie des serviteurs de la maison ou dans les appartements privйs d'Agrippa ou de son frиre qui ne lui avaient jamais niй la plus sincиre confiance. Dans l'ombre, il cherchait nйanmoins а observer les moindres gestes du frиre de Pline qui, йtant donnй l'abattement de Flavia Lentulia, passait trиs souvent des heures durant en compagnie du vieux sйnateur dans ses appartements privйs, tantфt а soutenir ses tristes espoirs d'avenir quant а la possible comprйhension de son frиre, tantфt а lui faire dйcouvrir les vers les plus apprйciйs de la citй en commentant sur un ton fraternel les charmantes bagatelles de la vie mondaine. Quotidiennement, nйanmoins, le fourbe Saul allait voir le mari de Flavia, pour l'informer de faits injustifiables et invraisemblables concernant la vie privйe de sa femme. Pline Sйvйrus donnait tout son crйdit aux dйraisonnements de son faux ami, ce qui enflammait chaque fois davantage sa dйvotion pour Aurйlia qui ravissait son cњur, assiйgй et aveuglй par les plus obscиnes tentations de la vie matйrielle. Empoisonnй par les intrigues criminelles et rйitйrйes de Saul, l'officier s'absenta pour rйaliser un voyage en Gaules avec sa maоtresse et satisfaire les dйsirs capricieux qu'elle manifestait depuis longtemps. Le jour de son dйpart pour Massilia d'oщ il prйtendait continuer vers l'intйrieur de la province, Saul vint le voir а la rйsidence d'Aurйlia qui йtait prиs du Forum, et dйbordant d'une haine fiйvreuse, il entendit les plus terribles diffamations qui s'achevaient par cette perfide suggestion : Si tu veux te rendre compte par toi-mкme de la trahison d'Agrippa A cette heure, Pline Sйvйrus finissait ses prйparatifs de voyage et avait le matin mкme fait ses adieux а ses proches. Pour justifier les impйratifs de son absence, il allйgua des ordres express du quartier gйnйral de ses activitйs militaires, bien que les vйritables et inavouables motifs de son dйpart fussent tout autres. Mais en entendant ces graves dйnonciations, l'officier se prйpara а affronter toute йventualitй et se dirigea, cette nuit-lа, vers le palais de l'Aventin, l'esprit tourmentй par des sentiments fйroces. L'impitoyable et terrible affranchi qui avait prйvu de mettre а exйcution ses projets criminels avec la complicitй naturelle de tous les serviteurs de la maison, se posta dans la soirйe dans les appartements privйs d'Agrippa, faisant en sorte que les esclaves eux-mкmes ne puissent soupзonner sa prйsence sur les lieux. La nuit venue, inopinйment Pline Sйvйrus se rendit chez lui а la surprise de quelques domestiques qui йtaient au courant de son dйpart et, sans dire un mot, aveuglй par les calomnies injurieuses de son faux ami, il pйnйtra avec prйcaution dans le cabinet de son йpouse oщ il entendit la voix insouciante de son frиre, bien qu'il ne parvоnt pas а savoir ce qu'il disait. En ouvrant un peu le rideau soyeux et dйlicat, il vit Agrippa manifester des gestes d'affection profonde et fraternelle en caressant les mains de Flavia avec un lйger et doux sourire. Pendant longtemps, il observa anxieusement leurs moindres gestes et surprit leurs dйmonstrations rйciproques de douce estime fraternelle que ses yeux aveugles de haine et de jalousie voyaient comme les signes les plus йvidents de prйvarication et d'adultиre. Au comble du dйsespoir, il ouvrit le rideau d'un geste brusque, pйnйtrant dans la chambre conjugale comme un tigre enragй. Infвmes ! - prononзa-t-il d'une voix basse et йnergique, cherchant а йviter l'assistance scandaleuse des domestiques. - Alors, c'est de cette faзon que vous manifestez le respect dы а la dignitй de notre nom ? Flavia Lentulia, dont les souffrances physiques s'йtaient grandement aggravйes, devint pвle comme la neige, tandis qu'Agrippa affrontait le terrible regard de son frиre, singuliиrement surpris. Pline, de quel droit m'insultes-tu ainsi ? - demanda-t-il йnergiquement. - Sortons d'ici, immйdiatement. Nous discuterons de tes outrageantes interpellations dans ma Chambre. Il y a ici une pauvre crйature malade et abandonnйe par son йpoux qui humilie son nom et ses Susceptibilitйs par la vilenie d'un comportement criminel Injustifiable, une femme qui requiert notre soutien et» notre respect !... Les yeux de Pline Sйvйrus le fusillaient de haine, • tandis que son frиre se leva sereinement, se retirant pour se rendre dans ses appartements, accompagnй de l'officier qui tremblait de colиre, aggravйe par l'humiliation que lui infligeait le calme supйrieur de son adversaire. Une fois dans les appartements d'Agrippa, l'officier impulsif, aprиs avoir fait de nombreuses accusations et reproches, explosa en des propos de cet ordre : Allons ! Explique-toi, traоtre !... Alors, tu jettes la boue de ton ignominie sur mon nom et tu te trahis par cette sйrйnitй incomprйhensible ?! Pline - dit prudemment Agrippa, en obligeant son interlocuteur а se taire pendant quelques instants -, il est temps de mettre un terme а tes incartades. Comment pourrais-tu prouver pareille calomnie contre moi qui t'ai toujours souhaitй le plus grand bien ? Tout commentaire indigne concernant la conduite de ta femme est un crime impardonnable. Je te parle, en cette heure grave de nos destins, et j'invoque la mйmoire irrйprochable de nos parents et de notre passй de sincйritй et de confiance fraternelle... L'impйtueux officier resta presque figй comme un lion blessй en entendant ces pondйrations supйrieures et calmes, tandis qu'Agrippa continuait а exprimer ses impressions les plus profondes et les plus sincиres : Et maintenant - poursuivit-il avec sйrйnitй -, puisque tu rйclames un droit que tu n'as jamais cultivй, vu la succession interminable de tes frasques dans la vie mondaine, je dois t'affirmer que j'ai adorй ta femme pardessus tout, toute ma vie !... Alors que tu gaspillais ta jeunesse auprиs de l'esprit turbulent d'Aurйlia, nous avons vu Flavia dans son jeune вge, et pour la premiиre fois а son retour de Palestine, j'ai dйcouvert dans ses yeux la clartй affectueuse et tendre qui aurait dы illuminer la tranquillitй du foyer que j'avais idйalisй dans le passй !... Mais, tu as dйcouvert simultanйment la mкme lumiиre et je n'ai pas hйsitй а te reconnaоtre les droits qui revenaient а ton cњur car elle rйpondait а l'intensitй de ton affection. Il me semblait qu'elle йtait unie а toi par les liens Indйfinissables d'un mystиre sanctifiй!... Flavia t'aimait comme elle t'a toujours aimй, et а moi il ne me restait plus qu'а l'oublier en cherchant а cacher mes anxiйtйs torturantes !... А l'occasion de ton mariage, je n'ai pu supporter de la voir partir а ton bras et, aprиs avoir йcoutй les conseils de mиre, aimante et sage, je suis parti vers d'autres contrйes, le cњur dйchirй ! Pendant dix annйes amиres et tristes, j'ai fait l'aller et retour entre Massilia et notre propriйtй d'Avenio dans des aventures folles et criminelles. Jamais plus, je n'ai pu caresser l'idйe de constituer une famille, tourmentй sans cesse par les souvenirs de ma malchance Silencieuse et irrйmйdiable. Rйcemment, je suis revenu а Rome avec les derniers vestiges de mon illusion pйnible et dйзue... Je t'ai trouvй plongй dans l'abоme des amours illicites et je ne t'ai pas reprochй tes dйrapages injustifiables. Je sais que tu as dйpensй les trois quarts de nos biens en satisfaisant la folle prodigalitй de tes aventures malheureuses et dйgradantes, et je n'ai pas censurй ton comportement insolite. Et ici, dans cette maison, sous ce toit qui est pour nous deux le prolongement affectueux du toit paternel, je n'ai йtй pour ta noble femme qu'un frиre dйvouй et un ami !... Se voyant clairement accusй de ses fautes et se sentant blessй dans sa vanitй d'homme, Pline Sйvйrus rйagit avec plus de fйrocitй, et dans son dйsespoir, exaltй, il s'exclama : Infвme, il est inutile de feindre cette supйrioritй inconcevable ! Nous sommes йgaux dans les mкmes sentiments, et je ne crois pas en ton dйvouement dйsintйressй dans cette maison. Il y a longtemps que tu vis avec Flavia, ostensiblement, des aventures criminelles, mais nous rйsoudrons а prйsent toute cette affaire par l'йpйe car l'un de nous doit disparaоtre!... Et, arrachant l'arme qu'il portait pour toute йventualitй, il avanзa dйcidй vers son frиre qui croisa les bras, serein, а attendre le coup implacable. Et alors, oщ se trouvent donc ton honneur ? -s'exclama Pline, exaspйrй. - Cette sйrйnitй exprime bien ta lвchetй... Dйfends ta vie, car lorsque deux frиres se disputent la mкme femme, l'un des deux, doit mourir ! Nйanmoins, Agrippa Sйvйrus sourit tristement et rйpliqua : Ne tarde pas davantage а accomplir ton geste, car tu me prкteras le bien suprкme de la sйpulture puisque ma vie avec ses tortures de chaque jour, n'est rien de plus qu'un chemin scabreux et long vers la mort. Reconnaissant sa noblesse et son hйroпsme, mais croyant fermement en l'infidйlitй de son йpouse, Pline rangea son йpйe et lui fit : Trиs bien ! Je pourrais t'йliminer mais je ne le fais pas par considйration pour la mйmoire de nos parents inoubliables ; nйanmoins, en continuant а croire en ton infamie, je partirai d'ici pour toujours en gardant l'intime certitude que tu es le plus grand traоtre et mon pire ennemi. Sans plus un mot, Pline se retira а grand pas tandis que son frиre, s'avanзant jusqu'а la porte, lui lanзait un dernier appel affectueux pour qu'il ne s'en aille pas. Toutefois quelqu'un accompagnait la scиne dans ses moindres dйtails. C'йtait Saul qui, en sortant de sa cachette et йteignant soudainement la lumiиre de la chambre, bondit sur Agrippa par les cфtйs, et lui affligea un coup violent. Le pauvre jeune homme tomba lourdement dans une йnorme flaque de sang, sans pouvoir articuler un mot. Aprиs cet acte criminel, l'affranchi s'enfuit, feignant l'insouciance, sans que personne ne puisse soupзonner ses tristes mйfaits. Dans sa chambre, Flavia Lentulia йtait surprise par le retard du dйnouement d'une affaire oщ elle se trouvait Impliquйe et qu'elle considйrait aussi, а premiиre vue, comme un йvйnement sans importance. Avec beaucoup d'effort, elle se leva et se dirigea vers la porte qui faisait communiquer les appartements d'Agrippa avec le pйristyle, mais surprise par l'obscuritй et le silence rйgnants, elle entendit а peine, venant de l'intйrieur, un lйger bruit, semblable aux sons rauques d'une respiration fatiguйe et oppressйe. Dominйe par de terribles pressentiments, la malheureuse crйature sentit battre son cњur intensйment. L'absence de lumiиre, ce bruit de respiration rвleuse et, surtout, ce silence profond et effrayant, la firent reculer. Elle alla chercher l'aide et l'expйrience d'Anne qui avait йgalement conquis son cњur par son dйvouement et son humilitй durant tous les jours de cette вpre pйriode de son existence. Jouissant du respect et de l'estime de tous, la vieille servante de Livia йtait, а prйsent, presque la gouvernante de la maison а qui, par dйcision de ses maоtres, tous les esclaves du palais de l'Aventin devaient obйissance. Appelйe par Flavia dans ses appartements privйs, la vieille servante des Lentulus, aprиs avoir entendu la confidence prйcipitйe de sa maоtresse, partageant ses craintes, l'accompagna dans la chambre d'Agrippa oщ elle s'arrкta devant la porte d'entrйe et rйflйchit. Mais la respiration oppressйe, observйe quelques minutes auparavant par la femme de Pline ne se faisait plus entendre. Madame - dit-elle affectueusement -, vous кtes fatiguйe et vous avez encore besoin de repos. Retournez dans votre chambre ; si quelque chose justifie vos craintes, je chercherai а rйsoudre le problиme en allant voir votre pиre dans son cabinet privй pour l'informer de ce qui se passe. Merci, Anne - rйpondit-elle, visiblement йmue -, je suis d'accord avec toi, mais j'attendrai ici dans le pйristyle le rйsultat de tes observations. La vieille servante fit une priиre et pйnйtra dans la chambre oщ elle fit un peu de lumiиre et figea son regard, presque terrifiйe. Sur le tapis, le cadavre d'Agrippa Sйvйrus, tombй а la renverse, gisait dans une flaque de sang qui coulait encore de la profonde blessure ouverte par l'arme homicide de Saul. Anne dut mobiliser toute la sйrйnitй de sa foi, pour ne pas hurler et alarmer la maison entiиre. Elle, qui avait vйcu tant de souffrances dans sa vie, n'eut pas beaucoup de difficultй а ajouter une note angoissante de plus au palmarиs de ses amertumes, toujours supportйes avec rйsignation et sйrйnitй. Toutefois, sans pouvoir dissimuler son trouble et sa profonde pвleur, elle retourna а nouveau dans le pйristyle, et dit inquiиte а Flavia Lentulia qui observait ses moindres gestes avec anxiйtй : Madame, ne soyez pas effrayйe mais le seigneur Agrippa est blessй... Et devant le premier mouvement de curiositй de la fille du sйnateur qui se rappelait du profond dйsespoir de son mari un peu plus tфt, Anne la calma avec ces mots : Nous n'avons pas de temps а perdre ! Allons chercher le sйnateur pour les premiиres dispositions а prendre ; cependant, j'estime devoir nie charger seule de cette tвche, et je vous conseille de regagner la tranquillitй de votre chambre. Et silencieuses et inquiиtes, toutes deux se dirigиrent rapidement vers le cabinet de Publius, absorbй par de nombreux procиs politiques en cette nuit tranquille. Agrippa, blessй ?! - fit le sйnateur fortement surpris, aprиs avoir pris connaissance des faits rapportйs par Anne. - Mais qui serait l'auteur d'un tel attentat dans cette maison ? Mon pиre - rйpondit Flavia en larmes -, il y a peu, Pline et Agrippa ont eu une sйrieuse altercation dans mes appartements !... Publius Lentulus comprit le danger des propos confidentiels de sa fille en de telles circonstances, et comme il ne pouvait pas croire que les fils de Flaminius, toujours aussi unis et gйnйreux, en soient arrivйs aux armes, il souligna avec dйtermination : Ma fille, je ne crois pas que Pline et Agrippa se soient laissйs aller а de telles extrкmes. Et comme ils йtaient en prйsence d'Anne, bien qu'il lui vouait а prйsent une plus grande confiance, Publius ne pouvait changer la teneur de ses rigides traditions familiales, il ajouta alors comme pour prйmunir sa fille de toute rйvйlation gкnante qui pourrait mкler son nom а d'irrйmйdiables scandales mondains : D'ailleurs, tes souvenirs ne me semblent pas trиs exacts puisque Pline a pris congй ce matin avant de partir en voyage pour Massilia. Nous ne pouvons oublier une telle circonstance. N'a-t-on pas vu un inconnu dans cette maison ? Seigneur - rйpondit Anne, avec humilitй -, il y a quelques minutes de cela, j'ai vu seigneur Saul quitter prйcipitamment la chambre du blessй. D'aprиs mes observations et йtant donnй sa familiaritй avec vos amis, je suppose que c'est la personne indiquйe pour clarifier la situation. Les yeux du vieux sйnateur brillиrent йtrangement comme s'il avait trouvй la clй de l'йnigme. A cet instant, tandis qu'il rangeait ses papiers avec empressement pour aller prкter les premiers secours au blessй, Flavia Lentulia йclata en sanglots comme si les commentaires d'Anne avaient suscitй en elle de nouvelles explications, et dit : Mon pиre, mon pиre, ce n'est que maintenant qu'il me vient а l'esprit que j'aurais dы vous tenir informй de choses trиs graves !... Ma fille - rйagit-il rйsolument -, tu es malade et fatiguйe. Repose-toi dans ta chambre, je chercherai а remйdier а tout !... Il est trop tard pour de quelconques considйrations. Les choses graves sont toujours mauvaises et le mal que l'on ne coupe pas а la racine avec les йclaircissements opportuns, est toujours une graine de calamitй gardйe dans notre cњur qui йclate en larmes d'amertume aux heures inopinйes de la vie !... Nous en reparlerons plus tard. Il faut а prйsent prendre les mesures les plus urgentes et nйcessaires. Il se retira prйcipitamment avec la servante et se dirigea vers les appartements du jeune homme, tandis que Flavia obйissait sans discuter а sa volontй en regagnant sa chambre. En pйnйtrant dans la chambre d'Agrippa, en compagnie de sa vieille employйe, Publius Lentulus mesura toute l'extension de la tragйdie qui s'йtait dйroulйe lа, sous son toit respectable. Le sйnateur ferma la porte d'entrйe et constata que le fils aine de son inoubliable Flaminius йtait mort. Il restait а dйcouvrir les moindres dйtails de ce triste drame dont la fin sanglante йtait la scиne qui se trouvait lа devant ses yeux. Il s'agenouilla auprиs du cadavre, ainsi que sa servante et loyale amie et dit pris d'йmotion : Anne, il est trop tard !... Mon pauvre Agrippa n'est dйjа plus en vie, il n'aurait mкme pas йtй possible de le sauver avec une blessure de cette nature !... Il semble avoir expirй il y a peu de temps !... Levant ses yeux plein de larmes vers le ciel, il s'exclama amиrement : Ф mвnes de mon malheureux fils, recevez nos suppliques pour le repos йternel de son вme!... Mais cette priиre resta йvanouie au fond de son вme. La voix oppressйe se perdit. Ce spectacle hideux l'avait profondйment йbranlй. Il aurait voulu parler, sans y parvenir, car sa gorge йtait comme brisйe et insoumise sous la force des sanglots de son cњur qui mouraient secrиtement dans la solitude de son impйrieuse force spirituelle. Affligйe, Anne le contemplait car elle ne l'avait jamais vu dans une attitude aussi intime, pendant toutes ces annйes au service de cette maison. А ses yeux, Publius Lentulus йtait toujours l'homme froid et impitoyable qui avait un cњur de fer qui battait dans sa poitrine et qui ne pouvait vibrer que pour les folles vanitйs mondaines. A cet instant, nйanmoins, а la fois effrayйe et йmue, elle remarqua que le sйnateur pouvait aussi verser des larmes. De ses yeux toujours hautains, coulaient des larmes ardentes qui roulaient, silencieuses et tristes, sur la tкte inerte du jeune homme qu'il considйrait aussi comme un fils, dont il ne lui restait rien de plus que la consolation suprкme d'йtreindre affectueusement sa dйpouille au travers du voile obscur de ses doutes angoissants. Anne, qui йtait profondйment touchйe par la tristesse de cette scиne, dit avec humilitй, dйsireuse de consoler la douleur immense de ce mal irrйmйdiable : Seigneur, soyons courageux et gardons notre calme. Dans mes secrиtes priиres, je demande toujours au prophиte de Nazareth que le ciel vous soutienne, en consolant votre cњur souffrant et dйcouragй ! La pensйe du sйnateur errait dans le dйdale de ses doutes tйnйbreux. Comparant les commentaires de sa fille et les paroles d'Anne, il cherchait а dйcouvrir la raison а la culpabilitй d'un tel dйlit. Auquel des deux, Pline ou Saul, devait-il imputer la responsabilitй de l'infвme attentat ? Lui qui avait statuй sur tant de procиs difficiles dans sa vie, lui qui йtait sйnateur et qui ne perdait pas non plus l'occasion de participer aux efforts de l'йdilitй romaine, sentait а prйsent la douleur suprкme d'exercer la justice dans sa propre demeure, face а la perspective de dйtruire le bonheur de ses enfants bien-aimйs !... En йcoutant les propos rйconfortants de la servante, il se souvint alors de l'image extraordinaire de Jйsus le Nazarйen, dont la doctrine de pitiй et de misйricorde avait fortifiй tant d'autres pour affronter les situations les plus difficiles de la vie, ou pour mourir hйroпquement comme sa propre йpouse. Il s'adressa alors а Anne avec une intimitй soudaine, dans un geste йmouvant d'une simplicitй gйnйreuse qu'elle ne lui avait jamais remarquй, et dit: Anne, de toute ma vie, je n'ai pas jamais cessй d'кtre un homme йnergique, mais il arrive toujours un moment oщ notre cњur se sent prostrй face а la rudesse des luttes que le monde nous prйsente avec ses dйsillusions amиres et pйnibles ! Si tu n'es qu'une servante, je sais aujourd'hui apprйcier tes qualitйs de cњur, bien que tardivement !... Une larme spontanйe saisit sa voix, mais le vieux patricien poursuivit : Toute mon existence, j'ai jugй d'innombrables procиs de toutes natures, relatifs а la justice du monde ; mais depuis quelque temps, il me semble que je suis jugй par les forces incoercibles d'une justice suprкme dont les tribunaux ne sont pas sur terre !... Depuis le dйcиs de Livia, je sens mon cњur modifiй, en voie а une sensibilitй qui m'йtait jusqu'а prйsent inconnue. L'approche de la vieillesse semble кtre un prйsage de la mort а tous nos rкves et espйrances !... Devant ce cadavre qui va certainement augmenter l'ombre de nos secrets de famille, je sens ф combien est douloureuse la tвche de disculper les кtres que nous aimons ; et puisque tu te rapportes au Maоtre de Nazareth dont la doctrine de paix et de fraternitй a appris а tant d'autres а mourir avec rйsignation et hйroпsme suprкme par la victoire de la croix sur les souffrances terrestres, comment procйderait-il dans un cas comme celui-ci, oщ les plus grands doutes planent dans mon cњur quant а la culpabilitй d'un fils bien-aimй ? Seigneur - rйpondit Anne, avec humilitй, profondйment йmue par cette preuve de considйration et d'affection -, plusieurs fois Jйsus nous a enseignй que nous ne devions jamais juger, pour ne pas кtre jugйs а notre tour. Le sйnateur fut surpris d'entendre une crйature aussi simple et aussi inculte а ses yeux, professer cette merveilleuse synthиse de la philosophie humaine, revoyant mentalement son douloureux passй. Mais - avanзa-t-il comme pour se justifier des erreurs profondes de son passй d'homme public - ceux qui ne jugent pas, pardonnent et oublient ; et si les lois de la vie nous demandent d'кtre reconnaissants du bien qui nous est fait, nous ne pouvons pardonner le mal que l'on nous fait en chemin !... Anne ne rata pas alors l'occasion d'affirmer les enseignements йvangйliques en ajoutant avec douceur : Mкme dans mon pays, la Loi antique ordonnait de rйpondre њil pour њil et dent pour dent, mais Jйsus de Nazareth, sans dйtruire l'essence des enseignements du Temple, a rйvйlй que ceux qui commettent le plus d'erreur au monde sont les plus malheureux et les plus nйcessiteux de notre soutien spirituel, et recommanda, dans sa doctrine d'amour et de charitй, de ne pas pardonner une fois seulement, mais soixante-dix fois sept fois. Publius Lentulus йtait admiratif d'apprendre ces gйnйreux concepts de sa domestique, concernant les principes du pardon sans limites. Pardonner ? Jamais, il ne l'avait fait dans les luttes acharnйes de ce monde. Son йducation n'admettait pas la pitiй ou la commisйration pour les ennemis, et tout pardon et toute humilitй signifiaient, pour ceux de sa classe, trahison ou lвchetй. Ilse souvenait pourtant а prйsent que dans de nombreux procиs politiques il aurait pu pardonner et que dans de nombreuses circonstances de sa vie, il aurait pu fermer les yeux de sa sйvйritй dans un affectueux oubli. Sans en connaоtre la raison comme si une йnergie inconnue reconduisait sa pensйe en arriиre, ses souvenirs se transportиrent а la pйriode lointaine de son voyage en Judйe, revoyant avec les yeux de son imagination la scиne oщ, avec rigueur, il avait impitoyablement asservi un misйrable jeune garзon. Oui, il s'appelait aussi Saul et son cerveau йtait а prйsent rongй par des doutes atroces entre ce Saul, affranchi par ses amis, et Pline, qu'il voyait toujours dans un halo d'amour et de gйnйrositй. Pardonner ? Et la pensйe du sйnateur resta figйe dans des mйditations amиres et trиs difficiles pendant ces longues minutes d'angoisse. C'йtait, peut-кtre, l'une des rares fois dans sa vie oщ son esprit doutait, craignant de faire tomber l'austйritй de son jugement sur la tкte d'un trиs cher fils. Mais, sortant de cette apathie passagиre, il dit avec rйsolution : Anne, le prophиte nazarйen devait кtre effectivement un кtre divin ici sur terre !... Moi, nйanmoins, je suis humain et je manque de forces nouvelles pour vivre une existence hors de mon temps... Je veux pardonner et je ne le peux... Je veux juger ce cas et je ne sais pas comment faire... Mais je saurai prendre une dйcision et trouver la solution а ce terrible problиme ! Je ferai mon possible pour suivre les rиgles de ton maоtre en gardant le silence jusqu'а ce que je parvienne а connaоtre le vrai coupable, alors je chercherai а ne pas juger comme les hommes, mais je demanderai а cette justice divine de se manifester en soutenant mes pensйes et en йclairant mes actes... Et comme s'il reprenait son йnergie habituelle pour les luttes de la vie, le vieux patricien dйcrйta : Maintenant, occupons-nous de la vie et de ses dures rйalitйs. Il plaзa le cadavre d'Agrippa sur le lit et recommanda а la servante de prйparer sa fille en soutenant son cњur en cet instant dйchirant. Il ouvrit alors les portes des appartements, requis la prйsence de tous les domestiques de la maison, puis informa les autoritйs des faits et procйda simultanйment а une rigoureuse enquкte afin de tirer au clair l'origine du crime, mкme si un йpisode de cette nature йtait considйrй comme trиs banal а l'йpoque tourmentйe de la Rome de Domitius Nйron. Quelques domestiques dirent avoir vu Pline Sйvйrus avec son frиre pendant la nuit ; mais la parole du sйnateur contredisait ces informations en affirmant que le frиre de la victime йtait parti dans la journйe en direction du port de Massilia. Par consйquent, Saul йtait tout naturellement indiquй pour donner des renseignements et, avant que ne se rйalisent les cйrйmonies funиbres, le sйnateur, l'interrogea en privй supposant avoir des raisons de croire en sa culpabilitй. Il remarqua qu'il fit des rйponses йvasives et des allusions sans fondement qui ne satisfaisaient pas les exigences de son enquкte psychologique. Ses affirmations et sous-entendus ne coпncidaient pas avec les affirmations incisives d'Anne, dont il connaissait bien la droiture de sa parole. A un moment donnй, il avait niй кtre prйsent dans les appartements d'Agrippa et cela suffisait pour que le sйnateur sache qu'il mentait. Quant а Pline, effectivement, il ne fut pas trouvй, on obtint seulement le laconique tйmoignage de son dйpart pour Massilia, ce qui se produisit rйellement la nuit mкme de la tragйdie aprиs l'altercation dйcisive avec son frиre au palais de l'Aventin. Et c'est ainsi, qu'en compagnie d'Aurйlia, il se dirigeait vers les Gaules dans une somptueuse galиre, parcourant les eaux calmes de l'ancienne mer romaine. Mais le sйnateur voulut connaоtre les confidences que sa fille avait а lui faire pour arracher la confession suprкme du misйrable affranchi de Flaminius dont il n'avait plus de doute sur la culpabilitй. Il chercha, malgrй tout, а rйaliser dans la plus grande discrйtion l'enterrement du fils de son inoubliable ami auquel Saul de Gioras eut l'impudence d'assister avec toute la sйrйnitй empoisonnйe de son esprit mesquin. Sous l'effet pernicieux des poisons mortels administrйs par Athйe, la traоtre esclave а la solde d'Aurйlia, qui dans son inconscience empoisonnait tous les cosmйtiques utilisйs par sa maоtresse et destinйs au traitement de la peau et des cils, Flavia Lentulia voyait а prйsent toutes ses souffrances physiques singuliиrement aggravйes, en plus de la terrible situation morale face aux йvйnements, accablйe par le poids de doutes insolubles. Le mal de son enfance semblait renaitre, car son corps se couvrait а nouveau de douloureuses plaies tandis que ses yeux semblaient sйrieusement attaquйs par une maladie implacable. Trois jours aprиs les obsиques d'Agrippa, Publius Lentulus, trиs peinй, entendit sa dйposition intime et angoissante avec beaucoup d'amour et un trиs grand intйrкt. Une fois l'histoire minutieuse de sa fille terminйe dont les malheurs conjugaux touchaient profondйment son cњur, le vieux sйnateur exigea un nouvel interrogatoire de Saul, en sa prйsence. Mais quand il envoya un йmissaire а la recherche de l'affranchi de Flaminius, il resta stupйfait par une nouvelle surprise. Aprиs avoir rйpondu aux accusations personnelles de Publius Lentulus, alors que l'enterrement d'Agrippa Sйvйrus n'avait pas encore eu lieu, Saul de Gioras qui avait perзu clairement l'attitude mentale de ce dernier envers lui, se dit qu'il ne pourrait duper l'habiletй psychologique du vieux sйnateur. Et deux jours aprиs les cйrйmonies funиbres, l'affranchi alla voir Arax dans son misйrable refuge de l'Esquilin, l'esprit exacerbй et inquiet. Croyant sincиrement en l'intervention merveilleuse du mage, au vu de ses facultйs divinatoires, exploitйes d'ailleurs par des forces tйnйbreuses de l'au-delа liйes а ses sinistres ambitions financiиres, Saul remarqua que le devin le recevait avec son mystйrieux flegme de toujours. Il laissa bien en vue sa volumineuse bourse bien remplie pour acquйrir le talisman de son bonheur, comme pour lui montrer les riches possibilitйs financiиres qui s'offraient а lui. Ridй par l'вge, le vieux sorcier, qui reconnut ses dispositions gйnйreuses, le comblait de sourires d'une bienveillance ambitieuse et йnigmatique, semblant percer son regard craintif et soucieux de ses yeux inconstants et pйnйtrants. Arax - lui fit Saul, d'une voix presque suppliante -, je suis fatiguй d'attendre l'amour de la femme que j'adore ! Je suis affligй et inquiet... J'ai besoin que tu calmes mes pйnibles afflictions. Ecoute-moi ! Je veux de tes mains le talisman de la fйlicitй pour mon amour malheureux !... Le vieux devin garda pendant quelques minutes sa tкte entre ses mains dans un geste qui lui йtait propre, puis il rйpondit d'une voix presque йtouffйe : Seigneur, les voix de l'invisible me disent que vos afflictions ne sont pas le rйsultat d'un amour incompris et dйsespйrй... Mais l'affranchi de Flaminius qui souffrait du plus profond dйsespoir de sa conscience pour avoir йliminй un ami et bienfaiteur en pleine jeunesse, lui coupa la parole en lui disant sur un ton incisif : Comme oses-tu me contredire, infвme sorcier ? Toutefois, avec une lueur йtrange dans son regard vif, Arax rйpondit promptement : Alors, vous pensez que je suis un infвme sorcier ? Je ne cesserai pas pour autant de dire la vйritй, si cela me convient. Je soutiens ce que j'ai dit, car а quelles vйritйs mystйrieuses fais-tu allusion dans tes vagues affirmations ? - fit l'affranchi, vraiment exaspйrй. La vйritй, mon ami - fit le mage, avec une sйrйnitй presque sinistre -, c'est que si vous кtes aussi perturbй c'est tout simplement parce que vous кtes un criminel. Vous avez assassinй, froidement, un bienfaiteur et un ami, et la conscience du scйlйrat craint l'action implacable de la justice ! Tais-toi, misйrable ! Comment le sais-tu ? -s'exclama Saul, extrкmement excitй, alors mкme qu'il tirait un poignard d'entre les plis de sa mante. Et avanзant vers le vieux sans dйfense, il ajouta sur un ton funeste : Puisque tes sciences occultes te procurent des connaissances pernicieuses pour la tranquillitй d'autrui, tu dois aussi disparaоtre !... Arax comprit que le moment йtait dйcisif. Cet homme emportй йtait capable de l'йliminer d'un seul coup. En un clin d'њil, il mesura la situation et faisant preuve de toute son argutie pour sauver sa vie, il esquissa un sourire sournois et complaisant, et lui fit : Allons, allons, si j'ai dit la vйritй, c'est uniquement pour que vous puissiez йvaluer mes pouvoirs spirituels, et puisque c'est votre dйsir, je peux immйdiatement vous remettre l'indispensable talisman. Grвce а lui, vous serez profondйment aimйs par la femme de votre prйfйrence... Avec lui, vous modifierez les sentiments les plus personnels de cette crйature que vous adorez et qui vous rendra heureux toute votre vie. Quant au reste, vous n'кtes pas le premier а фter la vie d'un de vos semblables, car tous les jours apparaissent ici des clients dans votre situation pour frapper а ma porte. De plus, entre nous il doit y avoir une grande confiance car vous кtes mon client depuis plus de dix ans. En entendant ces paroles bienveillantes et calmes, l'affranchi de Flaminius rengaina son arme et face aux nouvelles perspectives de son bonheur, il accepta tout ce que lui disait le devin qui le fit asseoir et retint son attention pendant plus d'une heure sur la description de faits identiques а ceux qu'il vivait, dйmontrant thйoriquement l'efficacitй miraculeuse de ses amulettes. La conversation allait bon train quand Saul lui demanda de lui donner le talisman immйdiatement car il dйsirait l'expйrimenter le jour mкme, ce а quoi Arax rйpondit empressй : Votre talisman est prкt. Je peux vous livrer cette prйciositй sur le champ, cela ne dйpend que de vous car vous devrez boire le filtre magique qui vous placera dans la situation spirituelle requise а ces fins. Saul ne refusa pas de se soumettre aux impositions du vieil Йgyptien dans ses pratiques йtranges et mystйrieuses, et il pйnйtra dans une piиce, dйcorйe de plusieurs symboles extravagants qui lui йtaient totalement inconnus. Arax faisait les mises en scиne les plus suggestives. Il l'habilla d'une toge ordinaire, d'une grande tunique comme la sienne et, feignant les gestes d'une magie incomprйhensible, il se rendit dans un petit laboratoire oщ il prit un violent poison, tout en se disant : - « Tu vas recevoir le talisman qui te convient le mieux en ce monde ». Il versa quelques gouttes de la dangereuse potion dans un gobelet de vin et, avec de larges gestes spectaculaires comme s'il obйissait а un rituel inconnu, il lui fit boire le contenu tout en continuant avec des gestes exotiques qui йtaient bien les expressions pittoresques et sinistres d'une extravagante magie de mort. Absorbant le vin afin de garder l'amulette de son bonheur, le dangereux affranchi sentit que ses membres se relвchaient sous l'emprise d'une force inconnue et destructrice, alors que sa voix lui faisait dйfaut pour exprimer ses йmotions. Il voulut crier, mais il n'y parvint pas, et tous ses efforts furent inutiles pour se relever. Peu а peu, ses yeux se rйvulsиrent lugubrement comme embrumйs par des ombres йpaisses et indйfinissables. Il voulut manifester sa haine au mage meurtrier, se dйfendre dans cette angoisse qui йtouffait sa gorge, mais sa langue йtait raide et un froid pйnйtrant envahit ses centres vitaux. Il laissa tomber sa tкte sur ses coudes appuyйs sur la grande table qui se trouvait lа et compris que la mort violente dйtruisait toutes les forces vives de son organisme. Arax ferma tranquillement la piиce, comme si de rien n'йtait et retourna dans son magasin pour rйpondre avec sollicitude а sa nombreuse clientиle, sans perdre son habituelle sйrйnitй. Avant la nuit, nйanmoins, il pйnйtra dans la chambre mortuaire et vida la bourse du cadavre, conservant discrиtement les piиces parmi ses abondantes rйserves d'avare. Aprиs vingt-trois heures, alors que la citй dormait, le vieux sorcier de l'Esquilin se mкla aux esclaves qui faisaient le service nocturne des transports, il conduisait une petite charrette dans laquelle il y avait un gros volume. Aprиs un long trajet, il regagna les environs du forum entre le Capitole et le Palatin, oщ il se reposa en attendant le dernier quart de l'aube, quand il versa le chargement dans un coin obscur de la voie publique, et retourna tranquillement а son sommeil de chaque nuit. Dans la matinйe, le cadavre de Saul fut facilement Identifiй et, quand le sйnateur envoya chercher l'affranchi pour faire des dйclarations, il fut surpris par cette nouvelle, se demandant quelles pouvaient кtre les raisons de ce dйcиs inattendu et йtrange. Abasourdi par l'engrenage des mйcanismes de la justice divine, il demanda а sa propre conscience si Saul ne serait pas de ces criminels immйdiatement jugйs par la loi des compensations sur le chemin infini des destinйes. Son cњur, plus que jamais inclinй а l'examen des profondes questions philosophiques, se perdait dans un abоme de conjectures et se rappela la recommandation de l'esprit de Flaminius et les leзons йlevйes d'Anne, calquйes sur l'Йvangile : il cherchait avec la meilleure bonne volontй du monde а rйsoudre le problиme du pardon et de la pitiй. Dйsireux de satisfaire sa propre conscience dans les activitйs quotidiennes, il contraria ses traditions et ses habitudes face а cet йvйnement, et se dirigea а la rйsidence du bourreau de ses fils pour prendre toutes les mesures pour que la dйcence et le respect ne lui fassent pas dйfaut lors des cйrйmonies funиbres. Quelques esclaves et serviteurs de confiance furent habilitйs а rйsoudre tous les problиmes concernant les affaires laissйes par le dйfunt, et en participant aux obsиques, Publius Lentulus se sentit satisfait de vaincre son aversion personnelle, rendant hommage en mкme temps а la mйmoire de Flaminius. Se trouvant avec sa nouvelle compagne dans l'Avenio, Pline Sйvйrus apprit, par l'intermйdiaire d'amis, la tragйdie qui s'йtait dйroulйe а Rome la nuit de son absence, et fut йgalement informй des funestes doutes qui planaient а son respect. Profondйment touchй dans ses sentiments en se souvenant de son frиre qui, tant de fois, lui avait tйmoignй les plus grandes preuves d'affection, il dйsira retourner а Rome pour йclaircir correctement l'affaire et venger sa mort. Mais les bras d'Aurйlia le firent faiblir et se mйfiant du jugement du vieux sйnateur respectй comme un pиre, outre les soupзons que lui causaient la nouvelle de l'inexplicable maladie de sa femme, il se laissa aller а sa vie incomprйhensible а travers l'Avenio, Massilia, Arelate14, Antipolis15 et Nice, cherchant а oublier dans le vin des plaisirs, les grandes responsabilitйs qui lui incombaient. Aujourd'hui Arles. (NDT) Antibes (NDT) Auprиs d'Aurйlia, la vie de l'officier s'йcoula pendant trois longues annйes dans une tranquillitй rйprйhensible quand un beau jour, il eut la pйnible surprise de trouver sa compagne perfide et insensible dans les bras du musicien et du chanteur Sergius Acerronius, arrivй а Massilia avec les bruyantes joies de la capitale de l'Empire. En ce jour amer de son existence, l'arme а la main, le fils de Flaminius saisit la femme traоtresse, disposй а lui фter sa vie criminelle et dйcadente. Pourtant а l'instant de sa vengeance, il pensa qu'assassiner une femme, bien que diaboliquement perverse, ne devait pas faire partie de sa vie, et il se dit que la laisser vivre le chemin scabreux de ses cruautйs serait la meilleure vengeance de son cњur trahi et malheureux. Il abandonna, alors, pour toujours, cette misйrable crйature qui fut йliminйe plus tard а Anzio, par le poignard implacable de Sergius qui ne put tolйrer son infidйlitй et son obstination dans le vice. Se sentant alors seul, Pline Sйvйrus rйflйchit amиrement aux tapageuses erreurs de sa vie. Il revit son passй fait de futilitйs condamnables et d'attitudes folles. Presque pauvre, il йtait а prйsent trop misйrable pour retourner а Rome oщ tant de fois il avait brillй dans sa jeunesse dans des aventures prodigues et heureuses. En vain le sйnateur lui avait envoyй des appels affectueux. Blessй dans son honneur par les douloureuses leзons de sa destinйe et soutenu par quelques amis а Rome, l'officier prйfйra s'efforcer de se rйhabiliter dans des villes en Gaules oщ il demeura pendant de longues annйes а rйaliser un travail silencieux et rude pour redresser l'honneur de son nom devant ses parents et ses amis les plus proches. Alors qu'il entrait dйjа dans l'вge mыr des profondes rйflexions, il fit un gros effort de rйhabilitation, loin des кtres qui lui йtaient les plus chers. Quant au vieux sйnateur, il rйsista avec йnergie aux coups durs du destin grвce а sa forte structure spirituelle. Il faisait des luttes de chaque jour un vйritable chemin d'йlucidation et vit ainsi passer les annйes sans dйcouragement et sans oisivetй. Depuis les tragiques йvйnements oщ Agrippa et Saul avaient perdu la vie mystйrieusement et avec l'abandon dйfinitif de son mari, Flavia Lentulia avait la santй а jamais йbranlйe. Sur son йpiderme, les marques provoquйes par les poisons d'Athйe avaient disparues, vaincues par les substances mйdicamenteuses appliquйes, mais la lumiиre de ses yeux s'йtait йteinte pour toujours. Dйcouragйe et aveugle, elle trouva nйanmoins dans le cњur gйnйreux d'Anne, l'affection maternelle qui lui manquait en de si pйnibles circonstances. Quant au sйnateur, sa constitution physique rйsistait а tous les choques et malheurs. Entre les efforts aimants pour assister sa fille et les combats politiques qui lui demandaient la plus grande attention, les jours calmes et tristes s'йcoulaient comme toujours pleins de luttes ingrates. Il avait maintenant а l'esprit les meilleures dispositions qui soient et les plus sincиres pour apprйhender l'essence sacrйe des enseignements du christianisme et c'est ainsi que son cњur pйnйtra le crйpuscule de la vieillesse comme si les ombres йtaient йclairйes par des йtoiles caressantes et douces. Au fond de lui, il gardait une sйrйnitй imperturbable, mais dans sa vie d'homme du monde, il йtait animй du souffle inquiet de l'effort pour les rйalisations de son temps. Son cњur йtait rйsignй face aux fвcheuses dйsillusions de la destinйe, mais au pouvoir suprкme de l'Empire il y avait un tyran qui devait tomber au profit de l'йdification du droit et de la famille ; et c'est ainsi qu'avec de nombreux compagnons, il se livra au travail subtil de la politique interne pour arriver а la chute de Domitius Nйron qui continuait а assujettir la citй avec les odieux spectacles de son rиgne infвme. Caius Pisan, Sйnиque, ainsi que d'autres personnalitйs vйnйrables de l'йpoque, plus exaltйes de patriotisme et d'amour pour la justice, tombиrent entre les mains criminelles du scйlйrat qui ceignait la couronne. Mais Publius Lentulus, aux cфtйs d'autres frиres d'idйal qui travaillaient en silence et dans l'ombre de la diplomatie secrиte auprиs des militaires et du peuple, guettait la mort ou le bannissement du tyran, en attendant les clartйs de l'avenir survenues avec le rиgne йphйmиre de Sergius Sulpicius Galba qui, aux dires de Tacite, aurait йtй par tous considйrй comme digne du gouvernement suprкme de l'Empire, s'il n'йtait pas devenu Empereur. LA DESTRUCTION DE JЙRUSALEM Depuis l'an 58, plus de dix annйes silencieuses et tristes s'йtaient йcoulйes dans la vie quotidienne des personnages de cette histoire. Ce ne fut qu'en 68, que la politique conciliante d'un grand nombre de patriciens, dont Publius Lentulus, rйussit а obtenir l'йloignement dйfinitif de Domitius Nйron et ses infвmes cruautйs. Toutefois, l'ascension de Galba ne dura que quelques mois et en l'an 69, la vie de l'empire allait кtre marquйe par de grands йvйnements. De nombreuses luttes frappиrent la citй de terreur et de sang. Le terrible conflit entre Othon et Vitellius avait divisй toutes les classes de la sociйtй romaine en factions hostiles qui se haпssaient а l'extrкme. Finalement, la fameuse bataille de Bйdriac donna le trфne Toutefois, la diplomatie interne veillait dans l'ombre et examinait attentivement la situation, afin d'empкcher de nouvelles vagues d'extermination et d'infamie. Vitellius ne conserva le gouvernement que pendant huit mois et huit jours car en cette annйe 69, les lйgions du territoire africain manipulйes par l'orientation subtile de ceux qui avaient renversй Nйron et ses partisans, proclamиrent Vespasien а la suprкme investiture de l'empire. Le nouvel empereur, qui se trouvait encore sur le champ de bataille engagй dans la pacification de la Judйe lointaine satisfaisait les plus grandes exigences de toutes les classes civiles et militaires, fut reзu en triomphe au poste suprкme, initiant ainsi l'иre prestigieuse des Flaviens. Vespasien faisait partie de ce groupe de patriciens laborieux qui avaient contribuй, sans vanitй, Ami personnel de Publius Lentulus, l'empereur s'йtait rendu cйlиbre, non seulement par ses victoires militaires, mais йgalement par son judicieux apprentissage de la politique, remarquй а Rome depuis l'йpoque des jours turbulents de Caligula. Sous sa direction administrative, une trкve dans les immoralitйs gouvernementales allait s'instaurer, une nouvelle pйriode de comprйhension des besoins populaires allait commencer et, dans le cadre de ses plans йconomiques et financiers, l'empire allait vers les jours rйgйnйrateurs d'une иre nouvelle. Soixante-sept annйes de luttes et de fortes expйriences de la vie faisaient que Publius vivait tous ces йvйnements avec une joie relative. Mais а la clartй sereine de la vieillesse, Face aux perspectives de jours meilleurs dans le cadre des rйalisations patriotiques, il considйrait а prйsent que tout le temps volй а sa fille aveugle pour rйpondre aux travaux du bien collectif avait bien йtй employй ; et ce fut dans cet йtat d'esprit, la conscience satisfaite du devoir accompli, conformйment а ses idйes, qu'il se rendit au palais pour rйpondre а l'appel personnel de l'empereur qui, а de nombreuses reprises, n'avait pas hйsitй а recourir aux conseils de ses plus anciens compagnons d'idйal. Sйnateur - lui dit Vespasien dans l'intimitй tranquille d'un des magnifiques cabinets de la rйsidence Impйriale -, je vous ai fait appeler pour me soutenir avec votre dйvouement habituel а l'empire, et trouver la solution а une affaire que je juge de la plus haute Importance.16 Dites, Auguste !... - rйpondit Publius, touchй. Mais l'empereur, courtoisement, lui coupa la parole : Non, mon cher, parlons-nous avec la vieille intimitй d'autrefois. Laissons de cфtй les protocoles, pour l'instant. Et voyant que le sйnateur esquissait un sourire de reconnaissance face а sa parole naturelle et gйnйreuse, il continua а exposer la question qui l'intйressait : Appelй а Rome а la charge suprкme, je n'ai pas osй dйsobйir aux injonctions sacrйes qui m'astreignaient а l'accomplissement de ce grand devoir, et j'ai йtй obligй de laisser mon fils њuvrer а la pacification de la Judйe mutinйe. Un travail que je considйrerai toute ma vie comme le plus grand effort pour la vitalitй de l'empire dans le dйveloppement de ses glorieuses traditions. Il se trouve, nйanmoins, que le siиge de Jйrusalem dure depuis trop longtemps, causant les plus sйrieuses consйquences а mes projets йconomiques dans le programme de restauration que je me suis proposй de rйaliser au sein du gouvernement. Je pense que mon valeureux Titus a besoin d'un conseil de civils, en plus des assistants militaires qui l'accompagnent dans cette audacieuse entreprise, et j'ai pensй le constituer avec mes amis les plus proches parmi ceux qui connaissent Jйrusalem et ses alentours. Lors de mes premiиres incursions dans l'йdilitй, j'ai pris connaissance de vos procйdures de rйforme administrative en Judйe, et j'ai appris que vous avez sйjournй а Jйrusalem il y a plus de vingt ans. Je manifeste donc le souhait que vous acceptiez avec quelques autres compagnons, la charge de mieux orienter la tactique militaire de mon fils. Titus a besoin de la coopйration politique de ceux qui connaissent la ville dans ses moindres recoins, ainsi que sa langue populaire, de maniиre а vaincre la situation qui devient de plus en plus difficile. Publius Lentulus pensa un instant а sa fille malade, mais se souvenant du dйvouement absolu d'Anne qui pourrait parfaitement substituer ses soins pendant quelque temps, il rйpondit avec dйcision et йnergie : - Mon noble empereur, votre parole auguste est la parole de l'empire. L'empire ordonne et j'obйis, je m'honore d'accomplir vos dйcisions et je rйponds а l'йlan gйnйreux de votre confiance. Merci beaucoup ! - dit Vespasien en lui tendant la main, extrкmement satisfait. Tout sera prкt, de maniиre а ce que votre dйpart, et celui de deux ou trois de nos amis, se fasse dans deux semaines, au plus tard. Et il en fut ainsi. Aprиs les poignants adieux de sa fille qui restait aux soins de la dйvouйe servante au palais de l'Aventin, le sйnateur monta sur une somptueuse galиre qui, en quittant Ostie, prit rapidement le large en route vers la Judйe. Le vieux patricien revйcut avec une pйnible sйrйnitй, les pйripйties du voyage de sa jeunesse heureuse en compagnie de son йpouse et de ses deux enfants, а l'йpoque oщ il ne savait pas donner au bonheur sa vraie valeur. Oui, la petite figure de Marcus, son fils disparu, semblait ressurgir а ses yeux, sous une aurйole d'enchantement radieux et sanctifiй. Un jour, а Capharnaum, portй par les propos calomnieux de Sulpicius Tarquinius, il avait doutй de l'honorabilitй de sa femme, croyant plus tard que l'enlиvement de son fils fut une consйquence de son infidйlitй. Mais Livia йtait а prйsent rйdimйe de toutes ces accusations au tribunal de sa conscience. Ses sacrifices familiaux et sa mort hйroпque au cirque йtaient la plus grande preuve de la puretй sublime de son cњur. Dans ces instants de rйflexion, il se figurait revenir au passй avec ses souffrances interminables, se heurtant toujours а l'ombre accablante du mystиre lorsqu'il essayait de relire les pages de ce pйnible chapitre de son existence. Dans quels abоmes insondables et inconnus avait йtй emportй le petit qui aurait perpйtuй sa noble lignйe ? Ses йmotions paternelles semblaient s'alarmer а nouveau, aprиs tant d'annйes et tant de souffrances en famille. Et mкme si les plus pйnibles doutes planaient dans ses pensйes, dans la rigiditй de sa fibre morale, le sйnateur prйfйrait croire au fond que Marcus Lentulus avait йtй assassinй par de vulgaires malfaiteurs, adonnйs au vol et aux malveillances pour n'avoir jamais fait appel а ses sentiments paternels. Ainsi voulait-il le croire, mais ce voyage lui semblait кtre une analyse de ses souvenirs les plus chers et les plus poignants. Dans l'aprиs-midi, а la douce lueur du crйpuscule sur la Mйditerranй, il croyait encore voir la silhouette de Livia berзant le petit ou parlant а son cњur en ternies affectueux de consolation. Il pensait йgalement distinguer la figure de Comenius, son fidиle serviteur, parmi les subalternes et les esclaves. En compagnie de trois autres conseillers civils, il arriva sans embыches а destination. Le conseil restreint des amis intimes de l'empereur se mit immйdiatement а la disposition de Titus, qui sut tirer profit de leur avis, utilisant avec succиs leurs suggestions issues d'une longue expйrience de la rйgion et de ses coutumes. Le fils de l'empereur йtait gйnйreux et loyal envers tous ses compatriotes qui le considйraient comme un bienfaiteur et un ami. Mais pour ses adversaires, Titus йtait d'une cruautй sans nom. Autour de sa personnalitй ardente et intrйpide se dйployaient d'innombrables lйgions de soldats qui combattaient avec acharnement. Le siиge de Jйrusalem qui s'acheva en 70, fut l'un des plus impressionnants de l'histoire de l'humanitй. La ville fut assiйgйe, justement lorsqu'une foule Interminable de pиlerins venus de tous les coins de la province, s'йtait rйunie prиs du cйlиbre Temple pour les fкtes des pains azymes. D'oщ le nombre colossal de victimes et les luttes acharnйes de la cйlиbre rйsistance. Le nombre de morts dans les terribles affrontements s'йleva а plus d'un million. Les Romains firent presque cent mille prisonniers, dont onze mille furent massacrйs par les lйgions victorieuses, aprиs la sйlection des hommes valides lors des pйnibles scиnes de sang et de sauvagerie commises par les soldats. Le vieux sйnateur se sentait affligй par ces spectacles effroyables de carnage, mais il avait donnй sa parole et c'йtait avec le plus grand courage qu'il accomplissait pleinement son mandat. Ses conseils et ses connaissances furent de nombreuses fois utilisйs avec succиs, et il devint le conseiller personnel du fils de l'empereur. Quotidiennement, en compagnie d'un ami, le sйnateur Pompilius Crassus, il visitait les postes les plus avancйs des forces attaquantes pour vйrifier l'efficacitй de la nouvelle orientation observйe par la stratйgie militaire de ses compatriotes. А plusieurs reprises face а leur attitude intrйpide, les chefs d'opйrations les mirent en garde pour qu'ils n'avancent pas trop, mais Publius Lentulus ne manifestait pas la moindre crainte, rйalisant а son вge, les minutieux services de reconnaissance topographique de la cйlиbre citй. Enfin, а la veille de la chute de Jйrusalem, on luttait dйjа presque corps а corps dans tous les points de pйnйtration, aprиs avoir effectuй des incursions de part en part dans les camps ennemis avec des cruautйs rйciproques contre tous ceux qui avaient le malheur de se faire capturer. Malgrй la surveillance qui les entouraient et en vertu du courage dont ils tйmoignaient, Publius et son ami tombиrent entre les mains du camp adverse qui, lorsqu'ils remarquиrent les habits de hauts dignitaires de la cour impйriale, les conduisirent immйdiatement а l'un des chefs de la rйsistance dйsespйrйe, installй dans une grande maison qui servait de caserne prиs de la tour Antonia. En observant les scиnes de sauvagerie et de sang de la plиbe anonyme et rebelle qui exterminait de nombreux citoyens romains sous ses yeux, Publius Lentulus se souvint du terrible aprиs-midi du Calvaire, oщ le misйricordieux prophиte de Nazareth avait succombй sur la croix, sous le vacarme terrifiant de la foule enragйe. Et tandis qu'il marchait impressionnй par la brutalitй et la rudesse alentour, le vieux sйnateur se dit aussi que si ce moment йtait celui de sa mort, il devait mourir hйroпquement comme sa propre femme, en holocauste а ses principes, bien qu'il y ait une diffйrence fondamentale entre le royaume de Jйsus et l'empire de Cйsar. L'idйe de laisser Flavia Lentulia orpheline de son affection l'inquiйtait ; nйanmoins il estimait que sa fille aurait au monde le dйvouement gйnйreux et assidu d'Anne, ainsi que le soutien matйriel de sa fortune. Ce fut dans cet йtat d'esprit que, surpris par la succession des йvйnements, il traversa de longues rues pleines d'agitation, de cris, d'injures et de sang. Jйrusalem, prise de panique, mobilisait ses derniиres йnergies pour йviter une ruine complиte. En bout de quelques heures, extйnuйs de fatigue et de soif, Publius et son ami furent introduits dans le sombre cabinet d'un chef juif qui expйdiait les ordres de supplice les plus impitoyables et la mort pour tous les Romains arrкtйs, en rйponse aux atrocitйs de l'ennemi. Il suffit а Publius de poser son regard sur ce vieil Israйlite aux traits caractйristiques pour chercher, avidement, une figure semblable parmi tous ses souvenirs les plus intimes et les plus lointains. Nйanmoins, il ne parvint pas а identifier immйdiatement ce personnage. Le vieux chef posa sur lui son regard intrigant et, faisant un geste de satisfaction, s'exclama avec une йtincelle de haine qui transparaissait а chacun de ses mots : Trиs illustres sйnateurs - souligna-t-il avec ironie et mйpris -, je vous connais de longue date... Et, tout en fixant Publius, il soutint avec malice : Mais par-dessus tout, je m'honore de la prйsence de l'orgueilleux sйnateur Publius Lentulus, ancien lйgat de Tibиre et de ses successeurs dans cette province persйcutйe et flagellйe par les imprйcations romaines. Heureusement que les forces de la destinйe ne m'ont pas permis de partir pour l'autre vie, dans ma vieillesse laborieuse, sans m'кtre vengй d'une injure inoubliable. Et s'avanзant vers le vieux patricien qui le dйvisageait extrкmement surpris, il rйpйtait avec une insistance irritante : Vous ne me reconnaissez pas ?... Le sйnateur portait sur son visage les signes d'un pйnible abattement physique, face а cette rude йpreuve de sa vie ; en vain, il dйvisageait la figure maigre et machiavйlique d'Andrй de Gioras qui assumait а prйsent un poste йlevй au sein des travaux du cйlиbre Temple, vu la fortune qu'il avait rйussi а accumuler. Constatant l'impossibilitй d'кtre identifiй par le prisonnier dont la prйsence, en ces lieux, l'intйressait au plus haut point et qui rйpondait а toutes ses questions d'un silencieux geste nйgatif, le vieux juif lui fit sarcastiquement : Publius Lentulus, je suis Andrй de Gioras, le pиre que tu as insultй un jour avec l'excиs de ton autoritй orgueilleuse. Tu te souviens de moi а prйsent ? Le prisonnier fit un signe affirmatif de la tиte. Voyant que son impertinence ne l'intimidait pas, le chef de Jйrusalem insista exaspйrй: Et pourquoi ne t'humilies-tu pas maintenant devant mon autoritй ? Ignores-tu, par hasard, que je peux aujourd'hui dйcider de ton sort ?... Pourquoi ne me demandes-tu pas de faire preuve de commisйration ? Publius йtait extйnuй. Il se souvint de ses premiers jours а Jйrusalem, de la visite de cet agriculteur intelligent et insurgй. Silencieusement, il chercha а se souvenir des mesures qu'il avait prise en sa capacitй d'homme public afin que le fils du juif retournвt au foyer paternel, mais ne se rappelait pas avoir distillй tant de fiel dans ce cњur rйvoltй. Il dйcida de ne rien dire face а sa figure exaspйrйe et truculente, rйpondant ainsi а ses dispositions spirituelles, mais en raison de son audacieuse insistance, sans abdiquer de ses anciennes traditions d'orgueil et de vanitй qui le caractйrisaient en d'autres temps, et comme s'il dйsirait montrer son courage en de si rudes circonstances, il rйpliqua finalement avec йnergie : Si vous jugez devoir accomplir ici une obligation sacrйe, au-dessus de tout sentiment personnel et moins digne, n'attendez pas que je vous demande de la commisйration si de fait vous accomplissez votre devoir. Andrй de Gioras fronзa les sourcils, exaspйrй par cette rйponse inattendue, et marchant de long en large dans le grand cabinet, il cogitait le meilleur moyen d'exйcuter sa terrible vengeance. Aprиs quelques instants d'un funeste silence, comme s'il йtait arrivй а une solution а la hauteur de ses projets implacables, il appela d'une voix lugubre un des nombreux gardes, et lui ordonna : Pars immйdiatement et dis а Italus, de ma part, qu'il doit кtre ici demain, а la premiиre heure, afin d'exйcuter mes ordres. Et tandis que l'йmissaire sortait, il s'adressa aux deux prisonniers en ces termes : La chute de Jйrusalem est imminente, mais je donnerai la derniиre goutte de sang de ma vieillesse pour exterminer les vipиres de votre peuple. Votre race maudite est venue s'engraisser dans la citй йlue, mais j'exulte а l'idйe de ma vengeance sur vous deux, orgueilleux dignitaires de l'empire de l'impiйtй et du crime ! Quand les portes de Jйrusalem s'ouvriront, j'aurai exйcutй mes implacables desseins ! Puis il se tut et un geste de lui suffit pour que les deux amis fussent jetйs dans un cachot sombre et humide oщ ils passиrent une nuit terrible de conjectures pйnibles а йchanger des confidences amиres. Le lendemain matin, ils йtaient appelйs а l'йpreuve suprкme. On entendait dйjа dans la citй les premiиres rumeurs des forces romaines victorieuses qui se livraient а la terreur et au pillage de la population humiliйe et terrorisйe. De toute part, c'йtait l'exode prйcipitй de femmes et d'enfants dans des cris infernaux et angoissants, mais dans cette grande demeure aux murs йpais en pierre, un nombre considйrable de chefs et de combattants s'йtaient rйfugiйs pour la rйsistance suprкme. Publius et Pompilius furent conduits dans une vaste salle d'oщ ils pouvaient entendre le bruit grandissant de la victoire des armes impйriales, aprиs les actes dramatiques et cruels en ces temps de terreur, de pillages et de combat ; pourtant, lа, dans cette piиce spacieuse et fortifiйe, ils avaient devant eux des centaines de guerriers armйs et quelques chefs de la rйsistance Israйlite qui les observaient. Face а l'avancйe victorieuse des lйgions romaines, l'inquiйtude et la terreur dominaient tous les visages, mais il y avait un intйrкt gйnйral pour les deux prisonniers importants de l'Empire, comme s'ils reprйsentaient tout ce qui leur restait pour assouvir leur haine et leur vengeance. Mettant fin а cette situation, Andrй de Gioras prit la parole sur un ton sinistre et йtrange qui rйsonna dans tous les coins de la demeure : Messieurs ! Notre dйfense dйsespйrйe touche а sa fin, mais nous avons la consolation de garder deux grands chefs de cette maudite politique de rapine de l'Empire romain !... L'un d'eux est Pompilius Crassus qui a commencй sa carriиre d'homme public dans cette malheureuse province, en initiant une longue pйriode de terreur parmi nos malheureux compatriotes ! L'autre, Messieurs, est Publius Lentulus, l'orgueilleux йmissaire de Tibиre et de ses successeurs dans la Judйe humiliйe de tous les temps, qui rйduit а l'esclavage nos fils encore jeunes et instaura des procиs criminels dans toutes les provinces, fomentant la terreur chez nos frиres persйcutйs et flagellйs, de sa rйsidence seigneuriale de Galilйe !... Par consйquent ! Avant que les maudits soldats du pillage impйrial ne nous emprisonnent et ne nous exterminent, accomplissons nos desseins !... Tous ceux qui йtaient prйsents l'йcoutaient comme s'il s'agissait des ordres suprкmes d'un chef а qui ils devaient obйir aveuglйment. Les deux sйnateurs furent alors attachйs avec de lourdes chaоnes en fer aux poteaux du supplice, sans aucune libertй de mouvement, leur mobilitй se limitait а leurs yeux silencieux et sereins dans ce sacrifice. Notre vengeance - reprit l'odieux Israйlite - doit obйir aux critиres de l'Antiquitй. Pompilius Crassus devra mourir le premier pour кtre le plus vieux et pour que le vaniteux sйnateur Publius Lentulus comprenne notre volontй d'йliminer la force de son maudit empire. Pompilius fixa longuement son ami, comme s'il lui faisait des adieux angoissants et muets, en cette heure extrкme. Nicandre, cette tвche t'appartient - s'exclama Andrй, en se tournant vers l'un de ses compagnons. Et donnant au vigoureux soldat une йpйe menaзante, il ajouta avec une profonde ironie: Arrache-lui le cњur pour que son ami conserve а jamais dans sa mйmoire la scиne d'aujourd'hui. Les yeux du condamnй brillиrent d'une intense angoisse, tandis que ses joues palissaient а l'extrкme, accusant les йmotions douloureuses qui le blessaient au fond de l'вme. Tous deux йchangиrent alors un regard inoubliable. Quelques minutes aprиs, Publius Lentulus assistait au dйroulement de l'opйration abominable. La tкte blкme du suppliciй tomba au premier coup d'йpйe et de son vieux thorax fut arrachй violemment son cњur sanglant encore palpitant. Le sйnateur survivant entendait en mкme temps le tumulte des patriciens victorieux qui approchaient laissant croire qu'ils combattaient dйjа corps а corps, aux portes de cette turbulente assemblйe de vengeance et de crime. La monstrueuse scиne terrifiait son вme, lui qui йtait toujours optimiste et dйterminй, mais il ne perdit pas la posture hautaine et rigide qu'il s'imposait а lui-mкme, en cette heure angoissante. Une fois l'exйcution de Pompilius achevйe, rapidement rйalisйe, car tous les participants avaient conscience de l'horrible situation qui les attendait face aux triomphateurs, Andrй de Gioras йleva а nouveau la voix : Mes amis - affirma-t-il sur un ton lugubre -, le plus vieux a reзu la peine misйricordieuse de la mort, mais а ce patricien infвme qui nous йcoute, nous accorderons la peine arriиre de la vie dans la tombe de ses illusions dйlirantes, de vanitй et d'orgueil !... Publius Lentulus, l'ancien йmissaire des empereurs devra vivre !... Oui, mais vivre sans les yeux qui ont йclairй le chemin de son йgoпsme suprкme sur nos grands malheurs !... Nous le laisserons en vie pour que dans les tйnиbres de sa nuit, il cherche а voir avec les yeux des esclaves qu'il a piйtines au cours de son existence. Il y eut un lourd silence mкme si, lа dehors, on entendait le trйpignement des chevaux et le tintement des armures, alliйs а la rumeur sinistre des voix menaзantes а l'attaque, face а la rйsistance dйsespйrйe du dernier bastion. Nйanmoins, Andrй de Gioras semblait ivre de la voluptй de sa vengeance et, retenant l'attention de l'assistance а cette heure tragique du destin qui les attendait tous, de sa voix magnйtique et persuasive, il s'exclama йnergiquement : Italus, c'est а tes mains que revient la tвche de cet instant. De l'assistance compacte et inquiиte, sortit un homme, presque dans la quarantaine qui surprit le sйnateur par ses traits fins de patricien. Leurs regards se rencontrиrent et il lui sembla dйcouvrir dans cette вme un lien d'affinitй йtrange et incomprйhensible. Italus ? Ce nom ne lui rappelait-il pas quelque chose des environs de sa Rome inoubliable ? Pour quelle raison cet homme qui, de toute йvidence avait le sang noble, serait-il lа а combattre aux cфtйs des juifs mutinйs et remplis de haine ? Quant au bourreau indiquй par la voix autoritaire d'Andrй, il semblait enclin au respect et а la pitiй pour cet homme vieux et serein, aux mains et aux pieds attachйs au poteau de l'injure, et qui semblait hйsiter а exйcuter l'ordre sinistre et impitoyable de son chef. Mais brusquement surgit d'une large porte sombre, un guerrier Israйlite avec un grand plateau en bronze et une lame en fer incandescente dont la pointe aiguisйe reposait parmi des braises ardentes. Contemplant avec intйrкt l'йnigmatique figure d'Italus dans la vitalitй de l'вge adulte, le sйnateur silencieux ne pouvait dissimuler sa curiositй face а cette silhouette droite et dйlicate. Andrй, quant а lui, jouissait du tableau et, percevant l'йvidente attention du condamnй, il l'arracha de cet йtat de conjecture et de surprise, et fit ironiquement : Alors, sйnateur, vous admirez l'allure noble d'Italus ?... Sachez que si les patriciens se paient le luxe de possйder des esclaves Israйlites, les seigneurs de Judйe apprйcient aussi les esclaves de type romain. D'ailleurs, je dois dire que c'est toujours dangereux de garder un esclave comme celui-ci dans la citй, vu l'imprйcation du patriciat aujourd'hui excessive de toute part ; mais, j'ai rйussi jusqu'а prйsent а maintenir cet homme travailleur dans le milieu agricole... Publius Lentulus pouvait а peine deviner le sens cachй de ces paroles ironiques, le temps de l'introspection йtait rйvolu. Il remarqua qu'Andrй se tut, face а l'urgence avec laquelle l'opйration а suivre devait кtre mise а exйcution pour ne pas perdre le rouge incandescent de la lame fatidique. Devant tous ces regards stupйfaits et dйsespйrйs qui ne savaient plus s'ils devaient fixer la scиne macabre ou s'ils devaient s'occuper de la bruyante pйnйtration des forces de Titus qui brisait а cet instant mкme les obstacles du dernier bastion, le bourreau implacable remit а Italus le terrible instrument du sacrifice. Italus - recommanda-t-il avec le maximum d'йnergie -, cette minute est prйcieuse... Nous allons luibrыler les pupilles afin de le rendre aveugle tout en le laissant en vie. Mais le pauvre homme йmu jusqu'aux larmes en raison du supplice qu'il devait infliger de ses propres mains, semblait indйcis et titubant. Seigneur.... - dit-il suppliant, sans rйussir а formuler d'objection. Pourquoi hйsites-tu?... - rйtorqua Andrй, sur un ton tyrannique en lui coupant la parole. Devrais-je utiliser le fouet pour que tu m'obйisses ? Italus prit alors la lame avec humilitй. Il s'approcha lentement du condamnй plein de rйsignation et de force intйrieure. Avant l'instant suprкme, leurs regards se croisиrent, йchangeant les vibrations d'une sympathie rйciproque. Publius Lentulus observa а nouveau cette silhouette touchйe d'une incontestable noblesse, brisй dans ses lignes les plus caractйristiques par les travaux les plus impitoyables et les plus rudes ; et fixй devant ses yeux en pleine lumiиre pour la derniиre fois, l'attraction qu'il йprouva pour cet homme fut si grande, qu'inexplicablement, il en vint а se souvenir de son petit Marcus, se disant que s'il йtait encore en vie dans un milieu aussi hostile, il devrait avoir cette allure et cet вge. Les mains d'Italus, tremblantes et hйsitantes, s'approchиrent de ses yeux extйnuйs comme si elles le faisaient dans une douce attitude de tendresse ; mais le fer incandescent, avec la rapiditй de l'йclair, blessa ses pupilles orgueilleuses et claires, les plongeant pour toujours dans les tйnиbres. A cet instant, la victime poussa un cri infernal qui rйsonna dans toute la salle. Une douleur indйfinissable йmanait de ses brыlures lui faisant ressentir d'atroces souffrances. Il ne voyait plus rien si ce n'est les ombres йpaisses qui couvraient son esprit, mais pouvait deviner que les forces victorieuses arrivaient tardivement pour le libйrer. Au milieu des bruits assourdissants, Andrй de Gioras s'approcha encore du condamnй, et lui dit а l'oreille : Je pourrais vous tuer, infвme sйnateur, mais je veux que vous viviez. Maintenant, je vais vous rйvйler qui est Italus, votre bourreau du dernier instant !... Mais un violent coup d'йpйe, brandie par un lйgionnaire romain, fit tomber par terre le vieil Israйlite, йvanoui, tandis qu'un coup de poignard mortel atteignait Italus, indйcis dans sa stupйfaction et qui tomba lourdement auprиs du suppliciй, йtreignant ses pieds dans un geste symbolique et suprкme. Des voix amicales entourиrent alors Publius Lentulus, dans cet entourage agitй. On lui dйtacha immйdiatement les pieds et les mains, lui restituant sa libertй de mouvements, pendant que d'autres lйgionnaires retiraient le cadavre de Pompilius Crassus, la poitrine vidйe, dans un tableau affreux de sauvagerie sanguinaire. Une fois les premiers tumultes apaisйs et gardant pour lui les doutes les plus poignants concernant les paroles rйservйes de son ennemi implacable, avant d'кtre emmenй par les bras de ses compagnons au poste de commandement des forces en action oщ il allait recevoir les premiers secours, Publius Lentulus recommanda que l'on traitвt avec le plus grand respect le cadavre d'Italus qui gisait а cфtй d'un tas de dйpouilles sanglantes, ce en quoi il fut exaucй. Mais un compagnon lui fit alors remarquer : Sйnateur, avant tout, n'oubliez pas que votre йtat rйclame les soins les plus urgents. Et comme s'il voulait provoquer une explication spontanйe du blessй sur l'intйrкt qu'il portait au dйfunt, il ajouta dйlicatement : N'est-ce pas cet homme qui vous a infligй l'horrible supplice ? Face а cette question inopinйe et devant justifier son attitude а ses compatriotes qui l'йcoutaient, Publius s'exclama d'une voix poignante : -Vous vous trompez, mon ami. Cet homme dont je ne vois pas le cadavre а prйsent, йtait des nфtres, prisonnier de longue date de la fureur vindicative d'un puissant seigneur de Jйrusalem... Observez ses traits nobles et vous serez d'accord avec moi !... Et tandis qu'il se retirait soutenu par ses amis, afin de recevoir les premiers secours indispensables, il sentit avoir accompli un devoir en prononзant ces mots car des voix mystйrieuses parlaient а son cњur de ce regard gйnйreux qui s'йtait posй dans ses yeux pour la derniиre fois. Pendant plusieurs jours, Jйrusalem fut livrйe au pillage et au dйsordre perpйtrйs par les soldats de l'empire, assoiffйs de plaisirs et empoisonnйs du vin sinistre du triomphe. Tous les chefs de la rйsistance Israйlite furent emprisonnйs afin de comparaоtre а Rome pour l'ultime sacrifice, en hommage aux fкtes commйmoratives de la victoire. Parmi eux se trouvait Andrй de Gioras qui, rйtabli des excoriations reзues, йtait l'un de ceux qui devaient кtre exterminйs pour rйjouir l'assistance festive dans la capitale de l'empire. Aprиs la tuerie de onze mille prisonniers blessйs ou invalides, massacrйs par les lйgions victorieuses ; aprиs les affreux spectacles de la destruction et du pillage du Temple magnifique qu'Israлl jugeait кtre son њuvre йternelle et divine pour toutes les gйnйrations de sa postйritй prolifique, la grande caravane des vaincus et des vainqueurs prit le chemin du retour, pleine de richesses illicites et de trophйes merveilleux, afin d'exhiber а Rome tous les ornements qui illustraient la victoire, au milieu des vibrations tumultueuses et des chants triomphateurs. Publius Lentulus voyagea dans une galиre confortable et paisible, rйsignй dans la nuit noire de sa cйcitй, entourй d'amis prйvenants qui faisaient tout pour diminuer ses souffrances morales. Avant d'arriver а Rome, plusieurs fois, il avait rйflйchi а la meilleure maniиre de s'adresser directement а Andrй pour lui arracher la vйritй et apaiser ses doutes personnels quant а l'identitй de l'esclave de type romain qui lui avait а jamais фtй le prйcieux don de la vue. Mais а prйsent, il йtait aveugle et pour rйaliser ce dйsir, il devait prendre un grand nombre de dispositions, demander la collaboration d'autrui et, mкme ainsi, il n'avait pas trouvй la meilleure maniиre d'entendre le juif sans offenser les traditions de sa dignitй conservйe pendant toute la durйe dans sa vie publique. Ce fut ainsi que devant cette impasse, il arriva а nouveau au palais de l'Aventin en compagnie de nombreux confrиres du milieu politique, et surprit amиrement le cњur de sa fille avec la nouvelle tragique et pйnible de sa cйcitй. Anne, tel un ange fraternel, valeureuse sњur de tous les malheureux, disciple sincиre du christianisme, avait attendu affectueusement son Maоtre auprиs de Flavia qui s'exclama pleine d'un incoercible dйcouragement : - Mon pиre, mon pиre, mais quel malheur !... Nйanmoins, avec son optimisme, le vieux patricien rйconforta son esprit en lui disant : - Ma fille, ne te fatigue pas trop а rйflйchir aux problиmes de la destinйe. Dans tous les йvйnements de la vie, nous devons louer les desseins souverains des cieux et j'espиre que tu reprendras courage car il n'y a que comme cela que je vivrai а prйsent, auprиs de toi, dans cette tendre consolation rйciproque ! C'est le destin lui-mкme qui m'a йloignй des affaires d'Йtat, afin de vivre dйsormais uniquement pour toi. Dans leur infortune commune, fondant en baisers, ils s'йtreignirent alors avec effusion comme deux вmes vibrant d'une mкme йmotion en proie aux mкmes souffrances. Mais en dйpit d'un repos bien nйcessaire et malgrй la cйcitй qui l'empкchait de prendre toutes initiatives, Publius Lentulus n'avait pas perdu l'espoir d'entendre son ennemi implacable, une fois encore, et pour cela, il attendait le jour angoissant des festivitйs souveraines du triomphe que le peuple romain convoitait impatiemment. Il convient de souligner que le vieux sйnateur avait йtй immйdiatement reconduit а la citй, vu sa situation trиs particuliиre ; tandis que le vainqueur et ses multiples lйgions entrиrent dans Rome avec tous les fastes des protocoles des triomphateurs, conformйment aux nombreux rиglements de l'ancienne Rйpublique. Le jour prйvu, toute la capitale avec sa population d'un million et demi d'habitants, approximativement, attendait les magnifiques commйmorations de la victoire. Dиs les premiиres heures du jour, commencиrent а s'agrouper aux portes de la ville les lйgions victorieuses, sans armes, vкtues de dйlicates tuniques de soie, exhibant de superbes couronnes de lauriers. Une fois les portes de la citй franchies sous les bruyants applaudissements de la foule sans fin, un splendide banquet leur fut offert, prйsidй par l'empereur lui-mкme et son fils. Puis juste aprиs les cйrйmonies du Sйnat, au portique d'Octavie, Vespasien et Titus se dirigиrent vers la porte Triomphale oщ ils offrirent un sacrifice aux dieux et portиrent les symboles du triomphe aux somptueuses festivitйs impйriales. Une fois cette cйrйmonie achevйe, le grand cortиge se mit en route. Publius Lentulus ne manqua pas d'кtre lа car il avait la secrиte intention d'entendre les propos rйvйlateurs du chef prisonnier dont le cadavre, aprиs les sacrifices de ce jour, serait jetй aux eaux du Tibre conformйment aux traditions en vigueur. Tous les trophйes des batailles sanglantes et tous les vaincus, en nombre considйrable, йtaient йgalement prйsents а la procession de cette fкte indescriptible. Devant l'immense cortиge, dйfilait une quantitй incalculable d'њuvres en or pur, dйcorйes de couleurs vives et variйes, et juste aprиs venaient des pierres prйcieuses en nombre considйrable non seulement posйes sur des couronnes d'une beautй fulgurante, mais aussi sur des piиces d'йtoffes qui йmerveillaient les spectateurs par leur variйtй. Tous ces trйsors йtaient portйs par de jeunes lйgionnaires vкtus de tuniques en pourpre avec de gracieux ornements dorйs. Aprиs l'exhibition des trйsors conquis par le triomphateur, venaient par centaines, les statues des dieux, de tailles prodigieuses, sculptйes dans le marbre, en or ou en argent. Derriиre les dieux, tout un rйgiment d'animaux, d'espиces les plus variйes parmi lesquelles on pouvait distinguer de nombreux dromadaires et des йlйphants couverts de magnifiques pierreries. Les animaux йtaient suivis par une foule compacte et affligйe de prisonniers abattus qui exhibaient leur misиre et leur regard triste, cherchant а cacher aux spectateurs impitoyables et irrйvйrencieux les lourds fers qui les enchaоnaient. Aprиs les prisonniers йreintйs, c'йtait au tour des simulacres des citйs vaincues et humiliйes, confectionnйs avec soin, portйs par les йpaules de nombreux soldats, semblables aux chars allйgoriques modernes des fкtes carnavalesques. Il y avait des reprйsentations de toutes les villes dйtruites et pillйes, des batailles victorieuses, sans oublier le ravage des champs, la chute des murailles et les incendies dйvastateurs. Aprиs ces symboles, venaient les richissimes butins des peuples vaincus et des villes conquises, principalement ceux de Jйrusalem exhibйs avec beaucoup d'attention par les lйgionnaires. Sous les applaudissements bruyants et moqueurs de la foule qui se serrait de toute part, paradaient les statues reprйsentant les personnages d'Abraham et de Sarah, ainsi que toutes les personnalitйs royales de la famille de David, en plus de tous les objets sacrйs du fameux Temple de Jйrusalem, tels que la table des Pains de Proposition17, en or massif, les trompettes du Jubilй, le chandelier а sept branches en or, les ornements essentiels d'une grande valeur, les voiles sacrйs du Temple, et finalement, la Loi des Juifs qui suivait derriиre tous les butins matйriels pillйs par les forces triomphantes. Chaque objet йtait posй sur des socles prйcieux et bien dйcorйs sur les йpaules des lйgionnaires romains couronnйs de lauriers. Aprиs les textes de la Loi, suivait Simon, l'infortunй chef suprкme de tous les mouvements de la rйsistance de Jйrusalem, accompagnй de ses trois auxiliaires directs, dont Andrй de Gioras. Tous les chefs de cette rйsistance longue et dйsespйrйe йtaient vкtus de noir et marchaient solennellement au sacrifice, aprиs avoir йtй exhibйs а toutes les commйmorations festives du triomphe. Ensuite, venaient les magnifiques chars des triomphateurs. Aprиs le passage йblouissant de Vespasien, paradait Titus dans un ocйan de pourpre, de soieries et de vermillon, symbolisant Jupiter lui-mкme dans l'ivresse de sa victoire. Dans la suite d'honneur, il y avait йgalement le sйnateur valйtudinaire et aveugle, non plus par plaisir pour les hommages, mais avec la secrиte intention d'entendre les rйvйlations d'Andrй, avant le moment tragique oщ son corps serait jetй dans les eaux boueuses du Tibre, а l'heure de l'ultime supplice, sous les applaudissements dйlirants du peuple. L'armйe compacte venait aprиs les chars impйriaux des vainqueurs et leurs auliques les plus proches, faisant retentir les hymnes de la victoire, tandis que toutes les rues et places, les forums et les portiques, les terrasses et fenкtres regorgeaient d'une foule incalculable de curieux. Le cortиge se dйplaзait solennellement depuis la porte Triomphale jusqu'au Capitule, а travers ce sinueux chemin, ce qui prit plusieurs heures, d'autant que la fкte йtait organisйe de faзon а porter ses splendeurs au travers des quartiers les plus aristocratiques du patriciat romain. Cependant а un moment donnй, avant de monter la colline, tout le cortиge s'arrкta et les regards anxieux de la foule convergиrent vers Simon et ses trois compagnons, auxiliaires directs de son personnel d'encadrement dans la rйsistance de la cйlиbre citй. Bien qu'aveugle, mais accoutumer а la tradition de ces cйrйmonies, Publius Lentulus comprit que l'instant suprкme йtait venu. En raison de son cas trиs particulier et considйrant la dйfйrence que l'autoritй jugeait lui devoir, l'empereur s'inquiйta de sa situation au sein du cortиge et recommanda а son fils, Domitien, de pourvoir а ses йventuels besoins en de telles circonstances. А ce moment-lа, sous les bruyantes vibrations du dйlire populaire, on procйda а la flagellation de Simon devant la Rome toute entiиre ivre et victorieuse, tandis qu'Andrй de Gioras et ses deux compagnons йtaient conduits а la prison Mamertine oщ ils devaient attendre leur chef aprиs la flagellation pour mourir ensemble. Puis, leurs cadavres seraient tramйs а travers les Gйmonies et, а la vue du peuple, jetйs dans les courants du Tibre. L'вme anxieuse, mais prкt а rйaliser ses desseins, le sйnateur fit appeler le prince dont l'assistance lui avait йtй recommandйe, et il lui exprima son souhait de parler а l'un des prisonniers en privй et dans des conditions secrиtes, ce en quoi il fut immйdiatement exaucй. Domitien lui prit le bras avec attention et le conduisit dans une dйpendance de la sinistre prison, puis il ordonna de faire venir Andrй dans un cachot isolй et secret, selon le dйsir de Publius, et dиs que le condamnй pйnйtra pour l'interrogatoire de l'ancien homme politique du Sйnat, il attendit la fin de l'entretien dans une salle voisine en compagnie de quelques gardes. Face а face, les deux ennemis eurent une йtrange sensation de malaise. Publius Lentulus ne pouvait plus le voir, mais si ses yeux, dont les pupilles claires et йnergiques йtaient а jamais brыlйes, n'avaient plus d'expression, son profil droit manifestait les йmotions qui le dominaient. - Seigneur Andrй - s'exclama le sйnateur, profondйment йmu - contrairement а mes habitudes j'ai provoquй cette rencontre secrиte afin d'йclaircir mes doutes sur vos paroles rйticentes prononcйes а Jйrusalem, le jour oщ vous avez consommй vos impitoyables rйsolutions а mon йgard. Je ne veux pas, а prйsent, entrer dans des dйtails concernant votre attitude, mais seulement vous informer, а cette heure oщ la justice de l'empire se charge de vous, que j'ai tout fait pour vous rendre votre fils captif en accomplissant ce qui йtait pour moi un devoir d'humanitй aprиs avoir reзu vos suppliques. Je dйplore que mes dispositions tardives n'aient pas eu l'effet escomptй et qu'ainsi une haine aussi violente ait fermentй dans votre cњur. Cependant а prйsent, je n'ai plus ce pouvoir. Un aveugle ne peut dйcider de mesures d'aucune nature, face aux pйnibles injonctions de sa propre vie, mais je sollicite votre explication sur la personne de l'esclave qui m'a фtй la vue а jamais !... Andrй de Gioras aussi йtait trиs abattu dans sa dйcrйpitude maladive. Йmu par l'attitude de ce pиre humiliй et malheureux qui faisait une rйtrospective sur ses actes criminels en ces heures suprкmes de sa vie, il rйpondit extrкmement touchй : Sйnateur Lentulus, l'heure de la mort est diffйrente de toutes les autres que le destin accorde а notre existence sur la face de ce monde... C'est pour cela, peut-кtre, que je sens ma haine maintenant transformйe en pitiй en mesurant votre souffrance amиre et rude. Depuis que j'ai йtй fait prisonnier, je suis poussй а rйflйchir aux erreurs de ma vie criminelle... J'ai travaillй au Temple et j'ai vйcu pour le culte de la Loi de Moпse, et ce n'est qu'aujourd'hui que je reconnais que Dieu concиde la libertй d'action а tous ses fils, principalement а ses prкtres, mais touche leur conscience au moment de la mort, lorsqu'il ne reste plus rien que la prйsentation d'une вme en faillite devant un tribunal auquel personne ne peut mentir ou qui ne peut кtre subornй !... Je sais que, face au chemin parcouru, il est trop tard pour rйagir et reformuler nos actes ; mais un sentiment nouveau me pousse а vous parler ici avec la sincйritй du cњur qui, incitй par le jugement divin, ne peut plus tromper personne. Il y a presque quarante ans de cela, votre austйritй orgueilleuse a dйcidй de l'emprisonnement de mon fils unique en l'envoyant impitoyablement aux galиres, et en vain j'ai implorй pour mon вme dйsemparйe votre clйmence d'homme public... Malgrй cela, des galиres, mon pauvre Saul a йtй envoyй а Rome oщ il fut vendu pour un prix dйrisoire sur un marchй d'esclaves au Sйnateur Flaminius Sйvйrus... A cet instant, l'aveugle, qui йcoutait attentivement, fortement йmu en identifiant dans ce rйcit le bourreau de sa fille, l'interrompit en demandant : Flaminius Sйvйrus ? Oui, comme vous, c'йtait un sйnateur de l'Empire. Profondйment bouleversй alors qu'il faisait le rapprochement entre les douloureux faits qui liaient sa famille а la personne de l'ancien affranchi, le sйnateur eut besoin de toutes ses йnergies morales pour se dominer et retint en son for intйrieur son amertume, tout en gardant le silence, tandis que le condamnй continuait : Toutefois, Saul fut chanceux... Il retrouva sa libertй et fit fortune, puis revint de temps en temps а Jйrusalem oщ avec le temps il m'aida а prospйrer. Mais, je dois vous rйvйler que, malgrй les textes de Loi que j'ai prкches tant de fois et qui nous demande de dйsirer а notre prochain ce que nous dйsirerions pour nous-mкmes, je n'ai pas croisй les bras face а votre conduite arbitraire criminelle, et J'ai jurй de me venger а n'importe quel prix. Pour cela, par une nuit tranquille, j'ai volй votre petit Marcus dans votre rйsidence de Capharnaыm avec la complicitй d'une de vos servantes que j'ai dы empoisonner plus tard pour qu'elle n'en vienne pas а rйvйler le secret et gкner mes Sinistres intentions quand votre anxiйtй paternelle institua, а Jйrusalem, le prix du grand sesterce offert а Celui qui dйcouvrirait l'endroit oщ se trouvait l'enfant... Vous vous souvenez certainement de la domestique Sкmйlй qui est brusquement dйcйdйe dans votre maison... Tandis qu'Andrй de Gioras s'attardait sur la triste confession qui touchait les fibres les plus intimes de son вme, dont chaque mot йtait une dague d'amertume а lui meurtrir le cњur, Publius Lentulus prenait tardivement connaissance de tous ses faits, se rappelant les angoissants martyres de sa compagne en tant qu'йpouse calomniйe et en mиre aimante. Impressionnй par son silence affligй, Andrй continua : En effet, sйnateur, obйissant а mes sentiments condamnables, j'ai enlevй votre petit garзon qui a grandi humiliй dans les plus rudes travaux du labour... j'ai annihilй son intelligence... j'ai facilitй son accиs aux vices les plus mйprisables pour le plaisir diabolique d'humilier un Romain ennemi, jusqu'а ce que je culmine dans ma vengeance lors de notre rencontre inattendue ! Mais maintenant, je suis face а la mort et je ne peux entrevoir notre situation que comme deux pиres malheureux... Je sais que je vais comparaоtre bientфt devant le tribunal des juges les plus intиgres et, si cela vous йtait possible, je dйsirerais que vous m'accordiez un peu de paix avec votre pardon ! Le vieux sйnateur de l'Empire n'aurait su expliquer ses profondes douleurs en йcoutant ces rйvйlations angoissantes et amиres. En entendant Andrй, il ressentait l'envie de le questionner sur son fils encore enfant, sur ses tendances, sur les aspirations de sa jeunesse; il aurait voulu connaоtre ses travaux, ses prйdilections, mais chaque mot de cette confession arriиre йtait un coup de poignard dans ses sentiments les plus chers. Telle une statue muette de malheur, il entendit а nouveau le prisonnier rйpйter, presque en larmes, l'arrachant а ses sombres divagations tourmentйes : Sйnateur - insistait-il, le suppliant tristement -, pardonnez-moi ! Je veux comprendre l'esprit de ma Loi, malgrй l'instant suprкme !... J'ai avouй mon crime, donnez-moi la force de comparaоtre devant la lumiиre de Dieu !... Publius entendait sa voix suppliante, tandis qu'une larme d'une indicible douleur coulait de ses yeux tristes et йteints. Pardonner ? Mais, comment ? N'йtait-ce pas lui, Publius, l'offensй et la victime d'une vie entiиre ? De singuliиres йmotions l'йbranlaient intйrieurement alors que des sanglots mouraient dans sa gorge oppressйe. Devant lui, se trouvait l'ennemi implacable qu'il avait cherchй en vain, pendant de longues annйes consйcutives de malheur. Mais dans son introspection, il savait reconnaоtre, йgalement, ses propres erreurs, se rappelant des excиs de sa sйvйritй vaniteuse. Lui aussi йtait lа comme un cadavre ambulant, entourй d'ombres йpaisses. A quoi bon les honneurs et l'orgueil effrйnй ? Tous ses espoirs de bonheur йtaient morts. Tous ses rкves anйantis. Seigneur d'une fortune considйrable, il ne vivrait plus au monde que pour porter le lourd poids de ses illusions brisйes. Et pourtant, au fond de lui, il se refusait а pardonner а l'heure extrкme. A cet instant, il se souvint de Jйsus et de sa doctrine d'amour et de misйricorde pour les ennemis. Le Maоtre de Nazareth avait pardonnй tous ses bourreaux et avait enseignй а ses disciples que l'homme doit pardonner soixante-dix fois sept fois. Il se souvint йgalement que pour Jйsus, son йpouse immaculйe йtait morte dans les horreurs du cirque infвme ; pour Jйsus, Flaminius йtait revenu du royaume des ombres pour l'inciter, un jour, au pardon et а la pitiй... Les bruits de l'extйrieur annonзaient que la derniиre heure d'Andrй йtait proche. Simon lui-mкme marchait dйjа vacillant et ensanglantй aprиs le fouet vers l'intйrieur de la prison pour la fin de son supplice. C'est alors que Publius Lentulus, abandonnant toutes ses traditions d'orgueil et de vanitй, sentit qu'au fond de son вme jaillissait une source d'eau cristalline. De copieuses larmes coulиrent des orbites sans expression de ses yeux morts sur ses joues ridйes et blкmes et, comme s'il dйsirait regarder son ennemi avec ses yeux spirituels afin de lui montrer sa commisйration, il dit d'une voix ferme : - Vous кtes pardonnй... Et il retourna immйdiatement dans la salle contiguл sans attendre une quelconque rйponse, sachant que la derniиre heure de son ennemi йtait venue. Quelques minutes plus tard, le cadavre d'Andrй de Gioras йtait traоnй aux Gйmonies pour кtre ensuite jetй au Tibre silencieux. Le sйnateur ne perзut plus rien du reste des nombreuses cйrйmonies au Temple de Jupiter. Le cortиge йtait а prйsent illuminй par la clartй de mille torches fixйes par les esclaves sur quarante йlйphants, conformйment aux ordres de Titus, а la tombйe des premiиres ombres de la nuit, mais le sйnateur, affligй par ses souffrances morales dans sa litiиre, retournait au palais de l'Aventin oщ il s'enferma dans ses appartements privйs, prйtextant une grande fatigue. Tвtonnant dans sa nuit, il baisa la croix de Simйon que la croyance de son йpouse lui avait laissйe, la mouillant des larmes de son malheur. Dans de profondes et pйnibles mйditations, il put alors comprendre que Livia avait vйcu pour Dieu et lui pour Cйsar, recevant tous deux des compensations diffйrentes sur la route de la destinйe. Et tandis que le joug de Jйsus йtait doux et lйger pour sa femme, son cњur hautain йtait prisonnier du terrible joug du monde, enseveli dans ses douleurs irrйmйdiables, sans clartй et sans espoirs. SOUVENIRS AMERS Juste aprиs les poignants йvйnements de l'an 70, conformйment aux souhaits de Flavia, le sйnateur s'installa dans la confortable rйsidence qu'il possйdait а Pompйi, loin du tumulte de la capitale. Lа, il pouvait mieux se livrer а ses mйditations. Le vieil homme politicien y fit donc transporter toutes ses volumineuses archives, ainsi que les souvenirs les plus tendres et les plus importants de sa vie. Deux affranchis grecs, extrкmement cultivйs, furent engagйs pour les travaux d'йcriture et de lecture et c'est ainsi que dans sa retraite, il se tenait au courant de toutes les nouveautйs politiques et littйraires de Rome. En ces temps reculйs, alors que l'homme йtait encore loin des prйcieux avantages apportйs par l'invention de Gutenberg, les manuscrits romains йtaient rares et trиs disputйs par les йlites intellectuelles de l'йpoque. Une maison d'йdition disposait, presque toujours, d'une centaine d'esclaves calligraphes intelligents qui confectionnaient plus ou moins un millier de livres par an. De plus, Publius avait а Rome des amitiйs sincиres et de nombreuses relations а son service, il recevait ainsi а Pompйi tous les йchos des йvйnements de la citй qui avaient absorbй les meilleures йnergies de sa vie. Frйquemment, il recevait aussi des nouvelles de Pline Sйvйrus par l'intermйdiaire d'amis dйvouйs. Il se rйjouissait de sa conduite, а prйsent digne, d'autant que pour ses mйrites conquis en Gaules, il avait йtй transfйrй а Rome, aprиs l'an 73, oщ en vertu de son bon comportement, bien que tardivement, il avait acquis un poste respectable et brillant, poursuivant les traditions de la probitй paternelle aux fonctions administratives de l'Empire. Toutefois, Pline ne retourna pas voir sa femme, ni celui que le destin l'astreignait а considйrer comme un pиre dйvouй et affectueux, bien qu'il n'ignorвt pas la grande infortune de sa famille. Au fond, l'ancien officier romain ne rejetait pas l'idйe de revenir auprиs de ses кtres chers ; cependant, il dйsirait le faire dans des circonstances qui dissiperaient tous les doutes quant au considйrable effort de sa rйgйnйration. En accйdant а des postes de confiance dans l'administration des Flaviens, il voulait atteindre une position aux plus hautes prйrogatives morales afin d'apporter а ses proches la certitude de sa rйhabilitation spirituelle. Dans le calme des beaux paysages de Campanie, l'an 78 se dйroulait tranquillement. Et si Tibur йtait une station de cure et de repos rйgйnйrateur pour les Romains les plus riches, Pompйi йtait bien la ville des Romains les plus sains et les plus heureux. Sur ses voies publiques, а chaque pas, on pouvait contempler les marbres magnifiques et le bon goыt des plus belles constructions de la capitale aristocratique de l'Empire. Dans ses temples somptueux, se rйunissaient de brillantes assemblйes de patriciens йduquйs et cultivйs qui s'installaient dans la belle citй peuplйe de chanteurs et de poиtes au pied du Vйsuve et illuminйe par un ciel merveilleux, plein d'un soleil rayonnant ou brodй d'йtoiles scintillantes. А prйsent, Publius Lentulus apprйciait beaucoup la parole simple et convaincante d'Anne qui vieillissait aux cфtйs de Flavia, telle une belle figure d'ivoire ancien. Il fallait voir son attention, son йmotion et sa joie а l'entendre parler de l'excellence des principes chrйtiens quand ils йvoquaient les souvenirs de la Judйe lointaine. Lors de ces aimables conversations entre eux trois, peu aprиs le dоner, ils parlaient de la personnalitй du Christ et des sublimes enseignements de sa doctrine qui par la force des circonstances amenaient le sйnateur а mйditer plus longuement sur les postulats grandioses de l'Йvangile, encore fragmentaires et presque inconnus, pour rapprocher les principes gйnйreux et sacrйs du christianisme а la personnalitй de son divin fondateur. Pendant de longues heures, ils s'attardaient sur la vaste terrasse sous la douce lumiиre des йtoiles jouissant des brises caressantes de la nuit qui йtaient comme des bouffйes d'inspirations cйlestes pour ces trois crйatures marquйes par les expйriences des annйes. Parfois, Flavia jouait quelques notes qui s'йchappaient de sa harpe comme un gйmissement vibrant de douleur et de nostalgie qui touchait le cњur de son pиre plongй dans l'abоme des rйminiscences douloureuses. Il se trouve que la musique des aveugles est toujours plus spiritualisйe et plus pure car dans son art, l'вme parle en profondeur, sans les йmotions йparses des sens physiques. Un soir, obйissant а une habitude qu'ils avaient depuis plusieurs annйes, ils se trouvaient tous trois assis sur la spacieuse terrasse de la villa de Pompйi а йvoquer de doux souvenirs. Depuis plus de sept ans presque tous leurs entretiens tournaient autour de la personnalitй du Messie et de la sublime puretй de sa doctrine, mais ils observaient la plus grande discrйtion car les adeptes du christianisme ne cessaient d'кtre persйcutйs, bien qu'avec moins de cruautй. C'йtait invariablement а chaque fois, une conversation d'infirmes et de vieillards qui ne suscitait pas l'intйrкt de leurs amis les plus jeunes et les mieux nantis. Aprиs quelques souvenirs et commentaires йmis par Anne, concernant l'angoissant aprиs-midi du Calvaire, le sйnateur s'exclama sur un ton convaincu : J'ai au fond de moi la certitude que Jйsus restera toujours au monde le symbole le plus йlevй de consolation et de force morale pour tous les souffrants et tous les affligйs !... Depuis les premiers jours de ma cйcitй physique, je cherche au fond de moi а comprendre sa grandeur et je n'arrive pas а apprйhender toute l'extension de son excellence et de ses enseignements. Je me rappelle, comme si c'йtait hier, du beau crйpuscule oщ je l'ai vu pour la premiиre fois, au bord du lac Tibйriade... Moi aussi - murmura Anne - je ne parviens pas а oublier ces aprиs-midi dйlicieux et clairs oщ tous les serviteurs et souffrants de Capharnaыm se rassemblaient au bord du grand lac en attendant le doux ravissement de ses paroles. Pensive, comme dans un songe elle voyait dйfiler ses souvenirs les plus chers et continua : Le Maоtre apprйciait la compagnie de Simon et des fils de Zйbйdйe et, c'йtait presque toujours dans une de leurs barques qu'il arrivait, empressй de rйpondre а nos sollicitations... Ce qui me surprend le plus - dit Publius Lentulus, impressionnй - c'est que Jйsus n'йtait pas, que l'on sache, un docteur de la Sa parole compatissante et aimante a semй des enseignements que je ne peux comprendre qu'aujourd'hui dans l'ombre йpaisse et triste de mes souffrances... Mon pиre - demanda Flavia Lentulia, extrкmement intйressйe par la conversation -, avez-vous vu le prophиte de nombreuses fois ?... Non, ma fille. Avant le jour sinistre de son infвme dйcиs sur la croix, je ne le vis qu'une fois, а l'йpoque tu йtais petite et malade. Cela suffit, nйanmoins, pour que je reзoive dans ses paroles sublimes les lumineuses leзons de toute une vie. Et ce n'est qu'а prйsent que j'apprйhende ses exhortations amicales et que je comprends que mon existence a bien йtй une opportunitй perdue !... D'ailleurs, dйjа en ce temps-lа, а la minute de notre rencontre, sa profonde parole me disait que j'йtais face а la merveilleuse occasion de toute mon existence, et sans qu'il me soit possible d'apprйhender le sens symbolique de ses paroles, il ajouta dans son extraordinaire bienveillance que je pouvais en profiter а cette йpoque ou d'ici des millйnaires... Toutes les concessions de Jйsus s'йtayaient dans la vйritй sanctifiйe et consolatrice - ajouta Anne, jouissant maintenant de toute l'intimitй avec ses maоtres. Oui - rйpondit Publius Lentulus, concentrй dans ses souvenirs -, mes rйflexions m'autorisent а le croire aussi. Si j'avais profitй de l'exhortation de Jйsus, ce jour-lа, peut-кtre me serais-je dйchargй de plus de la moitiй des йpreuves arriйres que la terre me rйservait... Si j'avais cherchй а comprendre ses leзons d'amour et d'humilitй, je serais personnellement allй voir Andrй de Gioras pour rйparer le mal que je lui avais fait en ordonnant l'emprisonnement de son fils ignorant, je lui aurais ainsi dйmontrй mon intйrкt personnel, sans m'en remettre uniquement aux fonctionnaires irresponsables qui se trouvaient а mon service... Ainsi guidй, j'aurais facilement retrouvй Saul car Flaminius Sйvйrus qui, а Rome, aurait йtй le confident de mes dйsirs de rйparation, m'aurait alors йvitй la pйnible tragйdie de ma vie de pиre. Si j'avais vraiment compris toute sa charitй manifestйe а l'occasion de la guйrison de ma fille, j'aurais mieux apprйciй le trйsor spirituel du cњur de LMa, j'aurais vibrй avec son esprit dans la mкme foi ou je serais tombй а ses cфtйs dans l'arиne ignominieuse du cirque, ce qui aurait йtй doux, en comparaison aux lentes agonies de mon destin ; j'aurais йtй moins vaniteux et plus humain si j'avais convenablement compris sa leзon de fraternitй... Mon pиre - lui dit sa fille pour consoler les aigreurs de son cњur -, si Jйsus est la sagesse et la vйritй, il saura de toute faзon comprendre les raisons de votre attitude, sachant que vous avez йtй forcй par les circonstances а respecter tel ou tel principe dans votre vie. Ma fille, ces derniиres annйes - rйpondit Publius posйment - j'ai le pressentiment d'кtre arrivй aux dйductions les plus dйterminantes concernant les problиmes de la douleur et de la destinйe... De par mon expйrience, je crois а prйsent que les pйnibles activitйs du monde m'ont surtout appris que nous contribuons а aggraver ou а attйnuer dans les tвches de cette vie les rigueurs de notre йtat spirituel. En admettant, maintenant, l'existence d'un Dieu Tout-puissant, source de toute misйricorde et de tout amour, je crois que sa Loi est celle du bien suprкme pour toutes les crйatures. Ce code de solidaritй et d'amour doit rйgir tous les кtres et selon ses prйceptes divins, toutes les вmes sont prйdestinйes au bonheur conformйment aux desseins du ciel. Chaque fois que nous tombons le long du chemin, en favorisant le mal ou en le pratiquant, nous effectuons une intervention indue pour la Loi de Dieu du fait de notre libertй relative, contractant ainsi une dette avec tout le poids de ses consйquences... Sans me rйfйrer а mes actes personnels qui ont aggravй mes angoissantes douleurs, et considйrant Jйsus comme mйdiateur parmi nous et Celui que ses profondes paroles appelait Notre Pиre, je me demande aujourd'hui si je n'ai pas commis une erreur en forзant sa misйricorde avec ma supplique paternelle pour que tu restes а vivre en ce monde dans l'amour de notre famille quand tu йtais petite !... Flavia Lentulia et Anne qui suivaient les rйflexions du sйnateur depuis plusieurs annйes, йcoutaient ses conclusions morales, profondйment surprises, vu la facilitй qu'il avait а rapprocher les leзons laborieuses de sa destinйe aux principes prкches par le prophиte nazarйen. En vйritй, mon pиre - dit Flavia Lentulia aprиs une longue pause -, si l'on considиre les tristes douleurs qui m'attendaient sur la route scabreuse de ma malheureuse destinйe, j'ai l'impression que les forces divines avaient dйcidй de m'arracher au monde... Oui - ajouta le sйnateur, en lui coupant la parole -, c'est une chance que tu me comprennes. La vie et la souffrance nous enseignent а mieux comprendre les desseins d'ordre divin. Les initiйs des religions mystйrieuses de l'Egypte et de l'Inde croient que nous revenons а plusieurs reprises sur terre, dans d'autres corps !... A cet instant, le vieux patricien fit une pause. Il se souvint de ses rкves du passй alors qu'il portait l'habit de Consul а l'йpoque de Catilina, il infligeait а ses ennemis politiques le supplice de la cйcitй au fer incandescent lorsqu'il s'appelait Publius Lentulus Sura. Surgit alors а son esprit un avalanche de consйquences nouvelles et sublimes comme des inspirations rйnovatrices de la sagesse divine. Mais, aprиs quelques instants, comme si l'horloge de l'imagination s'йtait arrкtйe quelques minutes pour que son cњur pыt йcouter le flot des souvenirs dans le dйsert de son monde subjectif, il murmura rйconfortй, bien que tardivement en possession du tracй de son amиre destinйe : Vois-tu ma fille, je crois а prйsent que si les sages йnergies du ciel avaient dйcidй de ton dйcиs dans ton enfance - rйsolution que j'ai peut-кtre contrariйe par ma supplique angoissante de pиre, dйcouverte en silence par le Messie de Nazareth au plus profond de mon cњur orgueilleux et malheureux - ce devait кtre pour te libйrer de la prison oщ tu te trouvais, de sorte а mieux te prйparer а la rйsignation, а la force et aux souffrances, tu serais certainement nйe plus tard dans les mкmes circonstances et tu aurais trouvй les mкmes ennemis, mais ton organisme aurait йtй plus fort pour rйsister aux pйnibles heurts de l'existence terrestre. Nous reconnaissons donc aujourd'hui qu'il y a une loi souveraine et misйricordieuse а laquelle nous devons obйir, sans interfйrer sur son mйcanisme fait de misйricorde et de sagesse... Quant а moi, qui ai eu un organisme rйsistant et la fibre spirituelle saturйe d'йnergie, je sens que, dans d'autres vies, j'ai mal agi et j'ai commis des crimes abominables. Mon existence actuelle devait кtre un immense rosaire d'amertumes infinies, mais je vois tardivement que si j'avais parcouru le chemin du bien, j'aurais rachetй quantitй de pйchйs de mon passй obscur et dйlictueux. Maintenant, je comprends la leзon du Christ en tant qu'enseignement immortel d'humilitй et d'amour, de charitй et de pardon - des chemins garantis pour toutes les conquкtes de l'esprit, loin des cercles tйnйbreux de la souffrance ! Et se souvenant de son rкve racontй а Flaminius dans le passй, il finit par conclure : L'expiation ne serait pas nйcessaire au monde pour perfectionner l'вme si nous comprenions le bien en le pratiquant par des actes, des paroles et des pensйes. S'il est vrai que je suis nй condamnй au supplice de la cйcitй dans des circonstances aussi tragiques, peut-кtre aurais-Je йvitй la consommation de cette йpreuve si j'avais abandonnй mon orgueil pour devenir un homme humble et bon. Un geste de gйnйrositй de ma part aurait modifiй les dispositions d'Andrй de Gioras ; mais la rйalitй est que, malgrй toutes les prйcieuses suggestions des cieux, j'ai continuй dans mon йgoпsme, ma vanitй et mon impйnitence criminelle. J'ai aggravй de cette maniиre mes dйbits fracassants face а la justice divine, et je ne peux pas espйrer la magnanimitй des juges qui m'attendent... Le vieux Publius Lentulus avait une larme pleine de douleur au coin de ses yeux йteints. Anne йcoutait anxieusement ses propos et suivait ses idйes, tout en se rйjouissant intimement de constater que l'orgueilleux seigneur йtait arrivй aux plus justes conclusions d'ordre йvangйlique, consйquences qu'elle avait aussi apprйhendйes dans les mйditations de sa vieillesse. Elle lui dit alors avec bontй comme si ses affirmations simples et incisives arrivaient au bon moment pour la consolation de tous : Sйnateur - tous vos commentaires sont sensйs et justes. J'accepte complиtement cette loi des vies multiples pour notre apprentissage dans les luttes laborieuses du monde. En effet dans ses leзons divines, Jйsus assure que personne ne pourra pйnйtrer dans le royaume des cieux sans renaоtre а nouveau. Nйanmoins, malgrй votre cйcitй physique et vos souffrances que je peux comprendre dans toute leur angoissante intensitй, je prйsume que vous devez avoir l'вme pleine d'espoirs en l'avenir spirituel car le Christ nous a aussi assurй que Notre Pиre ne veut perdre aucune de ses brebis !... Publius Lentulus sentit qu'une force inexplicable jaillissait du fond de son вme comme une source abondante et inconnue d'un йtrange rйconfort, le prйparant а affronter dignement toutes les amertumes. Oui - murmura-t-il doucement -, toujours Jйsus !... Toujours Jйsus !... Sans lui et sans les enseignements de ses paroles qui nous remplissent de courage et de foi pour atteindre un royaume de paix pour l'avenir de l'вme, je ne sais pas bien ce qu'il adviendrait des crйatures humaines enchaоnйes dans le cachot des souffrances terrestres... Sept ans de tourments infinis dans la solitude de mes yeux morts, me paraissent sept siиcles d'apprentissage cruel et douloureux ! Mais il n'y avait qu'ainsi que je pouvais parvenir а comprendre la leзon du Crucifiй ! En prononзant le mot « crucifiй », la pensйe du vieux patricien fut renvoyйe а Jйrusalem, а la Pвques de l'an 33. Il se souvint qu'il avait eu en main le procиs de l'Йmissaire divin et ce n'йtait qu'а prйsent qu'il rйflйchissait а l'йnorme responsabilitй oщ il s'йtait trouvй impliquй en ce jour inoubliable et terrible, s'exclamant aprиs une longue pause : Et quand on pense que pour un esprit comme celui-lа, il n'y eut pas le moindre geste dйcisif de dйfense de notre part а l'angoissant moment de la croix infamante... Pour moi qui а prйsent ne vis que de mes souvenirs amers, il me semble le voir encore devant mes yeux portant les tristes stigmates de la flagellation !... En lui, se concentrait tout l'amour suprкme du ciel pour la rйdemption des misиres de la terre et, pourtant, je ne vis personne њuvrer pour sa libertй ou agir efficacement en sa faveur !... Sauf quelqu'un... - lui fit Anne d'un seul coup. Qui donc a eu ce geste noble ? - demanda le vieil aveugle, admiratif. - Je n'ai pas eu connaissance d'un tel fait. C'est parce que vous ignorez, aujourd'hui encore, que votre digne compagne et mon inoubliable bienfaitrice, rйpondant а nos priиres, s'est immйdiatement adressйe а Ponce Pilate, dиs que le triste cortиge fut sorti de la cour provinciale romaine pour intercйder en faveur du Messie de Nazareth injustement condamnй par la foule furieuse. Une fois reзue par le gouverneur dans son cabinet privй, ce fut en vain que la noble dame a implorй sa compassion et sa pitiй pour le divin Maоtre. Alors Livia en est arrivйe а s'adresser а Pilate pour le supplier d'aider Jйsus ? - demanda le sйnateur intйressй et perplexe, se souvenant de l'angoissant aprиs-midi de sa vie et se rappelant les calomnies de Fulvia concernant sa femme. Oui - rйpondit la servante -, pour Jйsus, son cњur magnanime mйprisa toutes les conventions et tous les prйjugйs, n'hйsitant pas а rйpondre а nos suppliques, faisant tout pour sauver le Messie de la mort infamante !... Publius Lentulus eut alors beaucoup de difficultй а exprimer ses pensйes, car sa gorge йtait nouйe d'йmotion et ses yeux morts йtaient baignйs de larmes, vu ses amers souvenirs... Anne, qui se souvenait de tous les dйtails de cette douloureuse journйe, relata ses йmotions passйes, tandis que le sйnateur et sa fille йcoutaient ses paroles, saisis de larmes sur le chemin de la douleur, de la gratitude et de la mйlancolie. Et ce fut ainsi qu'а la fin de chaque jour, sous le ciel brillant et parfumй de Pompйi, les trois вmes se prйparaient aux rйalitйs consolatrices de la mort dans les clartйs douces et tristes des leзons amиres du destin sur le sillage des souvenirs affectueux. LES DERNIERS JOURS DE POMPEI Par une radieuse matinйe de l'an 79, tout Pompйi fut йveillйe par des rumeurs de fкte. La ville recevait la visite d'un illustre questeur de l'empire et en ce jour toutes les rues йtaient prises d'une bruyante ferveur en attendant, quelques heures plus tard, les fкtes prodigieuses de l'amphithйвtre oщ, а la joie gйnйrale, l'administration de la ville avait souhaitй cйlйbrer cet йvйnement. Pour le vieux sйnateur Publius Lentulus, cet йvйnement avait une importance particuliиre car l'hфte distinguй de Pompйi lui apportait des messages notoires, ainsi que les illustres dйfйrences de Titus Flavius Vespasien, alors empereur, puisqu'il avait succйdй а son pиre. De plus, dans le cortиge de l'illustre magistrat, il y avait йgalement Pline Sйvйrus dans la plйnitude de la maturitй, totalement rйgйnйrй et se jugeant а prйsent rйdimй aux yeux de son йpouse et de celui que son cњur considйrait comme un pиre. Ce jour-lа, dans le cadre de ses activitйs domestiques, Anne donnait des ordres aux esclaves et aux nombreux serviteurs afin de prйparer la rйception, pendant que Publius et sa fille s'йtreignaient йmus en raison de la surprise que le destin leur avait rйservйe, bien que tardivement. Avertis par des messagers de l'escorte des illustres patriciens, ils laissaient libre cours а leurs йmotions les plus reconnaissantes dans la douce expectative d'accueillir le fils prodigue, йloignй durant tant d'annйes de leurs bras affectueux. Avant midi, quantitй de vйhicules, de chevaux richement harnachйs et de joyaux йtincelants sur de brillants accoutrements, s'arrкtиrent aux portes de la villa paisible et gracieuse, suscitant l'admiration et l'intйrкt des curieux du voisinage. Puis ce fut un tourbillon d'accolades, d'йchanges affectueux et de paroles rйconfortantes et gйnйreuses. Presque tous les patriciens, en excursion а travers la Campanie, connaissaient le sйnateur et sa famille, cet йvйnement йtait donc la douce rencontre de cњurs fraternels. Publius Lentulus йtreignit longuement Pline comme il l'eut fait а un fils bien-aimй qui revenait de loin et dont l'absence avait йtй excessivement prolongйe. Il ressentait au fond des йlans de tendresse que son cњur dominait pour ne pas provoquer l'йtonnement injustifiй de l'assistance. Mon pиre, mon pиre ! - dit le fils de Flaminius sur un ton discret et presque imperceptible а ses oreilles alors qu'il baisa sa tкte blanchie par les annйes - m'avez-vous dйjа pardonnй ? Ф mon fils, comme tu as tardй ?!... Je te veux comme toujours et que le ciel te bйnisse !... - rйpondit le vieil aveugle, йmu. Quelques instants plus tard, aprиs la douce rencontre de Pline et de sa femme, et une fois que le silence gйnйral fut fait, le questeur s'exclama : Sйnateur, j'ai l'honneur de vous apporter un prйcieux souvenir de Cйsar, accompagnй d'un message de reconnaissance de la haute administration politique de l'Empire qui est l'une des raisons les plus importantes et les plus justes de mon sйjour а Pompйi, et je charge notre ami Pline Sйvйrus de vous remettre, а prйsent, ces reliques qui reprйsentent un des hommages les plus significatifs de l'Empire а l'effort d'un de ses plus dйvouйs serviteurs !... Publius Lentulus ressentit toute l'йmotion d'une telle heure. L'hommage de l'empereur, l'affectueuse prйsence de ses amis, le retour de son gendre а ses bras paternels, inondaient son cњur d'une joie grisante. Cependant ses yeux ne pouvaient rien voir. Du plus profond de sa nuit, il entendait ces appels gйnйreux comme un exilй de la lumiиre dont les souvenirs les plus chers et les plus doux йtaient exhumйs. Amis - dit-il, en sйchant une larme furtive dans ses yeux йteints -, tout cela est pour moi la plus grande rйcompense d'une vie entiиre. Notre empereur est extrкmement gйnйreux car en vйritй je n'ai rien fait pour mйriter la reconnaissance de la patrie. Et mon вme exulte avec vous, mes chers compatriotes, car notre rйunion dans cette maison est un symbole d'union et de travail aux tвches йlevйes de l'Empire !... A cet instant, nйanmoins, quelqu'un prit ses mains ridйes, les porta а ses lиvres humides et laissa dans les ridules de sa peau, deux larmes ardentes. D'un geste spontanй, Pline Sйvйrus s'йtait agenouillй et lui baisait les mains, laissant libre cours а son affection et а sa reconnaissance, en mкme temps qu'il lui remettait le message impйrial que le vieux sйnateur ne pouvait plus lire. Publius Lentulus pleurait, sans pouvoir prononcer un seul mot, si forte йtait l'йmotion qui l'opprimait intйrieurement tandis que l'assistance observait ses rйactions, les yeux pleins de larmes. Dans cet intervalle, le fils de Flaminius ne put plus se contenir et confirmant sa rйgйnйration spirituelle, il s'exclama attendri : Mon cher pиre, ne pleurez pas, car nous sommes tous ici pour partager votre joie ! Devant tous nos amis romains et avec les hommages de l'Empire, je vous livre mon cњur а jamais rйgйnйrй !... Si vous кtes aveugle а prйsent, mon pиre, vous ne l'кtes pas en esprit car vous avez toujours cherchй а dissiper les ombres et йcarter les йcueils de notre chemin !... Vous ne cesserez de guider mes pas, ou mieux, nos pas avec vos anciennes traditions de sincйritй et d'effort dans l'йquitй de vos actes !... Vous reviendrez avec moi а Rome et auprиs de votre fils rйhabilitй, vous dirigerez а nouveau le palais de l'Aventin... Je serai, alors pour toujours, une sentinelle de votre esprit pour vous aimer et vous protйger !... Je prendrai mon йpouse а mon entiиre charge et, jour aprиs jour, je tisserai pour nous trois avec les miracles de mon йternelle affection, une aurйole de bonheurs nouveaux et infinis ! Dans notre maison de l'Aventin fleurira une joie nouvelle, car je pourvoirai toutes vos heures de l'amour grand et sanctifiй de celui qui, connaissant toutes les dures expйriences de la vie, sait а prйsent valoriser ses propres trйsors !... Voыtй par les annйes et par les plus rudes souffrances, le vieux sйnateur restait debout а caresser les cheveux de son gendre, йgalement argentйs par les hivers de la vie, tandis que de lourdes larmes rompaient l'enceinte de sa nuit pour attendrir le cњur de tous ceux qui йtaient prйsents dans une йmotion angoissante et infinie. Flavia Lentulia pleurait aussi, dominйe par de profondes sensations de bonheur au terme d'espйrances si longues et si dйcourageantes !... Quelques amis auraient souhaitй briser la solennitй de ce tableau imprйvu, mais le questeur lui-mкme, qui commandait la caravane de patriciens illustres, s'йtait cachй dans un coin, йmu jusqu'aux larmes. Toutefois, comprenant que lui seul pouvait modifier les dispositions de ce touchant tableau, Publius Lentulus rйagit aux йmotions et dit : Lиve-toi, mon fils !... Je n'ai rien fait pour que tu me remercies а genoux... Pourquoi me parles-tu ainsi ?... Oui, dans quelques jours nous reprendrons la route de Rome car tous tes dйsirs sont les nфtres... nous retournerons а notre maison de l'Aventin oщ, ensemble, nous vivrons pour йvoquer le passй et vйnйrer la mйmoire de nos ancкtres ! Et aprиs une pause, il continua sur un ton presque optimiste : Mes amis, je suis йmu et reconnaissant de la gentillesse et de l'affection que vous me tйmoignez ! Mais, voyons ? Vous кtes tous silencieux ? Souvenez-vous que je ne vous vois qu'au travers des mots. Et la fкte d'aujourd'hui ?... Les propos du sйnateur rompirent le silence gйnйral et les bruits intenses du dйbut revinrent. Le courant des conversations se mariait au tintement des lourdes coupes de vin de l'йpoque. Pendant que les visiteurs se rйunissaient dans le spacieux triclinium pour de lйgиres libations, Pline Sйvйrus et sa femme йchangeaient de tendres confidences sur les projets en perspective pour les annйes qui leur restaient encore а vivre ou йvoquaient les souvenirs des jours lents et amers du lointain passй. D'insistants appels requйraient la prйsence du magistrat et de son entourage sur les lieux des festivitйs. Le cirque avait dыment йtй prйparй et ils n'avaient pas lйsinй sur les moyens pour rйaliser cet йvйnement dans les moindres dйtails propres aux grandes fкtes romaines. Pendant que tout le monde prenait congй du sйnateur et de sa fille dans une profusion de joie mondaine, aprиs avoir tendrement embrassй sa compagne, Pline Sйvйrus s'adressa а Publius en ces termes : Mon pиre, en raison des circonstances, je dois accompagner le questeur aux festivitйs populaires, mais je serai de retour dans quelques heures et je resterai auprиs de vous pendant un mois afin de prйparer notre dйpart pour Rome. Trиs bien, mon fils - lui rйpondit le sйnateur plus serein -, accompagne nos amis et reprйsente-moi auprиs des autoritйs. Transmets а tout le monde mon йmotion et mes sincиres remerciements. A nouveau seul, le sйnateur eut la sensation que ces douces et joyeuses йmotions йtaient peut-кtre les derniиres de sa vie. Dans sa vieille poitrine, son cњur battait fortement, comme si un lourd nuage de sombres pensйes l'enveloppait. Oui, le retour de Pline а ses bras paternels йtait la joie suprкme de sa dйsolante vieillesse. Il savait maintenant que sa fille pourrait compter sur son йpoux sur la route de sa destinйe tourmentйe et qu'а lui, Publius, il ne lui restait plus qu'а attendre la mort avec rйsignation. En rйflйchissant aux paroles affectueuses du fils de Flaminius et se remйmorant le lointain passй, Publius Lentulus se dit qu'il йtait trop tard pour regagner l'Aventin et que son retour а Rome devait uniquement signifier pour son esprit rйprouvй le symbole de sa sйpulture. En plein spectacle, Pline Sйvйrus, dйjа а l'automne de sa vie, faisait des projets d'avenir. Il chercherait а racheter toutes ses fautes du passй envers ses chers et tendres parents ; il assumerait la direction de toutes les affaires du vieux pиre de son cњur en le dйchargeant de toutes les angoissantes prйoccupations de la vie matйrielle. De temps en temps, les applaudissements de la foule interrompaient ses pensйes. La majeure partie de la population de Pompйi йtait lа en grande fкte, ovationnant les triomphateurs. Des gens de tous les alentours et plus particuliиrement d'Herculanum йtaient accourus, empressйs d'assister au divertissement favori de ces temps reculйs. Des musiciens, des chanteurs et des danseurs se trouvaient parmi les athlиtes et les gladiateurs. Tout n'йtait que bruissement de soie dans un dйlicieux tintamarre de joies retentissantes au son des flыtes et des luths. Toutefois, а un moment donnй, l'attention gйnйrale fut attirйe par un fait йtrange et incomprйhensible. Du sommet du Vйsuve s'йleva une йpaisse pyramide de fumйe, sans que personne ne comprenne la cause de ce phйnomиne insolite. Nйanmoins, les jeux se poursuivirent avec animation. Mais bientфt, au centre de la colonne fumante qui s'йlevait en de capricieuses spirales ascendantes, surgirent des flammes impressionnantes... Comme tous ceux qui йtaient prйsents, Pline Sйvйrus fut surpris par ce phйnomиne йtrange et inexplicable. En quelques minutes, la confusion et la terreur s'installиrent dans l'amphithйвtre. Au beau milieu de ce soudain affolement gйnйral, le fils de Flaminius qui eut encore le temps de s'approcher du questeur, alors entourй de ses parents qui rйsidaient en ville, lui dit feignant l'optimisme, rйussissant а peine а dissimuler ses profondes inquiйtudes : Mon ami, gardons notre calme ! Par la barbe de Jupiter !... Eh bien, oщ sont notre courage et notre fibre ? Mais quelques instants plus tard, des vibrations sourdes et inconnues faisaient trembler la terre sous leurs pieds. Quelques colonnes tombиrent lourdement sur le sol tandis que de nombreuses statues roulaient de leurs niches improvisйes recouvertes d'or et de pierreries. Etreignant alors sa fille et entourй de nombreuses dames, le magistrat fit extrкmement inquiet: - Pline, rejoignons les galиres, sans plus attendre !... Mais, l'officier romain n'entendit plus ses appels. Pris d'anxiйtй, il cйda а l'impulsion de fendre la cohue qui cherchait а fuir en niasse le cirque piйtinant les enfants et les personnes вgйes. Au terme d'un effort surhumain, il parvint а atteindre la rue mais de toutes parts les gens йtaient pris de panique et fuyaient leur maison en criant « au feu, au feu!... le Vйsuve... ». Pline remarqua que toutes les voies publiques йtaient pleines de gens dйsespйrйs, de vйhicules et d'animaux terrifiйs. Avec beaucoup de difficultйs, il surmonta tous les obstacles mais le Vйsuve crachait а prйsent vers le ciel, un brasier indescriptible et immense comme si la terre avait incendiй ses entrailles les plus profondes. Une pluie de cendres, presque imperceptible au dйbut, se mit а tomber, tandis que le sol continuait а trembler avec des bruits sourds, effrayants. De temps а autre, on entendait le grondement terrifiant de colonnes qui s'effondraient ou d'йdifices qui s'йcroulaient sous les secousses sismiques, en mкme temps que la fumйe du volcan йclipsait petit а petit la rйconfortante clartй solaire. Plongйe dans une pйnombre йpaisse et pris d'une indicible terreur, Pompйi assistait а ses derniers instants dans une affliction dйsespйrйe (18)... A la villa des Lentulus, les esclaves comprirent immйdiatement le danger qui approchait. Dans les premiers instants, les chevaux s'йtaient mis а hennir йtrangement et les oiseaux effrayйs fuyaient dйsespйrйment. Aprиs la chute des premiиres colonnes qui soutenaient l'йdifice, tous les serviteurs du sйnateur abandonnиrent prйcipitamment leur poste, dйsireux de sauver leur vie. Seule Anne resta auprиs de ses maоtres, les informant des horreurs environnantes. Tous trois, pris d'une inquiйtude bien justifiйe, йcoutaient la rumeur horrible de l'inoubliable catastrophe de l'Empire. La villa йtait dйjа а moitiй dйtruite, les cendres pйnйtraient par les mansardes ouvertes par la chute des toitures et commenзaient leur њuvre de lente suffocation. Tous attendaient anxieusement le retour immйdiat de Pline afin de dйcider des mesures а prendre, mais le vieux sйnateur dont le cњur ne se laissait pas abuser par ses amers pressentiments s'exclama sur un ton presque rйsignй : Anne, apporte la croix de Simйon et faisons la priиre qui t'a йtй enseignйe par les disciples du Messie !... Mon cњur me dit que la fin de notre pйriple sur terre est arrivйe ! Tandis que la servante empressйe allait chercher la relique du vieillard de Samarie, affrontant le danger des murs qui oscillaient, Publius Lentulus entendait le bruit sourd de la terre qui tremblait et les cris effrayants et sinistres du peuple, mкlйs aux explosions terribles du volcan qui, transformй en une immense fournaise indescriptible, remplissait toute la citй de cendres et de lave bouillante. Le sйnateur se souvint alors des affirmations du Christ en ces jours passйs de la Galilйe, lorsqu'il lui avait assurй que toute la grandeur romaine йtait bien peu de chose et qu'en une minute l'Empire pouvait кtre rйduit а une poignйe de poussiиre. Son cњur battait dйsespйrйment а cette heure extrкme. Mais la vieille servante йtait dйjа revenue et s'йtait agenouillйe, sereine, portant dans ses mains le souvenir de Simйon et de Livia tout en priant d'une voix йmouvante et profonde : « Nфtre Pиre, qui кtes aux deux... Que Votre nom soit sanctifiй... Que Votre rиgne arrive... Que Votre volontй soit faite... Sur la terre comme au ciel... » Mais а cet instant, la voix de la servante se tut brusquement tandis que son corps roulait sous de nouveaux dйcombres. Elle se sentit spirituellement soutenue par le vйnйrable samaritain qui l'a conduisit, immйdiatement, vers les sphиres spirituelles les plus йlevйes, telle йtait la nature de son cњur illuminй par les douleurs et les tйmoignages les plus angoissants de l'apprentissage terrestre. Anne !... Anne !... - s'exclamиrent Publius et Flavia, en larmes, sentant tous deux pour la premiиre fois le malheur de l'isolement suprкme sans lumiиre et sans guide, dans un complet abandon ! Nйanmoins, quelqu'un rйussit а vaincre les dйcombres et arriva rapidement jusqu'а la chambre oщ ils se trouvaient et, йtreignant Publius et sa fille, il cria d'une voix oppressйe : - « Flavia ! Mon pиre ! Je suis lа... » Pline arrivait enfin au dernier moment. Flavia Lentulia le serra affectueusement dans ses bras, tandis que le vieux sйnateur а moitiй asphyxiй prenait les mains de son fils et qu'ils s'embrassaient tous les trois dans une ultime йtreinte. Flavia et Pline voulurent parler, mais une йpaisse couche de cendres pйnйtrait l'intйrieur par les йnormes fissures de la villa а moitiй dйtruite... Puis le sol trembla а nouveau et les colonnes qui йtaient encore debout s'abattirent sur eux trois, leur dйrobant leurs derniиres йnergies et les faisant tomber ainsi enlacйs pour toujours sous un tas de dйcombres... Mais dans les йpaisses tйnиbres planaient des crйatures ailйes et lйgиres en priиre ou rйconfortant activement le cњur abattu des misйrables condamnйs а la destruction. Sur les trois corps ensevelis veillait l'entitй radieuse de Livia auprиs de nombreux compagnons qui coopйraient avec dйvouement et prйcision aux services de dйtachement total des moribonds. Posant ses mains lumineuses et pures sur le front abattu de son compagnon йpuisй et agonisant, Livia leva ses yeux au firmament obscurci et pria avec la douceur de sa foi et de ses prйcieux sentiments. Jйsus, tendre et divin Maоtre - cette heure angoissante est bien le symbole de nos erreurs et de nos crimes а travers les tйnйbreux avatars ; niais vous, Seigneur, vous кtes tout espoir, toute sagesse et toute misйricorde !... Bйnissez nos esprits en ce dur et douloureux instant !... Apaisez les tourments de l'вme jumelйe а la mienne en lui accordant а cette heure le droit а la libertй !... Soulagez, magnanime Sauveur du monde, toutes ses poignantes meurtrissures, ses dйsolantes amertumes !... Accordez le repos а son cњur angoissй et douloureux avant son nouveau retour au sombre trame des rйincarnations sur la planиte de l'exil et des larmes angoissйes... Seigneur, ce n'est plus maintenant le vaniteux despote d'autrefois, mais un cњur inclinй au bien et а la pitiй prкches par votre doctrine d'amour et de rйdemption. Sous le poids des йpreuves amиres et salvatrices, ses penchants se sont spiritualisйs sur le chemin de votre Vйritй et de votre Vie !... Et tandis que Livia priait, le sйnateur йtreignait ses enfants qui n'йtaient plus que des cadavres et poussa un dernier gйmissement, une lourde larme scintillant dans ses yeux йteints... De nombreuses lйgions d'кtres spirituels voletиrent pendant plusieurs jours, dans les cieux tйnйbreux et tristes de Pompйi. Aprиs de longues perturbations, Publius Lentulus et ses enfants s'йveillиrent sur le tombeau fumant de la citй en ruine. En vain le sйnateur invoqua la prйsence d'Anne ou celle d'autres serviteurs dans la pйnible illusion de la vie matйrielle alors que persistait dans son organisme psychique les impressions de sa cйcitй matйrielle qui reprйsentait le long supplice de ses derniиres annйes dans l'enveloppe charnelle. Nйanmoins, aprиs les premiиres lamentations, il entendit une voix qui lui dit doucement : Publius, mon ami, ne fais plus appel au recours du plan terrestre, car tous tes pouvoirs ont pris fin avec ta dйpouille sur la face sombre et triste de la terre ! Fait appel а Dieu Tout-puissant dont la misйricorde et la sagesse nous sont donnйes par l'amour de son Agneau qui est Jйsus-Christ !... Publius Lentulus ne put distinguer son interlocuteur, mais il avait identifiй la voix de Flaminius Sйvйrus, soulageant alors son cњur dans un torrent de priиres, fondant en larmes. Malgrй les dйvouements constants de Livia, cela faisait dйjа quelques jours que son esprit se trouvait prisonnier d'angoissants cauchemars aux premiers instants de sa vie dans l'au-delа, bien qu'assistй continuellement par Flaminius et d'autres compagnons dйvouйs qui l'attendaient sur le plan spirituel. Mais aprиs ces suppliques sincиres qui йmanaient du plus profond de son cњur, il sentit que son monde intйrieur s'йclairait... Auprиs de ses chers enfants, il recouvrit la vue et reconnut les кtres chers avec des larmes d'amour et de reconnaissance aux portes de l'au-delа. Il y avait lа de nombreux personnages de cette histoire, comme Flaminius, Calpurnia, Agrippa, Pompilius Crassus, Emilien Lucius et bien d'autres ; mais en vain les yeux angoissйs de l'ex-sйnateur cherchaient quelqu'un dans l'assemblйe affectueuse et amicale. Aprиs toutes les effusions de tendresse et de joie, intentionnellement, Flaminius lui fit: Tu trouves йtrange que Livia soit absente - fit-il d'un regard complaisant et gйnйreux -, mais tu ne pourras la voir que lorsque tu te seras dйbarrassй par la bonne volontй et par la priиre de toutes les impressions pйnibles et nocives de la terre. Elle est restйe prиs de ton cњur, en priиres sincиres et ferventes pour ta rйgйnйration, mais notre groupe est encore trиs attachй а la sphиre terrestre, et nous attendions le retour de ses derniers membres, encore sur terre, pour pouvoir ensemble йtablir un nouveau parcours de rйincarnations futures. Des siиcles de travail et de douleur nous attendent sur le chemin de la rйdemption et du perfectionnement, mais nous devons, avant tout, chercher la force nйcessaire en Jйsus, source de tout amour et de toute foi pour les rйalisations йlevйes de notre pensйe !... Publius Lentulus pleurait, saisi d'йmotions йtranges et indйfinissables. Mon ami - continua Flaminius affectueusement -, pour nous tous, demande а Jйsus la misйricorde de cette clartй d'un jour nouveau !... Alors, Publius s'agenouilla et baignй de larmes, il concentra son cњur sur Jйsus dans une priиre ardente et silencieuse... Lа dans la solitude de son вme courageuse et sincиre, il prйsenta а l'Agneau de Dieu son repentir, ses espoirs pour l'avenir, ses promesses de foi et de travail pour les siиcles а venir !... Tous ceux qui йtaient prйsents accompagnиrent sa priиre en proie а l'йmoi et plongйs dans des vibrations de consolation ineffable. Ils virent, alors, s'ouvrir un chemin lumineux et fleuri dans les cieux tristes et obscurs de la Campanie, et sur ce chemin, comme descendant des jardins fulgurants du paradis, Livia et Anne apparurent se tenant le bras, comme si Jйsus envoyait lа encore un enseignement symbolique а ces вmes prisonniиres de la terre, pour leur rйvйler qu'en toute circonstance, une вme incarnйe peut trouver son royaume de lumiиre et de paix, de vie et d'amour, tant dans la tunique humble de l'esclave que dans la pompeuse tenue vestimentaire des seigneurs. Le vieux patricien dйvisagea la figure radieuse de sa compagne et, en extase, il ferma ses yeux baignйs de larmes de regrets et de repentir ; mais tout de suite, deux lиvres йthйrйes se posиrent sur son front, telle la lйgиre caresse d'un lys divin. Et tandis que son cњur йmerveillй se lavait dans ses larmes de joie et de reconnaissance а Jйsus, sous l'impulsion puissante des ferventes priиres de ces deux вmes rйdimйes, toute la caravane s'йlevait vers des sphиres plus йlevйes pour trouver le repos et l'apprentissage avant de nouvelles йtapes de rйgйnйration et de travaux purificateurs, tel un groupe merveilleux de lumineuses phalиnes venues de l'infini !... Francisco Candido Xavier (2 avril 1910 - 30 juin 2002), Francisco Candido Xavier (2 avril 1910 - 30 juin 2002), alias Chico Xavier, est le mйdium brйsilien le plus cйlиbre2 et le plus prolifique du XXesiиcle. Sous l'influence des « Esprits », il produisit plus de quatre cent livres de sagesse et de spiritualitй, dont une centaine йditйs dans plusieurs langues. Il popularisa grandement la doctrine spirite au Brйsil. Chico Xavier reзu d'innombrables hommages tant du peuple que des organismes publics3. En 1981, le Brйsil proposa officiellement Chico Xavier comme candidat au Prix Nobel de la paix. En 2000, il fut йlu le « Minйro du XXe siиcle », а la suite d'un sondage auprиs de la population de l'йtat fйdйrй brйsilien oщ il rйsidait4. Aprиs sa mort, les dйputйs de l'assemblйe nationale brйsilienne ont officiellement reconnu son rфle dans le dйveloppement spirituel du pays5. Enfance Francisco Cвndido Xavier est nй le 2 avril 1910 dans la municipalitй de Pedro Leopoldo, dans l'Йtat du Minas Gerais (Brйsil). La famille compte neuf enfants, ses parents, tous deux analphabиtes, sont vendeurs de billets de loterie pour son pиre et blanchisseuse pour sa mиre. Il raconte que c'est aprиs avoir perdu sa mиre, а l'вge de cinq ans, qu'il commence а entendre des voix. Il travaille dиs neuf ans, comme tisserand, tout en continuant l'йcole primaire. А douze ans, il rйdige en classe une rйdaction remarquable et explique а sa maоtresse que ce texte lui a йtй dictй par un Esprit qui se tenait prиs de lui. А la suite de la guйrison de l'une de ses sњurs qui souffrait d'obsession, Chico ainsi que toute sa famille adhиre aux thйories du spiritisme. Centre spirite 'Luis Gonzala', а pedro leopoldo, en 2008 Chico Xavier йtudie la doctrine spirite et fonde le centre spirite « Luiz Gonzaga », le 21 juin 1927. Il s'investit dans son activitй de mйdium et dйveloppe ses capacitйs en psychographie. Il affirme voir, en 1931. son « mentor » spirituel sous la forme d'un Esprit prйnommй Emmanuel. Guidй par cet кtre invisible, Chico publie son premier livre en juillet 1932 : Une vie de mйdium А partir de sa premiиre publication, Chico Xavier ne cesse d'йcrire des poиmes, des romans, des recueils de pensйes, des ouvrages de morale ou des traitйs de technique spirite. Bon nombre de ces publications deviennent des succиs de librairie, dont la plus vendue reste Nosso Lar, la vie dans le monde spirituel, diffusйe а plus de 1,3 million d'exemplaires . Beaucoup sont traduites en anglais, franзais et espagnol. La totalitй des droits d'auteur reviennent а des њuvres de charitй, Chico ne vivant que de son maigre salaire d'employй au ministиre de l'agriculture. А partir de 1957, Chico Xavier s'installe аUberabaqui devient un lieu de rassemblement pour les spirites du monde entier. Il y dйcиde le 30 juin 2002, sans jamais varier d'explications а propos de l'origine de sa production littйraire phйnomйnale. Sous son impulsion, le Brйsil est devenu la patrie d'adoption du spiritisme : il y compterait 20 millions de sympathisants dont 2,3 millions de pratiquants, ce qui en ferait la troisiиme religion du pays. De son vivant, Chico Xavier fut le citoyen d'honneur de plus d'une centaine de villes, dont Sвo Paulo. En 1980, un gigantesque mouvement national se constitua afin qu'il obtienne le Prix Nobel de la paix, l'annйe suivante. Dans tous les Йtats du Brйsil des comitйs de soutien se formиrent, des centaines de municipalitйs, des Assemblйes lйgislatives de la plupart des Йtats, des parlementaires de Brasilia, dont Tancredo Neves alors Prйsident du Parti Populaire au Sйnat, appuyиrent sa candidature .En 1981, plus de 10 millions de Brйsiliens signиrent une pйtition en faveur de l'attribution de la prestigieuse distinction а Chico Xavier. La mкme annйe, le dйputй Josй Freitas Nobre transmit lui-mкme au comitй de Stockholm un dossier constituй de plus de 100 kg de documents, afin d'appuyer la candidature du mйdium . Chico Xavier ne reзut pas le prix Nobel, mais devint une figure emblйmatique du Brйsil. Aujourd'hui, des dizaines de villes au Brйsil possиdent une rue Chico-Xavier . La vie de ce mйdium a servi de base au film "Chico Xavier" produit par Columbia Pictures en 2010. Principaux livres produits par Chico Xavier Chico fut un йcrivain trиs prolifique : 451 livres lui sont attribuйs, dont 39 йditйs aprиs sa mortв. Comme tous les mйdiums, Chico Xavier ne prйtendait pas кtre l'auteur des livres, mais uniquement l'instrument utilisй par les esprits pour se manifester et transmettre leurs enseignements. C'est la raison pour laquelle, le nom d'un Esprit est associй а chaque livre. Listes des ouvrages en brйsilien а suivre Xavier Candido Franscisco 437 Livres 1. ...E O Amor Continua Alv. Esp. Diversos 1983 2. A Caminho Da Luz Feb Emmanuel 1938 3. А Luz Da Oraзвo Clarim Esp. Diversos 1969 4. A Morte Й Simples Mudanзa Madras Flavio Mussa Tavares 2005 5. A Ponte Fergs Emmanuel 1983 6. A Semente De Mostarda Geem Emmanuel 1990 7. A Terra E O Semeador Ide Emmanuel 1975 8. A Verdade Responde Ideal Emmanuel/Andrй Luiz 1990 9. A Vida Conta Ceu Maria Dolores 1980 10. A Vida Escreve Feb Hilario Silva 1960 11. A Vida Fala I Feb Neio Lucio 1973 12. A Vida Fala Ii Feb Neio Lucio 1973 13. A Vida Fala Iii Feb Neio Lucio 1973 14. A Volta Ide Esp. Diversos 1993 15. Abenзoa Sempre Geem Esp. Diversos 1993 16. Abenзoando Nosso Brasil Pinti Esp. Diversos 2007 17. Abrigo Ide Emmanuel 1986 18. Aзвo E Caminho Ideal Emmanuel/Andrй Luiz 1987 19. Aзвo E Reaзвo Feb Andrй Luiz 1957 20. Aзвo, Vida E Luz Ceu Esp. Diversos 1991 21. Aceitaзвo E Vida Uem Margarida Soares 1989 22. Adeus Solidвo Geem Esp. Diversos 1982 23. Agкncia De Noticias Geem Jair Presente 1986 24. Agenda Cristв Feb Andrй Luiz 1948 25. Agenda De Luz Ideal Esp. Diversos 1998 26. Agora Й O Tempo Ideal Emmanuel 1984 27. Algo Mais Ideal Emmanuel 1980 28. Alma Do Povo Ceu Cornйlio Pires 1996 29. Alma E Coraзвo Pens Emmanuel 1969 30. Alma E Luz Ide Emmanuel 1990 31. Alma E Vida Ceu Maria Dolores 1984 32. Almas Em Desfile Feb Hilario Silva 1961 33. Alvorada Cristв Feb Neio Lucio 1948 34. Alvorada Do Reino Ideal Emmanuel 1988 35. Amanhece Geem Esp. Diversos 1976 36. Amigo Ceu Emmanuel 1979 37. Amizade Ideal Meimei 1977 38. Amor E Luz Ideal Emmanuel/Esp. Diversos 1977 39. Amor E Saudade Ideal Esp. Diversos 1985 40. Amor E Verdade Ideal Esp. Diversos 2000 41. Amor Sem Adeus Ide Walter Perrone 1978 42. Anotaзoes Da Mediunidade Ceu Emmanuel 1995 43. Ante O Futuro Ideal Esp. Diversos 1990 44. Antenas De Luz Ide Laurinho 1983 45. Antologia Da Amizade Ceu Emmanuel 1995 46. Antologia Da Caridade Ideal Esp. Diversos 1995 47. Antologia Da Crianзa Ideal Esp. Diversos 1979 48. Antologia Da Esperanзa Ceu Esp. Diversos 1995 49. Antologia Da Espiritualidade Feb Maria Dolores 1971 50. Antologia Da Juventude Geem Esp. Diversos 1995 51. Antologia Da Paz Geem Esp. Diversos 1994 52. Antologia Do Caminho Ideal Esp. Diversos 1996 53. Antologia Dos Imortais Feb Esp. Diversos 1963 54. Antologia Mediщnica Do Natal Feb Esp. Diversos 1967 Aos Probl. Do Mundo Feesp Esp. Diversos 1972 55. Apelos Cristвos Uem Bezerra De Menezes 1986 56. Apostilas Da Vida Ide Andrй Luiz 1986 57. As Palavras Cantam Ceu Carlos Augusto 1993 58. Assemblйia De Luz Geem Esp. Diversos 1988 59. Assim Venceras Ideal Emmanuel 1978 60. Assuntos Da Vida E Da Morte Geem Esp. Diversos 1991 61. Astronautas No Alйm Geem Esp. Diversos 1974 62. Atenзвo Ide Emmanuel 1981 63. Atravйs Do Tempo Lake Esp. Diversos 1972 64. Augusto Vive Geem Augusto Cezar Netto 1981 65. Aulas Da Vida Ideal Esp. Diversos 1981 66. Auta De Souza Ide Auta De Souza 1976 67. Ave, Cristo! Feb Emmanuel 1953 68. Bastвo De Arrimo Uem Willian 1984 69. Baщ De Casos Ideal Cornйlio Pires 1977 70. Bazar Da Vida Geem Jair Presente 1985 71. Bкnзвo De Paz Geem Emmanuel 1971 72. Bкnзвos De Amor Ceu Esp. Diversos 1993 73. Bezerra, Chico E Vocк Geem Bezerra De Menezes 1973 74. Boa Nova Feb Humberto De Campos 1941 75. Brasil, Coraзвo Do Mundo, 76. Brilhe Vossa Luz Ide Esp. Diversos 1987 77. Busca E Acharas Ideal Emmanuel/Andrй Luiz 1976 78. Calendario Esplrita Feesp Esp. Diversos 1974 79. Calma Geem Emmanuel 1979 80. Caminho Esplrita Cec Esp. Diversos 1967 81. Caminho Iluminado Ceu Emmanuel 1998 82. Caminho, Verdade E Vida Feb Emmanuel 1949 83. Caminhos Da Fй Ideal Cornйlio Pires 1997 84. Caminhos Da Vida Ceu Cornйlio Pires 1997 85. Caminhos De Volta Geem Esp. Diversos 1975 86. Caminhos Do Amor Ceu Maria Dolores 1983 87. Caminhos Ceu Emmanuel 1981 88. Canais Da Vida Ceu Emmanuel 1986 89. Canteiro De Idйias Ideal Esp. Diversos 1999 90. Caravana De Amor Ide Esp. Diversos 1985 91. Caridade Ide Esp. Diversos 1978 92. Carmelo Grisi, Ele Mesmo Geem Carmelo Grisi 1991 93. Cartas De Uma Morta Lake Maria Joвo De Deus 1935 94. Cartas Do Coraзвo Lake Esp. Diversos 1952 95. Cartas Do Evangelho Lake Casimiro Cunha 1941 96. Cartas E Crфnicas Feb Irmвo X 1966 97. Cartilha Da Natureza Feb Casimiro Cunha 1944 98. Cartilha Do Bem Feb Meimei 1962 99. Ceifa De Luz Feb Emmanuel 1979 100. Centelhas Ide Emmanuel 1992 101. Chвo De Flores Ideal Esp. Diversos 1975 102. Chico Xavier - Dos Hippies 103. Chico Xavier - Mandato 104. Chico Xavier Em Goiвnia Geem Emmanuel 1977 105. Chico Xavier Inйdito: 106. Chico Xavier Pede Licenзa Geem Esp. Diversos 1972 107. Chico Xavier, Uma Vida 108. Cidade No Alйm Ide Andrй Luiz/Lucius 1983 109. Cinquenta Anos Depois Feb Emmanuel 1940 110. Claramente Vivos Ide Esp. Diversos 1979 111. Coisas Deste Mundo Clarim Cornйlio Pires 1977 112. Coletвnea Do Alйm Feesp Esp. Diversos 1945 113. Comandos Do Amor Ide Esp. Diversos 1988 114. Compaixвo Ide Emmanuel 1993 115. Companheiro Ide Emmanuel 1977 116. Confia E Segue Geem Emmanuel 1984 117. Confia E Serve Ide Esp. Diversos 1989 118. Construзвo Do Amor Ceu Emmanuel 1988 119. Continuidade Ideal Esp. Diversos 1990 120. Contos Desta E Doutra Vida Feb Irmвo X 1964 121. Contos E Apфlogos Feb Irmвo X 1958 122. Conversa Firme Cec Cornйlio Pires 1975 123. Convivкncia Ceu Emmanuel 1984 124. Coraзвo E Vida Ideal Maria Dolores 1978 125. Coraзoes Renovados Ideal Esp. Diversos 1988 126. Coragem Cec Esp. Diversos 1971 127. Correio Do Alйm Ceu Esp. Diversos 1983 128. Correio Fraterno Feb Esp. Diversos 1970 129. Crer E Agir Ideal Emmanuel/Irmвo Josй 1986 130. Crianзas No Alйm Geem Marcos 1977 131. Crфnicas De Alйm-Tщmulo Feb Humberto De Campos 1936 132. Cura Geem Esp. Diversos 1988 Da Vida Geem Roberto Muszkat 1984 133. Dadivas De Amor Ideal Maria Dolores 1990 134. Dadivas Espirituais Ide Esp. Diversos 1994 De Amor Ide Emmanuel 1992 De Amor Uem Esp. Diversos 1993 135. Degraus Da Vida Ceu Cornйlio Pires 1996 136. Desobsessвo Feb Andrй Luiz 1964 137. Deus Aguarda Geem Meimei 1980 138. Deus Sempre Ideal Emmanuel 1976 139. Dialogo Dos Vivos Geem Esp. Diversos 1974 140. Diario De Bкnзвos Ideal Cristiane 1983 141. Dicionario Da Alma Feb Esp. Diversos 1964 142. Dinheiro Ide Emmanuel 1986 143. Do Outro Lado Da Vida Inovaзвo Paulo Henrique Bresciane 2006 144. Doaзoes De Amor Geem Esp. Diversos 1992 Dos Beneficios Ger Bezerra De Menezes 1991 145. Doutrina De Luz Geem Emmanuel 1990 146. Doutrina E Aplicaзвo Ceu Esp. Diversos 1989 147. Doutrina E Vida Ceu Esp. Diversos 1987 148. Doutrina Escola Ide Esp. Diversos 1996 149. E A Vida Continua... Feb Andrй Luiz 1968 E Trabalho Ideal Esp. Diversos 1988 150. Educandario De Luz Ideal Esp. Diversos 1985 151. Elenco De Familiares Ideal Esp. Diversos 1995 152. Eles Voltaram Ide Esp. Diversos 1981 153. Emmanuel Feb Emmanuel 1938 154. Encontre De Paz Cec Esp. Diversos 1973 155. Encontre Marcado Feb Emmanuel 1967 156. Encontros No Tempo Ide Esp. Diversos 1979 157. Endereзos Da Paz Ceu Andrй Luiz 1982 158. Entender Conversando Ide Emmanuel 1984 159. Entes Queridos Geem Esp. Diversos 1982 160. Entre A Terra E O Cйu Feb Andrй Luiz 1954 161. Entre Duas Vidas Cec Esp. Diversos 1974 162. Entre Irmвos De Outras Terras Feb Esp. Diversos 1966 163. Entrevistas Ide Emmanuel 1971 164. Enxugando Lagrimas Ide Esp. Diversos 1978 165. Escada De Luz Ceu Esp. Diversos 1999 166. Escola No Alйm Ideal Claudia P. Galasse 1988 167. Escrinio De Luz Clarim Emmanuel 1973 168. Escultores De Almas Ceu Esp. Diversos 1987 169. Espera Servindo Geem Emmanuel 1985 170. Esperanзa E Alegria Ceu Esp. Diversos 1987 171. Esperanзa E Luz Ceu Esp. Diversos 1993 172. Esperanзa E Vida Ideal Esp. Diversos 1985 173. Estamos No Alйm Ide Esp. Diversos 1983 174. Estamos Vivos Ide Esp. Diversos 1993 175. Estante Da Vida Feb Irmвo X 1969 176. Estradas E Destinos Ceu Esp. Diversos 1987 177. Estrelas No Chвo Geem Esp. Diversos 1987 178. Estude E Viva Feb Emmanuel/Andrй Luiz 1965 179. Evangelho Em Casa Feb Meimei 1960 180. Evoluзвo Em Dois Mundos Feb Andrй Luiz 1959 181. Excursвo De Paz Ceu Esp. Diversos 1990 182. Falando А Terra Feb Esp. Diversos 1951 183. Falou E Disse Geem Augusto Cezar Netto 1978 184. Famflia Ceu Esp. Diversos 1981 185. Fй Ideal Esp. Diversos 1984 186. Fй, Paz E Amor Geem Emmanuel 1989 187. Feliz Regresso Ideal Esp. Diversos 1981 188. Festa De Paz Geem Esp. Diversos 1986 189. Filhos Voltando Geem Esp. Diversos 1982 190. Flores De Outono Lake Jйsus Gonзalves 1984 191. Fonte De Paz Ide Esp. Diversos 1987 192. Fonte Viva Feb Emmanuel 1956 193. Fotos Da Vida Geem Augusto Cezar Netto 1989 194. Fulgor No Entardecer Uem Esp. Diversos 1991 195. Gabriel Ide Gabriel 1982 196. Gaveta De Esperanзa Ide Laurinho 1980 197. Gotas De Luz Feb Casimiro Cunha 1953 198. Gotas De Paz Ceu Emmanuel 1993 199. Gratidвo E Paz Ide Esp. Diversos 1988 200. Ha Dois Mil Anos Feb Emmanuel 1939 201. Harmonizaзвo Geem Emmanuel 1990 202. Histфria De Maricota Feb Casimiro Cunha 1947 203. Histфrias E Anotaзoes Ceu Irmвo X 1989 204. Hoje Ceu Emmanuel 1984 205. Hora Certa Geem Emmanuel 1987 206. Horas De Luz Ide Esp. Diversos 1984 207. Humorismo No Alйm Ideal Esp. Diversos 1984 208. Ideal Esplrita Cec Esp. Diversos 1963 209. Idйias E Ilustraзoes Feb Esp. Diversos 1970 210. Indicaзoes Do Caminho Geem Carlos Augusto 1995 211. Indulgкncia Ide Emmanuel 1989 212. Inspiraзвo Geem Emmanuel 1979 213. Instruзoes Psicofфnicas Feb Esp. Diversos 1956 214. Instrumentos Do Tempo Geem Emmanuel 1974 215. Intercвmbio Do Bem Geem Esp. Diversos 1987 216. Intervalos Clarim Emmanuel 1981 217. Irmв Vera Cruz Ide Vera Cruz 1980 218. Irmвo Ideal Emmanuel 1980 219. Irmвos Unidos Geem Esp. Diversos 1988 220. Janela Para A Vida Fergs Esp. Diversos 1979 221. Jardim Da Infвncia Feb Joвo De Deus 1947 222. Jesus Em Nфs Geem Emmanuel 1987 223. Jesus No Lar Feb Neio Lucio 1950 224. Jфia Ceu Emmanuel 1985 225. Jovens No Alйm Geem Esp. Diversos 1975 226. Juca Lambisca Feb Casimiro Cunha 1961 227. Juntos Venceremos Ideal Esp. Diversos 1985 228. Justiзa Divina Feb Emmanuel 1962 229. Lar - Oficina, Esperanзa 230. Lazaro Redivivo Feb Irmвo X 1945 231. Lealdade Ide Mauricio G. Henrique 1982 232. Leis De Amor Feesp Emmanuel 1963 233. Levantar E Seguir Geem Emmanuel 1992 234. Libertaзвo Feb Andrй Luiz 1949 235. Linha Duzentos Ceu Emmanuel 1981 236. Lira Imortal Lake Esp. Diversos 1938 237. Livro Da Esperanзa Cec Emmanuel 1964 238. Livro De Respostas Ceu Emmanuel 1980 239. Loja De Alegria Geem Jair Presente 1985 240. Luz Acima Feb Irmвo X 1948 241. Luz Bendita Ideal Emmanuel/Esp. Diversos 1977 242. Luz E Vida Geem Emmanuel 1986 243. Luz No Caminho Ceu Emmanuel 1992 244. Luz No Lar Feb Esp. Diversos 1968 245. Mвe Clarim Esp. Diversos 1971 246. Mais Luz Geem Batulra 1970 247. Mais Perto Geem Emmanuel 1983 248. Mais Vida Ceu Esp. Diversos 1982 249. Mвos Marcadas Ide Esp. Diversos 1972 250. Mвos Unidas Ide Emmanuel 1972 251. Marcas Do Caminho Ideal Esp. Diversos 1979 252. Maria Dolores Ideal Maria Dolores 1977 253. Material De Construзвo Ideal Emmanuel 1983 254. Mecanismos Da Mediunidade Feb Andrй Luiz 1960 255. Mediunidade E Sintonia Ceu Emmanuel 1986 256. Mensagem Do Pequeno Morto Feb Neio Lucio 1947 257. Mensagens De Inкs De Castro Geem Inкs De Castro 2006 258. Mensagens Que Confortam Ricardo Tadeu 1983 259. Mentores E Seareiros Ideal Esp. Diversos 1993 260. Migalha Uem Emmanuel 1993 261. Missвo Cumprida Pinti Esp. Diversos 2004 262. Missionarios Da Luz Feb Andrй Luiz 1945 263. Momento Ceu Emmanuel 1994 264. Momentos De Encontro Ceu Rosвngela 1984 265. Momentos De Ouro Geem Esp. Diversos 1977 266. Momentos De Paz Ideal Emmanuel 1980 267. Monte Acima Geem Emmanuel 1985 268. Moradias De Luz Ceu Esp. Diversos 1990 269. Na Era Do Espiпito Geem Esp. Diversos 1973 270. Na Hora Do Testemunho Paidйia Esp. Diversos 1978 271. Nвo Publicadas 1933-1954 Madras Esp. Diversos 2004 272. Nascer E Renascer Geem Emmanuel 1982 273. Natal De Sabina Geem Francisca Clotilde 1972 274. Neste Instante Geem Emmanuel 1985 275. Ninguйm Morre Ide Esp. Diversos 1983 276. No Mundo Maior Feb Andrй Luiz 1947 277. No Portal Da Luz Cec Emmanuel 1967 278. Nos Domlnios Da Mediunidade Feb Andrй Luiz 1955 279. Nos Ceu Emmanuel 1985 280. Nosso Lar Feb Andrй Luiz 1944 281. Nosso Livro Lake Esp. Diversos 1950 282. Notas Do Mais Alйm Ide Esp. Diversos 1995 283. Noticias Do Alйm Ide Esp. Diversos 1980 284. Novamente Em Casa Geem Esp. Diversos 1984 285. Novas Mensagens Feb Humberto De Campos 1940 286. Novo Mundo Ideal Emmanuel 1992 287. Novos Horizontes Ideal Esp. Diversos 1996 288. O Caminho Oculto Feb Veneranda 1947 289. O Consolador Feb Emmanuel 1941 290. O Esperanto Como Revelaзвo Ide Francisco V. Lorenz 1976 291. O Espiпito Da Verdade Feb Esp. Diversos 1962 292. O Espiпito De Cornйlio Pires Feb Cornйlio Pires 1965 293. O Essencial Ceu Emmanuel 1986 294. O Evangelho De Chico Xavier Didier Emmanuel 2000 295. O Ligeirinho Geem Emmanuel 1993 296. Obreiros Da Vida Eterna Feb Andrй Luiz 1946 297. Oferta De Amigo Ide Cornйlio Pires 1996 298. Opiniвo Esplrita Cec Emmanuel/Andrй Luiz 1963 299. Orvalho De Luz Cec Esp. Diversos 1969 300. Os Dois Maiores Amores Geem Esp. Diversos 1983 301. Os Filhos Do Grande Rei Feb Veneranda 1947 302. Os Mensageiros Feb Andrй Luiz 1944 303. Paciкncia Ceu Emmanuel 1983 304. Paginas De Fй Ideal Esp. Diversos 1988 305. Paginas Do Coraзвo Lake Irmв Candoca 1951 306. Pai Nosso Feb Meimei 1952 307. Palavras De Chico Xavier Ide Emmanuel 1995 308. Palavras De Coragem Ideal Esp. Diversos 1987 309. Palavras De Emmanuel Feb Emmanuel 1954 310. Palavras De Vida Eterna Cec Emmanuel 1964 311. Palavras Do Coraзвo Ceu Meimei 1982 312. Palavras Do Infmito Lake Esp. Diversos 1936 313. Palco Iluminado Geem Jair Presente 1988 314. Pao Nosso Feb Emmanuel 1950 315. Parnaso De Alйm Tщmulo Feb Esp. Diversos 1932 316. Passaros Humanos Geem Esp. Diversos 1994 317. Passos Da Vida Cec Esp. Diversos 1969 Patria Do Evangelho Feb Humberto De Campos 1938 318. Paulo E Estevao Feb Emmanuel 1942 319. Paz E Alegria Geem Esp. Diversos 1981 320. Paz E Amor Ceu Cornйlio Pires 1996 321. Paz E Libertaзao Ceu Esp. Diversos 1996 322. Paz E Renovaзao Cec Esp. Diversos 1970 323. Paz Ceu Emmanuel 1983 324. Pedaзos Da Vida Ideal Cornйlio Pires 1997 325. Pensamento E Vida Feb Emmanuel 1958 326. Perante Jesus Ideal Emmanuel 1990 327. Perdao E Vida Ceu Esp. Diversos 1999 328. Pйrolas De Luz Ceu Emmanuel 1992 329. Pйrolas Do Alйm Feb Emmanuel 1952 330. Pйtalas Da Primavera Uem Esp. Diversos 1990 331. Pйtalas Da Vida Ceu Cornйlio Pires 1997 332. Pinga Fogo (1a Entrevista) Edicel Esp. Diversos 1971 333. Pingo De Luz Ideal Carlos Augusto 1995 334. Plantao Da Paz Geem Emmanuel 1988 335. Plantao De Respostas Ceu Pinga Fogo Ii 1995 336. Poetas Redivivos Feb Esp. Diversos 1969 337. Ponto De Encontro Geem Jair Presente 1986 338. Pontos E Contos Feb Irmao X 1951 339. Porto De Alegria Ide Esp. Diversos 1990 340. Praзa Da Amizade Ceu Esp. Diversos 1982 341. Preito De Amor Geem Esp. Diversos 1993 342. Presenзa De Laurinho Ide Laurinho 1983 343. Presenзa De Luz Geem Augusto Cezar Netto 1984 344. Pronto Socorro Ceu Emmanuel 1980 Psicografias Ainda 345. Quando Se Pretende Falar 346. Queda E Ascensao Da Casa 347. Quem Sao Ide Esp. Diversos 1982 348. Rapidinho Geem Jair Presente 1989 349. Realmente Pinti Esp. Diversos 2004 350. Recados Da Vida Maior Geem Esp. Diversos 1995 351. Recados Da Vida Geem Esp. Diversos 1983 352. Recados Do Alйm Ideal Emmanuel 1978 353. Recanto De Paz Fmg Esp. Diversos 1976 354. Reconforto Geem Emmanuel 1986 355. Reencontros Ide Esp. Diversos 1982 356. Refщgio Ideal Emmanuel 1989 357. Relatos Da Vida Ceu Irmao X 1988 358. Relicario De Luz Feb Esp. Diversos 1962 359. Religiao Dos Esplritos Feb Emmanuel 1960 360. Renascimento Espiritual Ideal Esp. Diversos 1995 361. Renщncia Feb Emmanuel 1942 362. Reportagens De Alйm-Tщmulo Feb Humberto De Campos 1943 363. Resgate E Amor Geem Tiaminho 1987 364. Respostas Da Vida Ideal Andrй Luiz 1975 365. Retornaram Contando Ide Esp. Diversos 1984 366. Retratos Da Vida Cec Cornйlio Pires 1974 367. Revelaзвo Geem Jair Presente 1993 368. Rosas Com Amor Ide Esp. Diversos 1973 369. Roseiral De Luz Uem Esp. Diversos 1988 370. Roteiro Feb Emmanuel 1952 371. Rumo Certo Feb Emmanuel 1971 372. Rumos Da Vida Ceu Esp. Diversos 1981 373. Saudaзвo Do Natal Ceu Esp. Diversos 1996 374. Seara De Fй Ide Esp. Diversos 1982 375. Seara Dos Mйdiuns Feb Emmanuel 1961 376. Segue-Me Clarim Emmanuel 1973 377. Seguindo Juntos Geem Esp. Diversos 1982 378. Semeador Em Tempos Novos Geem Emmanuel 1989 379. Semente Ide Emmanuel 1993 380. Sementeira De Luz Vinha De Luz Neio Lucio 2006 381. Sementes De Luz Ideal Esp. Diversos 1987 382. Senda Para Deus Ceu Esp. Diversos 1997 383. Sentinelas Da Alma Ideal Meimei 1982 384. Sentinelas Da Luz Ceu Esp. Diversos 1990 385. Servidores No Alйm Ide Esp. Diversos 1989 386. Sexo E Destino Feb Andrй Luiz 1963 387. Sinais De Rumo Geem Esp. Diversos 1980 388. Sinal Verde Cec Andrй Luiz 1971 389. Smteses Doutrinarias Ceu Esp. Diversos 1995 390. Somente Amor Ideal Maria Dolores/Meimei 1978 391. Somos Seis Geem Esp. Diversos 1976 392. Sorrir E Pensar Ide Esp. Diversos 1984 393. Taзa De Luz Feesp Esp. Diversos 1972 394. Tвo Facil Ceu Esp. Diversos 1985 395. Temas Da Vida Ceu Esp. Diversos 1987 396. Tempo De Luz Fmg Esp. Diversos 1979 397. Tempo E Amor Ide Esp. Diversos 1984 398. Tempo E Nos Ideal Emmanuel/Andrй Luiz 1993 399. Tende Bom Вnimo Ideal Esp. Diversos 1987 400. Tesouro De Alegria Ide Esp. Diversos 1993 401. Timbolвo Feb Casimiro Cunha 1962 402. Tintino... O Espetacilo Continua Geem Francisca Clotilde 1976 403. Tocando O Barco Ideal Emmanuel 1984 404. Toques Da Vida Ideal Cornйlio Pires 1997 405. Traзos De Chico Xavier Ceu Esp. Diversos 1997 406. Trevo De Idйias Geem Emmanuel 1987 407. Trilha De Luz Ide Emmanuel 1990 408. Trovadores Do Alйm Feb Esp. Diversos 1965 409. Trovas Da Vida Ceu Cornйlio Pires 1999 410. Trovas Do Coraзвo Ide Cornйlio Pires 1997 411. Trovas Do Mais Alйm Cec Esp. Diversos 1971 412. Trovas Do Outro Mundo Feb Esp. Diversos 1968 413. Tudo Vira A Seu Tempo Madras Elcio Tumenas 2003 414. Uma Vida De Amor E Caridade Fv Esp. Diversos 1992 415. Uniвo Em Jesus Ceu Esp. Diversos 1994 416. Urgкncia Geem Emmanuel 1980 417. Venceram Geem Esp. Diversos 1983 418. Vereda De Luz Geem Esp. Diversos 1990 419. Viagens Sem Adeus Ideal Claudio R.A . Nascimento 1999 420. Viajaram Mais Cedo Geem Esp. Diversos 1985 421. Viajor Ide Emmanuel 1985 422. Viajores Da Luz Geem Esp. Diversos 1981 423. Vida Alйm Da Vida Ceu Lineu De Paula Leвo Jr. 1988 424. Vida E Caminho Geem Esp. Diversos 1994 425. Vida E Sexo Feb Emmanuel 1970 426. Vida Em Vida Ideal Esp. Diversos 1980 427. Vida No Alйm Geem Esp. Diversos 1980 428. Vida Nossa Vida Geem Esp. Diversos 1983 429. Vinha De Luz Feb Emmanuel 1952 430. Visвo Nova Ide Esp. Diversos 1987 431. Vitфria Ide Esp. Diversos 1987 432. Vivendo Sempre Ideal Esp. Diversos 1981 433. Viveremos Sempre Ideal Esp. Diversos 1994 434. Volta Bocage Feb Manuel M.B.Du Bocage 1947 435. Voltei Feb Irmвo Jacob 1949 436. Vozes Da Outra Margem Ide Esp. Diversos 1987 437. Vozes Do Grande Alйm Feb Esp. Diversos 1957 Compilaзвo Geem (Marзo De 2007) Com Utilizaзвo A Partir Do Livro 413 Da Relaзвo Fecfas (Fraternidade Esplrita Cristа Francisco De Assis, De Belo Horizonte-Mg)