Aprиs un tour solennel а l'intйrieure du cirque, les figures silencieuses d'ivoire furent dйposйes dans l'йdicule, prиs des cachots, sous les radieux йclats du pavillon de l'Empereur et oщ avaient lieu les priиres et les sacrifices des nobles et des plйbйiens, tandis que le Cйsar et ses auliques, en compagnie des hommes politiques rйcompensйs cet aprиs- midi-lа, faisaient de nombreuses et extraordinaires libations.
Une fois ces cйrйmonies terminйes, le silencieux recueillement de la foule cessait йgalement.
Les jeux commencиrent alors sous les regards avides de plus de trois cents mille spectateurs qui ne se limitaient pas aux masses compactes, comprimйes dans les dimensions grandioses de la luxueuse enceinte. Les palais de l'Aventin et du Palatin, ainsi que les йlйgantes terrasses du Cйlio, servaient aussi de larges gradins pour la nombreuse assistance qui ne pouvait pas voir de plus prиs le formidable spectacle.
Rome se divertissait et toutes les classes йtaient fascinйes.
La compйtition des chars йtait le premier numйro prйsentй mais les applaudissements enthousiastes ne se faisaient entendre que lorsque les premiers cochers et les premiers chevaux brisйs mourraient dans l'arиne.
Les joueurs se distinguaient а la couleur de leur tunique. Il y avaient ceux qui s'habillaient de rouge, de bleu, de blanc et de vert, reprйsentant divers partis, tandis que le public se rйpartissait en groupes exaltйs, devenus fous. Les admirateurs et les partenaires de chaque faction criaient passionnйment, manifestant leur joie, leur crainte, leur angoisse ou leur impatience. А la fin des premiers numйros, de dйplorables scиnes de lutte avaient lieu parmi les adversaires de tel ou tel parti au sein de l'йnorme assistance, donnant lieu а de sйrieux tumultes qui dйgйnйraient immйdiatement en furie criminelle, d'oщ йtaient ensuite retirйs quelques cadavres.
Aprиs les courses, il y eut une chasse fabuleuse avec de terribles combats entre des hommes et des fauves oщ quelques jeunes esclaves perdaient la vie dans de tragiques circonstances, face aux acclamations dйlirantes des masses inconscientes.
L'Empereur souriait, satisfait, et continuait nonchalamment ses libations personnelles avec quelques proches amis. Six harpistes exйcutaient ses mйlodies favorites dans le pavillon, tandis que les luths faisaient aussi entendre des sons harmonieux et clairs.
Puis ce fut le tour d'autres jeux, variйs, divertissants et terribles, et aprиs quelques danses exotiques exйcutйes dans l'arиne, on vit un aulique favori de Domitius Nйron s'incliner discrиtement pour lui parler а l'oreille :
L'instant est venu, Ф Auguste, de la grande surprise des jeux de cet aprиs-midi !
Les chrйtiens vont maintenant entrer dans l'arиne ? - demanda l'Empereur а voix basse avec son sourire impitoyable et glacial.
Oui, l'ordre a dйjа йtй donnй pour que soient mis en libertй dans l'arиne les vingt lions africains dиs que les condamnйs seront prйsentйs au public.
Bel hommage aux sйnateurs ! - gloussa Nйron, sarcastiquement. - Cette festMtй aura йtй un heureux souvenir de Sйnиque car j'aurai l'occasion de montrer au Sйnat que la loi est la force et toute la force doit кtre mienne.
Il ne manquait que quelques minutes pour la prйsentation du surprenant numйro de l'aprиs-midi, lorsque Claudius Varus dit а l'un de ses auxiliaires de confiance :
Aton - dit-il circonspect -, tu peux maintenant faire entrer tous les prisonniers dans l'arиne, mais йloigne discrиtement une femme qui porte la toge du patriciat. Retiens-la en dernier, puis jette-la а la rue, car nous ne voulons pas de complications avec sa famille.
Le soldat fit un signe de la tкte pour dire qu'il avait fidиlement retenu l'ordre reзu et s'apprкtait а le mettre а exйcution. Quelques minutes plus tard, un groupe important de chrйtiens se dirigeait impassiblement vers le sacrifice sous les injures et les huйes des plus bas serviteurs du cirque...
Jean de Clйophas arrivait en premier, murmurant mentalement sa derniиre priиre.
Mais а l'instant oщ s'ouvrit la grande porte а travers laquelle on pouvait entendre les rugissements menaзants des fauves affamйs, Aton s'approcha d'Anne et, remarquant sa toge en laine trиs fine, les joyaux discrets qui paraient son allure anoblie, ainsi que le dйlicat fil d'or qui retenait gracieusement ses cheveux, il s'exclama respectueusement, йtonnй par la noblesse de sa personne :
Madame, vous resterez ici jusqu'а nouvel ordre !
La vieille servante des Lentulus йchangea un regard significatif et angoissant avec sa maоtresse, puis rйpondit avec une sereine fiertй :
Mais pourquoi ? Prйtendez-vous me priver de la gloire du sacrifice ?
Aton et ses collиgues furent surpris par cette attitude de grand hйroпsme spirituel, et avec un geste йvasif qui exprimait l'hйsitation de la rйponse qu'il devait donner, il expliqua respectueusement :
Vous serez la derniиre !