Anne, s'il est vrai que nous devons tйmoigner aujourd'hui encore de notre foi, je dйsirerais comparaоtre au sacrifice comme ces crйatures dйsemparйes qui йcoutaient les consolations divines prиs du lac Tibйriade. Si tu veux bien exhausser mon vњu, йchange maintenant avec moi la toge de maоtresse contre ta tunique de servante ! Je dйsirerais participer au sacrifice avec les habits humbles et pauvres de la plиbe, non pas parce que Je me sens humiliйe devant les gens de ma condition а l'heureux instant du tйmoignage, mais parce qu'en arrachant pour toujours les derniers prйjugйs de ma naissance, je donnerai а ma conscience chrйtienne le rйconfort de l'ultime acte d'humilitй... Moi qui suis nйe dans le pourpre de la noblesse, je dйsirerais trouver le royaume de Jйsus dans une tenue simple passйe par le monde dans le tourbillon tourmentй des йpreuves et des labeurs !...
Madame !... - rйagit la servante, hйsitante...
N'hйsite pas si tu veux me procurer la derniиre satisfaction.
Face aux intentions touchantes de la gйnйreuse femme, Anne ne put refuser, et а cet instant dans la pйnombre d'un coin а l'йcart du regard des autres compagnes, elles йchangиrent la toge et la tunique qui йtaient faites d'une espиce de mante portйe sur la tenue compliquйe de l'йpoque. Livia s'йtait parйe d'une toge en laine trиs fine qui revкtait а prйsent le corps de l'employйe avec les bijoux discrets qu'elle portait habituellement. Aprиs lui avoir donnй ses deux prйcieuses bagues et un gracieux bracelet, il ne lui restait plus qu'une parure de valeur, mais en passant sa main sur son cou, Livia caressa un petit collier avec une immense tendresse et dйcrйta а sa compagne :
Trиs bien, Anne, il ne me reste plus que ce petit camй qui porte le profil de Publius en bas relief et qui est un cadeau qu'il m'a offert а l'йpoque lointaine de nos noces. Je mourrai avec ce bijou comme symbole d'union entre mes deux amours que sont mon mari et Jйsus- Christ...
Anne accepta sans broncher toutes les pieuses demandes de sa maоtresse, et bientфt, l'allure de l'humble servante dans sa beautй virginale йtait touchйe d'une imposante noblesse telle une figure souveraine en vieil ivoire.
Pour tous les prisonniers dans la terrible inquiйtude qui les opprimait, malgrй les douces clartйs intйrieures de la priиre qui leur prodiguait le courage moral nйcessaire pour aller au sacrifice, les heures du jour йtaient pesantes et longues. Avec l'hйroпsme rйsignй de sa ferveur religieuse, Jean de Clйophas parvint а maintenir active la chaleur de la foi dans tous les cњurs. Dans l'exaltation de sa confiance en la providence divine, des compagnons plus enthousiastes ne manquиrent pas de rйpйter avec lui les cantiques de la gloire spirituelle pour l'instant suprкme du martyre.
Au palais de l'Aventin, tous les domestiques les plus intimes croyaient que Livia йtait chez sa fille ; mais un peu avant midi, Flavia Lentulia vint voir son pиre, afin de l'embrasser avant son triomphe.
Informйe par le sйnateur quant а ses projets de rйtablir l'ancien bonheur conjugal avec les dйmonstrations publiques de confiance et d'amour les plus expressives pour son йpouse, Flavia, а la grande surprise de son pиre, cherchait sa mиre pour lui exprimer sa joie bien justifiйe.
Une angoissante interrogation se posa alors sur tous les visages.
Depuis vingt-cinq ans, c'йtait la premiиre fois que Livia et Anne s'absentaient si subitement de la maison, provoquant les craintes les plus lйgitimes.
Le sйnateur sentit son cњur touchй d'angoissants prйsages, mais les esclaves йtaient dйjа prкts а le conduire au Sйnat oщ les premiиres cйrйmonies allaient commencer aprиs midi en prйsence de Cйsar. Observant son affliction et son regard anxieux et inquiet, Flavia Lentulia voulut le rassurer et lui dit tout en dissimulant ses propres afflictions :
Pars tranquille, mon pиre. Je retourne maintenant а la maison, mais je ne nйgligerai pas de prendre les mesures nйcessaires et lorsque tu reviendras plus tard avec l'aurйole du triomphe, je veux t'embrasser avec mиre, entre les fleurs du vestibule, afin que nous puissions toutes deux t'accueillir avec les pйtales de notre amour dйvouй de tous les jours.
Oui, ma fille - rйpondit le sйnateur, une ombre d'angoisse sur le visage -, que les dieux permettent qu'il en soit ainsi, car les rosйs du foyer seront pour moi les meilleures rйcompenses !...
Et prenant sa litiиre, saluй par de nombreux amis qui l'attendaient, Publius Lentulus se dirigea vers le Sйnat oщ une foule enthousiaste explosait de joie en signe de remerciements pour l'abondante distribution de blй faite par les autoritйs romaines pour cйlйbrer cet йvйnement, et applaudissait ceux а qui il йtait rendu hommage dans le vacarme assourdissant des grandes manifestations populaires.