Il y a 2000 ans

Cette explication sembla la satisfaire, mais Livia et Anne, а cet instant dйcisif de sйparation, йchangиrent entre elles un regard aimant, angoissй et inoubliable.

Toutefois, tout cela ne fut l'њuvre que de quelques secondes, car la sinistre porte йtait maintenant ouverte et les armes menaзantes des prйposйs de Domitius Nйron obligeaient les prisonniers а avancer dans l'arиne comme un bloc de condamnйs а la terreur de la derniиre peine.

Le vйnйrable apфtre d'Antioche prit la tкte du groupe avec une valeureuse sйrйnitй. Son cњur s'йlevait а l'infini en des priиres ferventes et sincиres. Le temps d'un instant, tous les prisonniers йtaient rйunis а l'entrйe de l'arиne, remplis d'une force morale qui, jusqu'а prйsent, leur йtait inconnue. C'est que, derriиre ces pourpres somptueuses et au-delа des rires stridents et des basses injures, arrivait une lйgion de messagers cйlestes pour fortifier les йnergies spirituelles de ceux qui allaient succomber а une mort infamante pour arroser la semence du christianisme de leurs larmes fйcondes. Un chemin lumineux, invisible aux yeux des mortels, s'ouvrit dans les clartйs du firmament et, а travers lui, descendit tout une armйe d'archanges du divin Maоtre pour aurйoler des bйnйdictions de sa gloire les valeureux travailleurs de sa cause.

Sous les applaudissements dйlirants et assourdissants de la foule nombreuse, les lions affamйs furent lвchйs pour que se rйalise l'йpouvantable scиne d'impiйtй, de terreur et de sang, mais aucun des apфtres inconnus qui allaient mourir au festin dйpravй de Nйron ne sentit les tortures angoissantes d'une mort aussi horrible, car le doux anesthйsiant des puissances divines apaisa leur cњur endolori et dйchirй en ce terrible instant.

Fustigйs par l'angoisse et par l'affliction de l'ultime instant, face au public sanguinaire, les misйrables sacrifiйs n'eurent pas le temps de se rassembler dans l'arиne de la douleur. Les fauves affamйs semblиrent touchйs d'une horrible anxiйtй. Et tandis que les pauvres corps йtaient piteusement mis en piиce, Domitius Nйron ordonnait que tous les chњurs de danseurs et а tous les musiciens de cйlйbrer le spectacle avec les cantiques et les danses de la Rome victorieuse.

La considйrable assistance, qui s'agglomйrait dans les collines incluses et qui reprйsentait presque un demi-million de personnes, vibrait dans des applaudissements assourdissants et choquants, tandis que deux cents crйatures humaines tombaient dйchiquetйes... En entrant dans l'arиne, Livia s'agenouilla devant le grand et somptueux pavillon de l'Empereur, oщ elle chercha а apercevoir la silhouette de son йpoux pour la derniиre fois, afin de garder au fond de son вme la triste expression de cette ultime scиne auprиs de l'image intime de Jйsus Crucifiй, qui inondait d'йmotions sereines son pauvre cњur brisй а la minute

suprкme. Elle crut vaguement distinguer dans la douce clartй du crйpuscule, la silhouette droite du sйnateur couronnй de rosйs comme les triomphateurs et, lorsque ses lиvres s'entrouvrirent dans une derniиre priиre mкlйe de larmes ardentes qui brouillaient ses yeux, elle se vit brusquement happйe par les pattes sauvages d'un monstre. Cependant, elle n'йprouva aucune commotion violente et rude, qui signale communйment la minute obscure de la mort. Il lui sembla avoir subi un lйger choc, puis elle se sentit transportйe par les bras d'une brume translucide qu'elle contempla fortement surprise. Elle chercha а savoir oщ elle se trouvait dans le cirque, mais reconnut а ses cфtйs la noble figure de Simйon qui lui souriait divinement, en lui donnant la silencieuse et douce certitude d'avoir franchi le seuil de l'йternitй.

А cet instant, dans la loge d'honneur de l'Empereur, Publius Lentulus fut pris d'une indicible angoisse. Dans le tourbillon de ces cris assourdissants, le sйnateur n'avait jamais ressenti un aussi profond dйcouragement et un dйsenchantement aussi amer pour la vie. А prйsent, ces abominables spectacles homicides, de terreur et de mort lui faisaient horreur. Sans qu'il puisse en expliquer la raison, sa pensйe se tourna vers la lointaine Galilйe, et il se figura voir а nouveau, la douce figure du Messie de Nazareth qui lui affirmait : tous les pouvoirs de ton Empire sont bien faibles et toutes ses richesses bien misйrables !... Publius s'inclina vers son ami Euphaline Drusus pour lui confier discrиtement sa triste impression :

- Mon ami, le spectacle d'aujourd'hui m'effraie !... Je ressens d'angoissantes йmotions comme jamais je n'en ai йprouvйes dans toute ma vie... Est-ce que ceux qui succombent а la cruautй des fauves violents et sauvages sont bien des esclaves destinйs а la peine ultime ?

Non, je n'en crois rien - rйpondit le sйnateur Euphaline, lui confessant un secret а l'oreille. - La rumeur court que ces misйrables condamnйs sont de pauvres chrйtiens inoffensifs, faits prisonniers dans les catacombes !...