Un mari ? - rйpliqua la noble matrone avec une hйroпque sйrйnitй. - Oui, je remercie Dieu pour la paix qu'il m'a accordйe en permettant que Publius me dйmontre sa contrition de ces jours derniers. Pour moi, seule cette tranquillitй m'est essentielle et nйcessaire, car mon йpoux vraiment, je l'ai perdu ы y a vingt-cinq longues annйes... En vain, j'ai sacrifiй toutes les impulsions de ma jeunesse pour lui prouver mon amour et mon innocence pour m'opposer а la calomnie avec laquelle mon nom fut humiliй. Pendant un quart de siиcle, j'ai vйcu de mes priиres et de mes larmes... Ma nostalgie fut angoissante et le triste exil spirituel dans lequel j'ai йtй relйguйe sur le plan de mes amours les plus purs fut trиs douloureux.
Je ne crois pas que l'ancienne confiance, pleine de bonheur et de tendresse puisse revivre pour moi dans le cњur de mon vieux compagnon...
Quant а notre fille, je l'ai remise а Jйsus le jour de son enfance lorsque je me suis vue contrainte а la terrible sйparation de son amour. Йloignйe de son вme par injonction de Publius, j'ai dы йtouffer les enthousiasmes les plus doux de mon cњur maternel. Le Seigneur connaоt les terribles angoisses de mes nuits silencieuses et tristes oщ je lui confiais mes souffrances amиres. En outre, Flavia a aujourd'hui un mari qui fait en sorte de l'isoler encore davantage de mon pauvre esprit, craignant ma foi, qualifiйe par tous de dйmence...
Et aprиs une courte pause, dans son affligeante confidence, elle souligna avec une sereine tristesse :
Pour moi, le refleurissement des espйrances ne peut кtre sur terre... Je n'aspire, maintenant, qu'а mourir en paix rйconfortйe dans ma conscience.
Mais, Madame - reprit la servante avec vйhйmence -, aujourd'hui c'est le jour de la plus grande victoire de votre йpoux...
Je ne l'ai pas oubliй. Mais voilа, vingt-cinq ans que Publius suit un chemin opposй au mien et il n'y aurait rien d'йtrange а ce que lui, en cherchant aujourd'hui la rйcompense suprкme de ce monde comme triomphe final а ses dйsirs, а mon tour, je cherche non pas la victoire du ciel que je n'ai pas mйritйe, mais la possibilitй de montrer au Seigneur la sincйritй de ma foi, avide des bйnйdictions fulgurantes de son infinie misйricorde.
De plus, ma chиre Anne, c'est trиs rйconfortant de rкver а son royaume sanctifiй et misйricordieux... Revoir les mains tendres du Messie bйnissant nos esprits de ses grands gestes de charitй et de tendresse !...
Livia avait une lueur divine dans ses yeux baignйs de larmes spontanйes, comme si la rosйe du paradis йtait tombйe sur son cњur.
On voyait, clairement que ses idйes n'йtaient pas sur terre, mais flottaient dans un monde de clartй d'une extrкme douceur, plein de doux souvenirs du passй et saturй de tendres espoirs en l'amour de Jйsus-Christ.
Oui - continua-t-elle comme si elle parlait toute seule, а l'intimitй de son cњur -, derniиrement, j'ai beaucoup pensй au divin Maоtre et а ses inoubliables propos... Le fameux aprиs-midi de ses prйdications, c'йtait encore le crйpuscule et le ciel йtait couvert d'йtoiles comme si les lumiиres du firmament avaient aussi dйsirй l'entendre... Les vagues du Tibйriade si souvent bruyantes fustigйes par le vent, venaient calmement s'йchouer dans un йventail d'йcume contre les barques de la plage avec une douce expression de respect quand ses enseignements divins se faisaient entendre dans le paysage ! Tout doucement, tout s'apaisait ; il fallait voir le sourire angйlique des enfants а la tendre clartй de ses yeux de berger des hommes et de la nature...
Dans mon ardeur, ma bonne Anne, j'aurais dйsirй adopter tous ces bambins affamйs en guenilles, prйsents aux rйunions populaires de Capharnaыm ; mais mon dйsir maternel de soutenir ces femmes dйlaissйes et ces enfants en haillons qui vivaient а l'abandon, ne pouvait se rйaliser en ce monde... Toutefois, je pourrai rйaliser les idйaux de mon вme si Jйsus m'accueille dans les clartйs de son royaume...
Bouleversйe, la vieille servante pleurait en entendant ces йpanchements йmouvants.
Aprиs une longue pause, elle poursuivit comme si elle dйsirait profiter de ses derniиres heures :
Anne - dit-elle avec une tranquillitй pleine d'йnergie -, toutes deux nous avons йtй appelйes au tйmoignage sacrй de la foi dans les heures qui passent et qui doivent кtre glorieuses pour notre esprit. Pardonne-moi, ma chиre, si un jour j'ai offensй ton cњur par quelques propos moins dignes. Avant que Simйon ne te remette а ma garde, je t'aimais dйjа tendrement comme si tu йtais ma sњur ou ma propre fille !...
L'employйe pleurait, йmue, tandis que Livia, affectueuse, continuait :
Maintenant, j'ai une derniиre demande а te faire...
Dites, Madame - murmura la servante, les yeux pleins de larmes -, avant tout, je suis votre esclave.