Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

– J’aimerais mieux continuer de m’éclairer sur le sujet qui nous occupe; car, de moi qui ne suis rien, monsieur, que voulez-vous que je vous dise?

– Et puis vous ne me connaissez point, et vous craignez d’être confiant avec un étranger.

– Oh! monsieur, que puis-je craindre de qui que ce soit au monde, et qui peut me faire plus malheureux que je ne suis? Rappelez-vous de quelle façon je me suis présenté à vos yeux, seul, pauvre et affamé.

– Où alliez-vous?

– J’allais à Paris… Vous êtes parisien, monsieur?

– Oui… c’est-à-dire non.

– Ah! lequel des deux? demanda Gilbert en souriant.

– J’aime peu à mentir, et je m’aperçois à chaque instant qu’il faut réfléchir avant que de parler. Je suis parisien, si l’on entend par parisien l’homme qui habite Paris depuis longtemps et qui vit de la vie parisienne; mais je ne suis pas né dans cette ville. Pourquoi cette question?

– Elle se rattachait dans mon esprit à la conversation que nous venions d’avoir. Je voulais dire que, si vous habitez Paris, vous avez dû voir M. Rousseau, dont nous parlions tout à l’heure.

– Je l’ai vu quelquefois, en effet.

– On le regarde quand il passe, n’est-ce pas? on l’admire, on se le montre du doigt comme le bienfaiteur de l’humanité?

– Non; les enfants le suivent et, excités par leurs parents, lui jettent des pierres.

– Ah! mon Dieu! fit Gilbert avec une douloureuse stupéfaction; tout au moins est-il riche?

– Il se demande parfois, comme vous vous le demandiez ce matin: «Où déjeunerai-je?»

– Mais, tout pauvre qu’il est, il est considéré, puissant, respecté?

– Il ne sait pas, chaque soir, lorsqu’il s’endort, s’il ne se réveillera point le lendemain à la Bastille.

– Oh! comme il doit haïr les hommes!

– Il ne les aime ni ne les hait; il en est dégoûté, voilà tout.

– Ne point haïr les gens qui nous maltraitent! s’écria Gilbert, je ne comprends point cela.

– Rousseau a toujours été libre, monsieur; Rousseau a toujours été assez fort pour ne s’appuyer que sur lui seul, et c’est la force et la liberté qui font les hommes doux et bons; seuls l’esclavage et la faiblesse font les méchants.

– Voilà pourquoi j’ai voulu demeurer libre, dit fièrement Gilbert; je devinais ce que vous venez de m’expliquer.

– On est libre même en prison, mon ami, dit l’étranger; demain Rousseau serait à la Bastille, ce qui lui arrivera un jour ou l’autre, qu’il écrirait ou penserait tout aussi librement que dans les montagnes de la Suisse. Je n’ai jamais cru, quant à moi, que la liberté de l’homme consistât à faire ce qu’il veut, mais bien à ce qu’aucune puissance humaine ne lui fît faire ce qu’il ne veut pas.

– Rousseau a-t-il donc écrit ce que vous dites là, monsieur?

– Je le crois, dit l’étranger.

– Ce n’est point dans le Contrat social?

– Non, c’est dans une publication nouvelle, qu’on appelle les Rêveries du promeneur solitaire.

– Monsieur, dit Gilbert, je crois que nous nous rencontrerons sur un point.

– Sur lequel?

– C’est que tous deux nous aimons et admirons Rousseau.

– Parlez pour vous, jeune homme, vous êtes dans l’âge des illusions.

– On peut se tromper sur les choses, mais non sur les hommes.

– Hélas! vous le verrez plus tard, c’est sur les hommes surtout qu’on se trompe. Rousseau est peut-être un peu plus juste que les autres hommes; mais, croyez-moi, il a ses défauts, et de fort grands.

Gilbert secoua la tête d’un air qui marquait peu de conviction; mais, malgré cette incivile démonstration, l’étranger continua de le traiter avec la même faveur.

– Revenons à notre point de départ, fit l’étranger. Je disais que vous aviez quitté votre maître à Versailles.

– Et moi, dit Gilbert un peu radouci, moi qui vous ai répondu que je n’avais point de maître, j’aurais pu ajouter qu’il ne tenait qu’à moi d’en avoir un fort illustre, et que je venais de refuser une condition que beaucoup d’autres eussent enviée.

– Une condition?

– Oui, il s’agissait de servir à l’amusement de grands seigneurs désœuvrés; mais j’ai pensé qu’étant jeune, pouvant étudier et faire mon chemin, je ne devais pas perdre ce temps précieux de la jeunesse et compromettre en ma personne la dignité de l’homme.

– C’est bien, dit gravement l’étranger; mais, pour faire votre chemin, avez vous un plan arrêté?

– Monsieur, j’ai l’ambition d’être médecin.

– Belle et noble carrière, dans laquelle on peut choisir entre la vraie science, modeste et martyre, et le charlatanisme effronté, doré, obèse. Si vous aimez la vérité, jeune homme, devenez médecin; si vous aimez l’éclat, faites-vous médecin.

– Mais il faut beaucoup d’argent pour étudier, n’est-ce pas, monsieur?

– Il en faut certainement; mais beaucoup, c’est trop dire.

– Le fait est, reprit Gilbert, que Jean-Jacques Rousseau, qui sait tout, a étudié pour rien.

– Pour rien!… Oh! jeune homme, dit le vieillard avec un triste sourire, vous appelez rien ce que Dieu a donné de plus précieux aux hommes: la candeur, la santé, le sommeil; voilà ce qu’a coûté au philosophe genevois le peu qu’il est parvenu à apprendre.

– Le peu! fit Gilbert presque indigné.

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