– Ah! monsieur, quand j’entendais dire par Nicole – Nicole était la femme de chambre de mademoiselle Andrée – quand j’entendais dire que sa maîtresse cherchait inutilement quelques plantes dans les environs de Taverney, je demandais à Nicole de tâcher de savoir la forme de cette plante. Alors souvent, sans savoir que c’était moi qui avais fait cette demande, mademoiselle Andrée la dessinait en quatre coups de crayon. Nicole aussitôt prenait le dessin et me le donnait. Alors je courais par les champs, par les prés et par les bois jusqu’à ce que j’eusse trouvé la plante en question. Puis, quand je l’avais trouvée, je l’enlevais avec une bêche, et la nuit je la transplantais au milieu de la pelouse; de sorte qu’un beau matin, en se promenant, mademoiselle Andrée jetait un cri de joie, en disant: «Ah! mon Dieu! comme c’est étrange, cette plante que j’ai cherchée partout, la voilà.»
Le vieillard regarda Gilbert avec plus d’attention qu’il ne l’avait fait encore, et si Gilbert, songeant à ce qu’il venait de dire, n’eût baissé les yeux en rougissant, il eût pu voir que cette attention était mêlée d’un intérêt plein de tendresse.
– Eh bien! lui dit-il, continuez d’étudier la botanique, jeune homme; la botanique vous conduira par le plus court chemin à la médecine. Dieu n’a rien fait d’inutile, croyez-moi, et chaque plante aura un jour sa signification au livre de la science. Apprenez d’abord à connaître les simples, ensuite vous apprendrez quelles sont leurs propriétés.
– Il y a des écoles à Paris, n’est-ce pas?
– Et même des écoles gratuites; l’école de chirurgie, par exemple, est un des bienfaits du règne présent.
– Je suivrai ses cours.
– Rien de plus facile; car vos parents, je le présume, voyant vos dispositions, vous fourniront bien une pension alimentaire.
– Je n’ai pas de parents; mais, soyez tranquille, avec mon travail je me nourrirai.
– Certainement, et puisque vous avez lu les ouvrages de Rousseau, vous avez dû voir que tout homme, fût-il le fils d’un prince, doit apprendre un métier manuel.
– Je n’ai pas lu l’
– Oui.
– Mais j’ai entendu M. de Taverney qui se raillait de cette maxime et qui regrettait de n’avoir pas fait son fils menuisier.
– Et qu’en a-t-il fait? demanda l’étranger.
– Un officier, dit Gilbert.
Le vieillard sourit.
– Oui, ils sont tous ainsi, ces nobles: au lieu d’apprendre à leurs enfants le métier qui fait vivre, ils leur apprennent le métier qui fait mourir. Aussi, vienne une révolution, et à la suite de la révolution l’exil, ils seront obligés de mendier à l’étranger ou de vendre leur épée, ce qui est bien pis encore; mais vous qui n’êtes pas fils de noble, vous savez un état, je présume?
– Monsieur, je vous l’ai dit, je ne sais rien; d’ailleurs, je vous l’avouerai, j’ai une horreur invincible pour toute besogne imprimant au corps des mouvements rudes et brutaux.
– Ah! dit le vieillard, vous êtes paresseux, alors?
– Oh! non, je ne suis pas paresseux; car, au lieu de me faire travailler à quelque œuvre de force, donnez-moi des livres, donnez-moi un cabinet à demi noir, et vous verrez si mes jours et mes nuits ne se consument pas dans le genre de travail que j’aurai choisi.
L’étranger regarda les mains douces et blanches du jeune homme.
– C’est une prédisposition, dit-il, un instinct. Ces sortes de répugnances aboutissent parfois à de bons résultats; mais il faut qu’elles soient bien dirigées. Enfin, continua-t-il, si vous n’avez pas été au collège, vous avez été du moins à l’école?
Gilbert secoua la tête.
– Vous savez lire, écrire?
– Ma mère, avant de mourir, avait eu le temps de m’apprendre à lire, pauvre mère! car, me voyant frêle de corps, elle disait toujours: «Ça ne fera jamais un bon ouvrier; il faut en faire un prêtre ou un savant.» Quand j’avais quelque répugnance à écouter ses leçons, elle me disait: «Apprends à lire, Gilbert, et tu ne fendras pas de bois, tu ne conduiras pas la charrue, tu ne tailleras pas de pierres»; et j’apprenais. Malheureusement, je savais à peine lire lorsque ma mère mourut.
– Et qui vous apprit à écrire?
– Moi-même.
– Vous-même?