Puisque les circonstances ne veulent pas que pendant les 3 longs mois que j’ai passé ici j’aie le bonheur de Vous voir encore une fois avant mon départ, il ne me reste que ce moyen de satisfaire au besoin de mon cœur. L’Université de Dorpat Vous doit ses actions de grâces pour les bienfaits que Vous venez de lui accorder, et elle s’en acquittera avec les sentiments d’une fille reconnaissante. Moi je Vous dois des actions de grâces pour la manière dont Vous nous les avez accordés. Homme si digne d’être chéri! Recevez-les; ils partent d’un cœur qui Vous aime au-delà de toute expression. À présent que je quitte Pétersbourg et les affaires de tout genre pour rentrer dans ma carrière d’homme de lettres j’aurai moins souvent l’occasion de Vous parler de ce sentiment profond que Vous m’avez inspiré, et quand même l’occasion s’en présentera, ce fera une voix sans écho. Les mêmes raisons qui m’ont ravi les délices de Vous voir, me frustreront de Vos réponses2
. – Sûr au reste que malgré le tourbillon des affaires et de Vos alentours il viendra quelquefois des instants où mon souvenir se retrouvera vivement à Votre mémoire, je pourrai peut-être me consoler d’être sous tant de rapports éloigné de Vous. Mais j’ai une prière à Vous faire. Que ces instants soient pour Vous des moments de recueillement! Sortez alors du tourbillon, rentrez dans la solitude du sentiment. Songez à l’amitié, songez surtout aux vertus domestiques3. Ne Vous lassez pas de Vous les approprier toutes. N’en croyez pas aux sophistes qui les regardent comme inutiles en parti sublime que Vous occupez. Elles sont la base de toutes les autres vertus. Elles décident de toute notre moralité parce que c’est sans cesse que nous abhorrons ou foulons aux pieds les devoirs qu’elles nous imposent. Elles exercent sur nous l’empire irrésistible de la coutume. O mon Alexandre! Saisissez-Vous de ce levier puissant des grandes actions, et si Vous l’avez déjà en main, regardez-le comme le plus précieux trésor que Vous possédiez. L’ami même, l’ami le plus dévoué, le plus sincère ne l’égale pas.Tels sont mes adieux – pour longtemps. Soyez heureux, dans le sens sublime que j’attache à ce mot, et que le ciel conserve longtemps à la terre le monarque heureux de la Russie.
Parrot
P. S.
Novossiltzoff Vous remettra ces jours-ci un petit traité de moi, de la publication duquel j’espère quelque utilité. Il est déjà en russe4
. Vous êtes si prompt à récompenser que je crois devoir Vous rappeler notre convention tacite. Il n’existe pour moi qu’une seule espèce de récompense, et Vous en avez déjà trouvé le secret. Vous l’avez si bien exercé!25. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat, octobre 1803
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Sire,