Juste avant de sortir, son regard s’attarda sur la malle, casée dans l’angle de la pièce, qu’elle avait eu tant de mal à transporter de la voiture au chalet. L’ouverture était barrée d’un énorme cadenas en U, l’une de ces protections codées à cinq chiffres dont on se sert pour bloquer les roues des motos. Peut- être Doffre entreposait-il là, entre autres, tous ses bons au porteur ? « Drôlement prudent, le vieil homme », songea-t-elle en franchissant la porte.
Elle s’avança dans l’étroit corridor.
— Tu as froid, mon abricot ?
Elle sursauta et fit volte-face.
— Un peu, oui. Vous... Tu... Tu veux que je passe d’autres vêtements ? Une robe courte...
Il l’interrompit d’un signe tranchant.
— C’est comme ça que j’aime les femmes, celles qui suggèrent plus qu’elles ne dévoilent. C’est l’une des raisons pour lesquelles je t’ai choisie. Promets-moi de ne rien changer, et de te comporter ici comme tu le ferais chez toi.
Adeline acquiesça.
— Tu veux peut-être manger un morceau ? demanda-t-elle sans vraiment trouver la juste répartie.
— Il paraît que tu es une excellente cuisinière. Prépare- moi un bon déjeuner. La nourriture est stockée dans l’arrière- cuisine. Tu décides du repas, mais évite la viande saignante, j’ai horreur de ça.
Après lui avoir caressé les cheveux, il recula vers la chambre des Miller, située en face, en ne cessant de la fixer de ses yeux noirs. Claquement de porte, bruit de serrure.
Adeline resta un temps interloquée. Drôle de manière de se comporter, pour un type de sa classe, mais bon, elle avait l’habitude. Lunatiques, capricieux, grincheux, son pain quotidien...
En remontant le couloir, elle plissa le nez. Ces affreuses odeurs d’antiseptiques ! Elle voulut ouvrir une porte latérale, pour voir d’où elles provenaient, mais n’y parvint pas. Fermée à clé...
Le salon, à présent. Quel silence ! Dire qu’elle n’avait même pas pensé à emporter un lecteur de CD. Trente ans, seule avec un vieux paraplégique à cinq cents kilomètres de chez elle. La maison de retraite de sa grand-mère, à côté de ça, c’était le carnaval...
Elle
remit une bûche dans la cheminée et s’attarda devant la flambée, les mains
ouvertes en regard des flammes. Un mois... Un mois à aller chercher des bûches,
allumer des feux, mitonner les repas, satisfaire les caprices de son client...
ça risquait de faire long. Heureusement, il n’avait pas trop l’air menottes et
cravache, celui-là, handicapé jusqu’à l’os. Quoique... Elle avait quand même
embarqué le matériel. Deux paires de bracelets en acier, et le petit nécessaire
du plaisir nuptial. Après tout, il était de son devoir de répondre à ce genre
Elle leva un peu la tête, son regard s’appesantit sur le fusil, accroché au-dessus de la cheminée. Un Weatherby Mark. Elle s’en approcha et glissa son index sur le canon. Une poudre noire se déposa sur le bout de son doigt, elle la porta sous son nez et renifla. L’arme avait servi récemment. Curieux, estima-t-elle, car il s’agissait d’un équipement lourd, avec lunette de visée, conçu spécialement pour chasser l’éléphant ou le rhinocéros, et capable de percer un mur de parpaings. Il existait de si gros animaux, dans la région ? En tout cas, les précédents locataires devaient être des chasseurs.
La jeune femme se frotta les doigts, détournant son regard du fusil, essayant de chasser cette odeur de poudre.
D’un coup, sa respiration se fit sifflante, ses bronches se rétractèrent. La brusque sensation de respirer avec une paille. Adeline piocha en catastrophe l’inhalateur dans la poche de son gilet et envoya une bruyante expiration au fond de sa gorge. Bronchodilatation. Délivrance. Elle jeta un œil derrière elle et dissimula rapidement le petit objet en plastique.
En se dirigeant vers la cuisine, elle s’attarda devant la porte d’entrée. Elle se souvenait de son épaisseur ahurissante, à leur arrivée. Tout juste si elle avait réussi à la pousser ! Un gros verrou en barrait le chambranle. Le vieux avait fermé à clé. Pourquoi tous ces verrous, même en travers des fenêtres, dans les chambres ? La peur des vols ? Pourtant, venir ici pour un cambriolage, il fallait le vouloir ! Ceci dit... Avec tous ces bons au porteur...
Adeline n’était pas rassurée. Finalement, personne ne savait précisément où elle se trouvait. Pourquoi avait-elle fait confiance à un homme qu’elle connaissait si peu ? Parce qu’il était handicapé et, à première vue, inoffensif ? « Un incroyable don pour t’embarquer dans les coups fourrés », songea-t-elle avec regret.
Une chose, surtout, la préoccupait depuis son arrivée. Tous ces détails que Doffre semblait connaître sur elle. Il avait dû consulter son dossier, à l’agence. Mais comment s’était-il procuré son adresse ? Comment avait-il réussi à biaiser avec le requin Saint-Osier et à contourner le circuit de location classique des filles ?
Et surtout, pourquoi l’avoir fait, lui qui était plein aux as ?
8.