— Désolé d’avoir été aussi abrupt. Mais ces vingt-neuf repères, dispersés autour du chalet, indiquent l’emplacement de pièges à loups, et votre enfant aurait pu se retrouver avec le tibia broyé. Christian aurait dû vous prévenir.
— Christian n’y est pour rien, corrigea David. Nous avons manqué de vigilance.
— Des pièges à loups ? répéta Cathy.
Arthur Doffre pivota, libérant le passage vers l’intérieur.
— Oui. Des lynx rôdent dans la région. Ils viennent du nord. Plusieurs individus ont été repérés, ces derniers temps. Le jour, ils sont inoffensifs, plutôt craintifs, mais la nuit, ils deviennent de redoutables chasseurs. Il vaut mieux éviter les sorties une fois l’obscurité installée, on ne sait jamais. Et surtout, n’approchez pas de ces repères, car la neige a rendu les pièges invisibles. Il y en a partout. Devant, derrière, ils jalonnent aussi le sentier qui mène à la réserve à bois, sur le côté.
— Des lynx... Ça commence bien, ironisa Cathy en bloquant sur la silhouette longiligne qui se tenait penchée devant la cheminée.
Adeline posa le tisonnier sur son support et se frotta les mains sur un torchon avant de venir saluer les Miller.
— Adeline est la tendre dévouée qui nous accompagnera dans notre grande aventure littéraire, expliqua Doffre en lui caressant le bout des ongles.
Cathy
tira ses cheveux en arrière, le sourire crispé. Alors c’était ça, la « vieille
compagne » de Doffre ? Une tendre dévouée ? Ça signifiait quoi,
une tendre dévouée ? Elle n’avait pas l’air d’une pute, pourtant. Plutôt l’inverse,
d’ailleurs, genre rouquine un peu coincée, limite
— Je vous souhaite donc, à tous les trois, la bienvenue ! Adeline va vous mener à votre chambre, afin que vous puissiez vous installer. Vous voudrez manger un morceau ?
— Ça ira, merci, répondit David. Nous pourrons attendre le repas du soir, nous avons grignoté en route.
Doffre fit jouer un trousseau de clés entre ses doigts.
— D’accord. Nous ferons ensuite une courte visite des lieux, puis vous pourrez vous reposer, si vous le souhaitez. Adeline, tu leur montres le chemin, s’il te plaît ?
Le long corridor au tapis rouge. Toilettes, salle de bains. Puis l’odeur des antiseptiques, enfer d’hôpital qui fit faire la grimace à Cathy. Ensuite, une porte fermée, suivie de deux autres, au fond, sur la droite.
— Je vous en prie, fit Adeline en ouvrant.
— Merci, répliqua David avec un sourire de politesse.
Avant d’entrer, Cathy tourna la tête vers la rouquine, qui s’éloignait.
— Elle a besoin de rouler des fesses comme ça, celle-là ?
— Oh ! Je t’en prie. Pas ici...
— On pouvait se retrouver qu’à deux, mais non... Une autre fille... Y a toujours un truc qui cloche. Ça promet...
— Pour une fois, j’espère que tu mettras de côté ta jalousie.
David posa Clara, son sac à dos, inspira un grand coup. Puis il s’élança sur le lit. La petite l’y rejoignit en piaillant.
— Alors ! Géniale la chambre, non ?
Cathy tourna sur elle-même. Lambris, parquet, poutres. Tons chauds. Nid douillet au cœur de la forêt.
— Plutôt pas mal, ouais. Un peu rudimentaire, mais... elle est grande...
— Et le lit a l’air de ne pas trop grincer !
Cathy se dirigea vers la fenêtre en haussant les épaules. L’obscurité s’installait déjà. Seize heures...
— Même de ce côté-ci, il y a des piquets à bout rouge. Bizarre, quand même... Je savais pas qu’il y avait des lynx en Allemagne.
Elle demanda à David :
— Tu peux me donner les photos ?
— Pour quoi faire ?
— Donne, c’est tout !
David fouilla dans la poche de son caban, en sortit les clichés et les lui tendit. Cathy les observa attentivement, en retournant vers la fenêtre.
— Je m’en doutais... À l’époque, pas de pièges à loups !
— Peut-être pas de lynx, tout simplement. Ils ne débarquent sans doute que l’hiver, puisqu’il a dit qu’ils venaient du nord.
Cathy fronça les sourcils.
— Et... Attends... Oui, c’est bien ça ! Il y a quelque chose qui me tracassait, quand on est arrivés, mais je n’arrivais pas à trouver quoi.
— Quoi ?... soupira David.
— Les grandes vitres, sur la façade !
— Et alors ?
— Des vitres, mais pas de volets ! Or, il y en avait, sur les photos !
Elle voulut ouvrir la fenêtre, mais un verrou l’en empêcha. Elle plaqua son visage contre le carreau.
— Et pareil pour notre chambre, apparemment. Pas de volets.
— Quelqu’un les a peut-être démontés pour les traiter ou pour les peindre ? Ou alors, ces photos datent d’il y a plusieurs années ? Qu’est-ce que j’en sais ! Bon ! On retourne dans le salon ?
Cathy frappa doucement du poing sur la vitre. Plexiglas.
— Vas-y avec Clara... répliqua-t-elle. Je vous rejoins. Je voudrais me passer de l’eau sur le visage...