— Exactement. C’était l’un des sept. Le fils des Potier, la troisième famille massacrée.
— Qu’est-ce que vous racontez ?
— La pure vérité...
David se recula.
— Mais... Mais ces mômes avaient été placés dans des orphelinats, des familles, certains ont été adoptés ! Comment les avez- vous pistés ? Comment avoir la certitude de leur identité ?
— Quand on s’acharne, et que l’on a les contacts qu’il faut, on finit par trouver... Prenez la fille Böhme, pour ne citer quelle. Elle ignore complètement qui elle est... Moi, je sais... Un lourd, très lourd secret à porter, croyez-moi...
David fit un geste pour marquer son incrédulité.
— Ça paraît fou. J’avoue que j’ai du mal...
— Vous ne me faites pas confiance ? Une réaction toute naturelle, ma foi... Mais vous voyez bien que vous êtes loin de connaître toute la vérité. Maintenant, David, entrons dans le vif du sujet... Vous allez me raconter... non, pas me raconter, mais me faire vivre le dernier massacre du Bourreau. Le double-meurtre de Patricia et Patrick Böhme, en 1979. Il y a presque vingt-sept ans... Glissez-vous dans la peau du Bourreau, des Böhme, faites la caméra, soyez précis, très précis dans votre récit... Surprenez-moi à nouveau, comme l’a fait votre livre.
David s’installa sur un siège de cuir noir. Les sept enfants... Brassart, devenu un meurtrier. Les stigmates du criminel, gravés sur leurs crânes et dans leurs esprits...
— David ?
— Oui, pardon... C’est... C’est un test ?
Doffre tira sur une longue chaînette. La pièce sombra dans les ténèbres. On ne percevait plus que le tic-tac de l’horloge, avec, par-devant, la respiration creuse du vieil homme. Et ces abdomens de mouches, phosphorescents, démoniaques.
— Pas un test, mais plutôt... une mise dans l’ambiance.
— J’ai carte blanche ?
— Carte blanche... Du réalisme, de la précision. Voilà tout ce que je demande...
David eut une pensée pour Cathy, impatiente sous la couette.
Puis ses pupilles se dilatèrent, pareilles à celles des félins. Plus rien n’existait. Hormis le feu roulant de son imagination.
— L’orage craque juste au-dessus de moi, la pluie me trempe jusqu’à l’os. Une pluie froide d’hiver, qui court le long de mon torse et me gonfle d’envie. Ce que je ressens cette nuit, devant la fenêtre de ce pavillon, est unique, inexprimable, comme à chaque fois avant l’acte. Mon sexe me fait mal... Il me la faut, il me la faut ! Des semaines à t’observer. Bientôt, c’est moi que tu vas supplier ! Tu vas gémir ! Je vous possède pour la nuit, toi et ton mari. Et cette fois, ce sera encore mieux que les précédentes. Atteindre la perfection.
David s’orienta à tâtons vers la fenêtre. Il avait les mains moites, sa lucidité s’exacerbait. La scène s’esquissait dans son cerveau, tissée de sang et de hurlements. Ces tonnes de livres dévorés... Ces reportages sur les tueurs en série... Scènes de crime, rituels, carnages... Ses cauchemars récurrents, cette terreur irrespirable.
— Les Böhme sont d’origine allemande. Une famille tranquille, qui vit au bord du Rhin, à proximité d’un village appelé Schœnau, me semble-t-il... L’homme, la femme, l’enfant dorment. Le Bourreau sait que cette maison, en lisière de forêt, n’est pas sous alarme. Des restes de nourriture, des canettes, à proximité, ont prouvé qu’il étudiait ses victimes pendant plusieurs semaines, voire des mois. Il aimait se les approprier du regard, connaître leurs forces et leurs faiblesses, s’imaginer des scénarios. Le Bourreau n’enfile pas de gants, pas besoin. Il s’est raclé les doigts avec du papier de verre, presque jusqu’au sang, pour effacer ses sillons digitaux. Il pénètre en brisant une vitre à l’arrière, étouffant le bruit avec de l’adhésif. Patrick Böhme est svelte et bel homme. Son épouse, Patricia, blonde, mignonne, travaille dans un office du tourisme, à quelques kilomètres de là. Sundhouse, je crois.
— Ne croyez pas. Soyez sûr !
— Les... les Böhme ont une fillette. Un critère décisif dans le choix du Bourreau...
— Quel âge, l’enfant ?
— À peu près deux ans.
Les images qui enflent, les sens gonflés de bruits, d’odeurs. Senteurs de sève et de pommes de pin, mêlées à la puanteur bien présente des antiseptiques. La maison des Böhme, vingt- sept ans plus tôt... La forêt... L’orage...
Le Bourreau monte l’escalier le plus doucement possible. Sur son dos, un sac. À l’intérieur, une bougie, une balance de
Roberval, une plume de Maât, des instruments tranchants. Ciseaux, scalpels, tenailles. Des menottes, des cordes. Un Smith &We...
— Quel type de corde ? La précision des chiffres, s’il vous plaît ! Corde blanche, neuf millimètres. Un Smith & Wesson calibre quarante-quatre, six coups.
Des froissements de cuir témoignaient de l’agitation de Doffre.
— Je... Excusez-moi...
— Continuez, et tâchez d’être meilleur !
« Corde neuf millimètres ? Comment savoir ? » Brève déconcentration, avant d’être de nouveau happé par le récit.