— Je... Je me dirige vers la chambre de l’enfant, je la sors délicatement de son lit. Je ne veux pas la réveiller. Elle inspire, palpite, mais sombre à nouveau lorsque je la plaque contre mon torse. C’est la septième fois que j’agis de la sorte. J’embarque aussi la couverture. On y est. Leur lit. Je vais te transpercer ! On me croise et on m’ignore ? Pas assez intéressant pour toi ? Trop laid ? Mon strabisme te dérange, hein, c’est ça ? À partir de maintenant, je deviens celui qui décide. L’homme le plus important de ta vie. Tu m’appartiens ! Je vais te détruire... Te détruire psychologiquement avant de te broyer physiquement...
David rouvrit les yeux. Éclipse de la pupille sur l’œil. Mâchoires douloureuses. Le tic-tac. Le souffle de Doffre. Son fauteuil qui grince. Des craquements de plancher, incessants. Malgré le froid, de la sueur, grasse et piquante.
— Il sort le revolver de son sac et assène un coup violent sur la tempe de l’homme, avant d’éjecter la femme du lit et de la gifler de toute sa hargne. Les rapports d’autopsie ont révélé, sur l’ensemble des victimes, la présence d’hématomes et de fractures. Il les assommait quasiment, de la seule force de sa main. N’oublions pas que le Bourreau pratiquait la musculation et que...
— L’action uniquement ! brailla Doffre, l’haleine courte. Ensuite ! Ne t’égare pas ! Enchaîne ! Enchaîne !
— D’accord. Il allume la lumière, traîne l’homme par les cheveux et le menotte au pied avant droit du lit. Il attache les poignets de la femme par...
— Les prénoms ! Utilise les prénoms ! Et fais-les bouger ! Ils vivent, se déplacent ! Ton récit est trop statique ! Pense au paratonnerre ! Décharge-toi !
Doffre était de plus en plus agité. Les deux mains à plat sur la fenêtre, David poursuivit l’acrobatie verbale, tentant de contrôler la justesse de ses idées. Mais les ouragans ne se maîtrisent pas.
— Il attache, avec la corde blanche neuf millimètres, les poignets de Patricia par-devant. II... « Si tu hurles, je tue la gosse. Tu essaies de fuir, je tue la gosse.
— Stop ! Stop ! Stop !
La lumière. Doffre claqua son poing sur la table.
— « Il monte sa balance, il sort sa plume, ses outils, gna gna gna... » Et que ressent-il, à ce moment-là ? Il s’agit de son rituel, de l’explosion de ses sens ! La salive qui afflue, le cœur qui lui déchire la poitrine, l’adrénaline, ses poils qui se hérissent ! Et ses victimes ? Comment réagissent-elles ? Tu es pressé d’en finir ou quoi ?
— C’est que...
Doffre reprit son souffle.
— Tu as le sens du récit, c’est évident, mais j’espère que tu seras largement meilleur dans le roman ! Comment veux-tu que je m’évade si tu me récites un baratin qui a déjà été raconté des centaines de fois, et que je connais par cœur ? Saisis l’âme, l’instant, la peur de ces personnages ! Sois différent ! C’est si compliqué ? Je t’ai choisi toi ! Toi, David Miller ! Sois à la hauteur !
— Je le serai. Mais ne me forcez pas la main. Obliger quelqu’un à puiser au fond de sa conscience, pour mieux le connaître... C’était bien le but caché de cet exercice, non ? Je ne suis pas quelqu’un qu’on manipule psychiquement, monsieur Doffre.
— C’est pourtant ce que j’ai fait, avec mes petites questions, quand tu es entré.
— Disons qu’il s’agit plus d’un tour de passe-passe que d’autre chose.
Arthur fit claquer ses ongles sur le bras de son fauteuil.